Soutenu par son solide allié russe, le régime Assad, en place à Damas depuis 1970, est venu à bout de la majorité de son opposition interne et du coup, mi-mai, il a été réintégré sans conditions dans la Ligue arabe d’où ses féroces ennemis sunnites l’avaient chassé il y a 12 ans…
La France, ancienne puissance mandataire au Levant (Syrie et Liban), entre les deux guerres mondiales, conserve, elle, pour le moment, des relations glaciales avec Damas, entichés que sont nos dirigeants d’idées « démocratiques », totalement impossibles à appliquer dans la géhenne orientale..
Ce ne fut pas toujours le cas : lors du 14 juillet 2oo8, le président Bachar el Assad et son épouse furent invités par le président Sarkozy à assister au défilé national, et dès 2001 le président Chirac avait nommé son jeune collègue syrien grand-croix de la Légion d’honneur, décoration qu’il devait renvoyer à Paris après les propos insensés du politicien Laurent Fabius sur le « bon boulot » accompli au Levant par les djihadistes…
Une minorité cruellement persécutée
Les rapports entre la France et la minorité musulmane alaouite, à laquelle appartient la famille Assad, étaient pourtant anciens et de qualité. Les Français, lors de leur mission mandataire au Levant, avaient vite saisi le mépris insondable des sunnites majoritaires envers la minorité alaouite (12 p 100 de la population syrienne totale), et les massacres voire la mise en esclavage que ce mépris de fer avait entrainés durant un millénaire.
Les alaouites*, un peu comme les druzes, les boharas ou les ismaéliens, forment une de ces sectes « aberrantes », issues pour des raisons souvent obscures de l’islam originel et qui ont forgé leur pugnacité en luttant contre la violente intolérance des sunnites majoritaires. Afin d’essayer de corriger un peu cette injustice historique, les Français créèrent en 1922 dans la région côtière de Lattaquié (antique Laodicée), où les alaouites étaient alors considérés comme majoritaires, un « État des alaouites » ; le 15 juin 1936, les principaux notables alaouites, dont Soliman el Assad, ancêtre direct des deux présidents syriens de ce nom, satisfaits de leur petit État autonome mais redoutant que Paris, sous pression du conformisme international, n’évolue vers une indépendance unitaire syrienne, écrivirent a León Blum, alors président du Conseil des ministres français, qu’ils craignaient que les minoritaires ne soient derechef à tout le moins discriminés ; ce qui plus tard évidemment ne manqua point d’arriver…
Cette missive historique capitale fut redécouverte dans les archives du Quai d’Orsay, à la fin du XXème siècle, par un duo de chercheurs franco-libanais, A. Laurent et A. Basbous, co-auteurs de « Guerres secrètes au Liban » (Gallimard, 1987).
« Saignés comme des moutons »
Afin de résister à une pression sunnite inouïe, la dictature alaouite instaurée en 1970 fut et reste impitoyable. Les sunnites sont sous surveillance permanente même si certains se sont plus ou moins ralliés par intérêt au régime Assad, dont le chef actuel Bachar (né en 1965) a en outre épousé une sunnite syrienne. Cependant la communauté d’origine de Madame Assad n’a nullement renoncé à reprendre le pouvoir et à se venger de ses anciens vassaux ou serviteurs alaouites qui, tôt ou tard, dit-on au Proche-Orient, « seront saignes comme des moutons« … Ces minoritaires islamoïdes, plus ou moins appuyés par les chrétiens syriens, vivant eux aussi depuis des siècles dans la crainte des exactions sunnites, se battent donc dos au mur ; ils jouent leur vie et leur avenir au quotidien. C’est la règle orientale du « je te tue sinon je sais que tu vas me tuer« …
Ce qui a changé, c’est que maintenant Bachar el Assad a pour ferme allié Moscou. Et aussi l’Iran chiite qui vomit les sunnites malgré des « baisers Lamourette » qui ne sont que des pauses dans cette haine intermahométane dont nous n’avons pas idée en Occident. Il faut préciser que les Syriens alaouites ont su séduire les Persans en ravivant leurs quelques liens religieux ancestraux et obtenir ainsi leur précieux et triple appui militaire, économique et politique. Ce qui ne devrait en rien nous choquer, au contraire, nous Français qui n’avons guère eu à nous louer de nos relations avec les sunnites lesquels ne nous ont jamais fait de cadeaux… Voir entre autres l’ingratissime Algérie… ■
* La communauté alaouite de Syrie et la dynastie alaouite du Maroc n’ont rien en commun si ce n’est un lien historique mais non idéologique avec le calife Ali, cousin, gendre et un des successeurs du prophète Mahomet. Les Alaouites du Maroc sont d’ailleurs clairement sunnites.
Bibliographie : « Assad » par notre confrère Régis Le Sommier qui a rencontré plusieurs fois Bachar el Assad et connaît concrètement le tragique théâtre syrien. Il en a tiré un petit essai enlevé qui éclaire un peu la personnalité pour le moins énigmatique de l’actuel chef de l’État syrien. Editions la Martinière, 2018.
Longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, Péroncel-Hugoz a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il a travaillé pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Les lecteurs de JSF ont pu lire de nombreux extraits inédits de son Journal du Maroc et ailleurs. De nombreuses autres contributions, toujours passionnantes, dans JSF.
Retrouvez les publications sous ce titre…
Pour la ministre française des Affaires étrangères, elle est favorable à un procès de Bachar al-Assad. Que dire de l’occupation illégale d’une partie du territoire de la Syrie par les Etats-Unis, avec en prime le vol du pétrole, ainsi que des sanctions contre les spoliés.
Merci pour cet article Mr Péroncel-Hugoz.