PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Commentaire – Nonobstant l’illusion qu’une « bonne droite » pourrait jaillir, faute de mieux, des mécanismes du Système, Mathieu Bock-Côté continue de creuser son sillon torrentueux en dissidence envers ce même Système aujourd’hui dominant. Est-ce si sûr toutefois qu’en devenant « autoritaire » (ou plutôt : autoritariste, car autoritaire serait positif) « la démocratie libérale se retourne contre elle-même, et renie les principes de base du libéralisme et de la démocratie » ? N’est-ce pas plutôt son mouvement naturel, son engrenage obligé comme l’Histoire des révolutions le montre en nombre de circonstances et suivant des processus bien connus, à travers l’espace et le temps ? Malgré ces réserves, fondées sur l’esprit de Tradition en lieu et place des diverses formes de la Révolution, l’analyse de Bock-Côté reste redoutablement efficace. Cette « chronique » est parue dans Le Figaro du samedi 20 mai. G.P.
En février dernier, Rima Abdul Malak avait ouvertement menacé CNews de fermeture. Certains virent alors dans cette déclaration un «dérapage». Il n’en était rien. La ministre se faisait alors l’écho d’une tentation autoritaire de plus en plus avouée, de la gauche radicale à l’extrême centre, en appelant à la censure des médias contrevenant à l’idéologie dominante, accusés de produire et de relayer un discours haineux – on appelle discours haineux aujourd’hui tout discours qui s’oppose ouvertement à l’idéologie diversitaire, qui ne se contente pas d’en pointer les dérives mais critique sa matrice. Il serait dès lors nécessaire de les bannir, ou du moins, de les refouler dans les marges de la vie publique.
Ces dernières semaines, d’autres figures politiques importantes ont pris le relais. Marine Tondelier a, à son tour, évoqué la possible fermeture de CNews, en ajoutant dans le lot Valeurs actuelles. Elle le faisait en dénonçant le manque de pluralisme supposé de ces médias, ce qu’avait aussi affirmé Sophie Binet, il y a quelques semaines. On peinera à ne pas y voir une marque primaire d’hypocrisie, dans la mesure où le simple fait qu’ils soient invités à s’y prononcer témoigne de l’ouverture au pluralisme des médias en question. Ce qu’elles rejettent, c’est la possibilité d’une interview qui ne soit pas menée dans les paramètres du progressisme médiatique. Autrement dit, Marine Tondelier ne tolère pas l’existence d’une ligne éditoriale dont elle n’approuve pas les fondements.
Pap Ndiaye s’est inscrit dans le même mouvement. Questionné à propos du grand dossier de Valeurs actuelles qui mettait en cause à la fois sa politique et la situation de l’école, il a préféré répondre qu’il ne lisait ni ne commentait la presse d’extrême droite. Un esprit taquin demandera comment il fait pour savoir ce que contient un journal qu’il ne lit pas. Il poussera la calomnie jusqu’à assimiler l’hebdomadaire à Gringoire. La méthode est connue: dès lors qu’un contradicteur vous déplaît, qu’une information vous heurte, qu’un adversaire vous agace, assimilez-le à l’extrême droite, et vous en serez délivré. Vous serez même promu grand républicain.
Cela nous rappelle que le concept d’extrême droite n’a plus aucune valeur descriptive aujourd’hui. Il est toutefois au cœur d’un dispositif politico-idéologique servant à criminaliser la dissidence en régime diversitaire. En France, qui dit extrême droite veut tromper. L’extrême droitisation du désaccord assure à la gauche idéologique une maîtrise intégrale du débat public. C’est ce qui lui permet, actuellement, d’imposer dans le débat une véritable hallucination collective, en faisant croire que la France serait menacée par une poussée néofasciste, voire, néonazie. À ce niveau de délire, les médias, qui relaient cette propagande, ne se contentent plus de falsifier la réalité: ils créent de toutes pièces une réalité artificielle, un mensonge institutionnalisé.
Le concept d’extrême droite n’a plus rien à voir avec la politologie, et tout à voir avec la démonologie. Et la peur qu’ont bien des politiques et des intellectuels de se faire coller la funeste étiquette les incite à faire profil bas, à raser les murs. C’est une technique de cadenassage et de verrouillage reconnue du débat public. Plus étonnant toutefois: rarement, presque jamais, les journalistes qui ont en face d’eux les politiques ne les questionnent sur la signification de ce concept essentiel, sur lequel repose l’ensemble du débat public. On le devine, si ce concept venait à tomber, c’est tout le système de la respectabilité politico-médiatique qui s’effondrerait.
On y revient: aujourd’hui, en France, on en appelle ouvertement à la fermeture de chaînes télés et de magazines, on le fait fièrement, et cela ne révolte personne. Pire encore: ceux qui plaident pour cela, ou du moins, pour le bannissement des médias qu’ils n’aiment pas, osent s’inquiéter de la « démocratie illibérale » qui progresserait ailleurs en Europe. Et pourtant, à travers sa mutation diversitaire, la démocratie libérale se retourne contre elle-même, et renie les principes de base du libéralisme et de la démocratie, tout à fois. C’est le régime politique occidental, aujourd’hui, qui est de plus en plus autoritaire.
Le régime diversitaire revendique le monopole du récit médiatique légitime, jugé nécessaire pour mener à terme la rééducation d’une population soupçonnée d’être animée par les préjugés du monde d’hier. Dans cet esprit, il suffit qu’une seule voix se fasse entendre, sous le signe d’une dissidence assumée, pour dérégler le débat public. Les médias n’ont plus pour fonction de mettre en scène le pluralisme politico-intellectuel, mais de conditionner l’opinion, de rééduquer les citoyens réfractaires, et de punir exemplairement ceux qui ne consentent pas à plier le genou devant le régime diversitaire. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.