Par Gabrielle Cluzel.
Cet entretien particulièrement intéressant de Gabrielle Cluzel avec Bernard Lugan – est paru le 14 mai sur Boulevard Voltaire.
Bernard Lugan est historien, spécialiste de l’Afrique. Il a écrit Esclavage, l’Histoire à l’endroit. Alors qu’Emmanuel Macron vient de rendre un hommage vibrant à Toussaint Louverture – 2023 est le 200e anniversaire de sa mort – dans le cadre de la célébration de l’abolition de l’esclavage, Bernard Lugan revient, pour BV, sur le « véritable terrorisme intellectuel exercé par la gauche culpabilisatrice »..
Gabrielle Cluzel. Il est établi aujourd’hui par les historiens que la vie de Toussaint Louverture ne correspond en rien à l’image d’Épinal qui a été longtemps véhiculée. Pourquoi tient-on absolument à maintenir en haut lieu ce discours officiel que l’on sait pertinemment faux ? Pourquoi la question de l’esclavage n’est-elle pas purement historique mais politique, et pourquoi connaissons-nous, en France, les mêmes conflits sur ce sujet qu’aux États-Unis, quand nous n’avons pas du tout la même Histoire ?
Bernard Lugan. Parce que, en France, nous subissons un véritable terrorisme intellectuel exercé, d’une part, par la gauche culpabilisatrice et, d’autre part, par ceux qui se sont baptisés « décoloniaux » ou « indigénistes ». Comme ils contrôlent les médias, ils font donc constamment passer leur message et ils dénoncent immédiatement toute pensée dissidente. De fait, il n’est plus possible, aujourd’hui, à un chercheur universitaire, de mener une recherche indépendante de cette nouvelle doxa.
Derrière cette prise de contrôle des universités et des centres de recherche se cache, chez les afrocentristes, une volonté de revanche historique, une tentative de prise de pouvoir culturel et idéologique à travers un prétendu « antiracisme » reposant, en réalité, sur un puissant racisme anti-Blanc. Ce terrorisme intellectuel se fait au nom de la dénonciation de la traite négrière de jadis en passant sous silence le fait que, si tous les peuples ont pratiqué l’esclavage, seuls les Blancs l’ont aboli…
La matrice de cette reconstruction idéologisée du passé devenue vérité officielle a débuté avec la loi Taubira votée le 10 mai 2001, et à l’unanimité des députés, tant de « droite » que de gauche. Cette loi qui annonçait l’actuelle campagne menée au nom de l’anti-esclavagisme ne dénonce, en effet, qu’une seule traite, celle qui fut pratiquée par les Européens. Christiane Taubira a d’ailleurs donné les raisons de cette inconcevable partialité historique en déclarant qu’il ne fallait pas évoquer la traite négrière arabo-musulmane afin que les « […] jeunes Arabes […] ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes » (L’Express, 4 mai 2006).
G. C. Récemment, le ministre de la Défense guinéen, Aboubacar Camara, lors d’une table ronde armée-nation, a rappelé que la traite négrière par les Arabes, qui a duré plusieurs siècles, a été bien plus terrible que la colonisation française et que les conditions dans lesquelles les esclaves noirs ont été razziés, déportés, castrés, abattus étaient atroces. Cette prise de parole vous a-t-elle surpris ?
B. L. Non, ces propos ne m’étonnent pas, parce que de plus en plus d’Africains disent la même chose. Ainsi, Tidiane N’Diaye [chercheur, économiste, anthropologue franco-sénégalais, NDLR] qui a écrit : « […] bien qu’il n’existe pas de degrés dans l’horreur ni de monopole de la cruauté, on peut soutenir, sans risque de se tromper, que le commerce négrier arabo-musulman et les djihads provoqués par ses impitoyables prédateurs pour se procurer des captifs furent, pour l’Afrique noire, bien plus dévastateurs que la traite transatlantique. »
La réalité est que les traites arabo-musulmanes se sont opérées à la fois aux dépens des Européens, des Berbères et des Africains vivant au sud du Sahara. À partir du VIIe siècle, la Berbérie fut considérée comme « terre de butin » où les conquérants firent une véritable « moisson » d’esclaves se chiffrant en centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants emmenés vers l’Orient pour y être vendus dans une entreprise de chasse délibérée portant en priorité sur les jeunes filles berbères car, comme le disait Ibn Khaldun, « Ici [au Maghreb] l’on trouve les belles esclaves berbères, de toison couleur de miel ».
En plus des jeunes filles destinées à remplir les harems, les jeunes garçons étaient destinés à devenir des « mignons » ou à être « transformés » en eunuques.
G. C. Pourtant, pour tout un courant afrocentriste, seuls les Européens doivent se repentir…
B. L. Ce que refusent de voir les afrocentristes, c’est que la traite des esclaves par les Européens eût été impossible sans le concours d’États esclavagistes africains. Les achats d’esclaves par les négriers européens se faisaient en effet grâce à des partenaires africains sans lesquels il n’y aurait pas eu de traite. Il s’agit donc d’une « coresponsabilité » qui a bien été mise en évidence par Mathieu Kérékou, l’ancien président du Bénin, quand il écrivait que « les Africains ont joué un rôle honteux durant la traite ». Quant aux évêques africains, ils ont été très clairs à ce sujet : « Commençons donc par avouer notre part de responsabilité dans la vente et l’achat de l’homme noir […] Nos pères ont pris part à l’histoire d’ignominie qu’a été celle de la traite et de l’esclavage noir. Ils ont été vendeurs dans l’ignoble traite atlantique et transsaharienne » (Déclaration des évêques africains réunis à Gorée au mois d’octobre 2003). ■
Ce sont des évidences à rappeler encore et toujours , car les médias et le lobby gauchiste les met sous le boisseau. Dire aux jeunes africains qui ont la chance de vivre en France que leurs ancêtres ont été vendus par des despotes africains locaux aux rezzous arabo-musulmans qui en ont vendu une partie sur la côte ouest aux négriers européens et amené une autre partie vers Zanzibar , où se pratiquaient les castrations et ensuite vers l’Orient. A quand un mémorial à Zanzibar sur le modèle de celui de l’ile de Gorée, cela attirerait les touristes!