Film sorti en salles ce mercredi (24 mai).
Par Pierre Builly.
Jeanne du Barry de Maïwenn (2023).
Dernier amour.
Le bal des actrices ou Polisse, rien qui m’incline à aller regarder un film de Maïwenn, actrice bizarre à l’histoire compliquée et aux positions politiques variées. Et qui, de plus, a eu une relation avec le physiquement immonde Joey Starr. Rien qui me séduise là-dedans. Pourtant deux grands plaisirs qu’elle m’a donnés : celui d’avoir publiquement insulté Julie Gayet, la fille au scooter encombrant et surtout – et surtout -, jouissive, celle d’avoir empoigné par les cheveux et craché au visage de la raclure majuscule Edwy Plenel, le pape autoproclamé du Camp du Bien.
Deuxième raison : savoir que le film ne pourra faire autrement que filmer Versailles, le plus bel endroit du monde, le plus beau palais qu’on puisse voir sous le ciel. Quand on a cette merveille en face de la caméra documentaire de Monument Valley dans le Nouveau Monde, on se dit que l’Ancien (Monde) a quelques millénaires d’avance et n’a rien à craindre en termes d’émerveillements.
Cela écrit, j’en suis encore à me demander comment un film peut donner une telle insatisfaction, alors qu’il est pourtant bien filmé, bien interprété (Johnny Depp, le Roi, est magnifique, et Maïwenn en Du Barry, pas mal du tout), qu’il a bénéficié d’importants moyens matériels (figurants, costumes, décors et toute la kyrielle) et qu’il relate, sans trop d’inexactitudes la période la plus flamboyante de la vie de Jeanne Bécu (ou Jeanne Gaumard de Vaubernier, tout cela n’est pas très net), qui fut la dernière favorite du Roi Louis XV.
Un grand monarque, malheureusement affligé de timidité et de mélancolie, mais qui accomplit une action considérable en matière de diplomatie et dont les réformes, du Chancelier Maupéou, qui brisent les forces corporatistes, archaïques des Parlements auraient dû permettre à la monarchie française de se survivre et d’éviter les horribles épisodes de la barbare Révolution. Maupéou qui était, d’ailleurs, du clan de la comtesse du Barry.
Mais on ne parle pas de cela, on n’évoque pas du tout les enjeux politiques et l’atmosphère bouillonnante de l’époque dans le film de Maïwenn : on demeure malheureusement dans une sorte de retranscription filmée de Points de vue – Images du monde ou de Gala, c’est-à-dire dans une sorte de scénographie jolie, mais inutile de ce qui peut se passer dans la Cour d’un souverain.
Lorsque l’on va voir un film qualifié d’historique, on n’est pas pour autant acharné d’y retrouver une vérité scientifique ; et si Maïwenn avait pris quelques libertés excessives avec la réalité, on n’aurait pas vraiment le front de les lui reprocher. Il y a des spécialistes qui fronceront les narines sur des détails minimissimes – et pour le quidam moyen, insignifiants – Ce qui compte au cinéma, ce n’est pas l’exactitude d’une leçon prononcée au Collège de France, c’est l’emportement que le film doit faire subir au spectateur.
Voilà donc ce que l’on peut regretter, au vu du devoir bien ordonné de Jeanne du Barry : une grande sagesse, un grand respect de la grammaire cinématographique et surtout un grand manque de rythme. Comment décrire ce qu’est le rythme au cinéma ? J’en suis incapable ! Il y a des films de trois heures et plus qui le portent, des courts métrages de trente minutes qui en manquent. Qu’est-ce qui ne va pas, ou pas assez ? Dialogues, musique, montage ? Je n’en sais rien. Je sais qu’il y a des films qui vous portent, d’autres que vous regardez calmement. Évidemment, ce sont les premiers qu’il faut voir. Et aimer. ■
Chroniques hebdomadaires ordinairement publiées le dimanche.
La plume de Pierre Builly tient autant du scalpel que du pinceau ou de la brosse du peintre. Un régal. Merci pour cette critique. Une grande leçon.
D’accord avec Marc VandeSande. Pierre Builly sait écrire. Je ne zappe jamais ses chronique.SEt, en ayant parlé avec quelques lecteurs de JSF de mes amis aixois, je sais que je ne suis pas le seul !
Merci à Pierre Builly de sa plume. Dois-je aller voir ce film ? j’ai bien peur que la scène finale sur l’échafaud avec le mot célèbre de la Comtesse du Barry, « encore un moment MONSIEUR le Bourreau soit escamotée. Ce mot finalement sublime et non frivole , n’ a pas été compris en France ni par les uns et les autres, mais quelque peu moqué. . C’est Dostoïevski dans son roman « ‘ldiot » qui en révèle le sens par l’intermédiaire de son personnage un peu glauque de Lebedev : cette prière au pied de l’échafaud est christique puisque chaque instant de vie se révèle aussi instant de grâce.
La Comtesse du Barry a ainsi su transformer en éternité ces ultimes instants à vivre, éternité de grâce scellant ainsi la défaite du bourreau et montrant l’inanité d’une révolution, qui ayant éradiqué Dieu, voulait éradiquer l’homme.
Je signale que Grâce Elliot ,la sublime ex maitresse l du Duc d’orléans, à laquelle de Rohmer a consacré un superbe film ‘l’ Anglaise et le Duc – qui n’ pas eu l’avance sur les recettes– – a survécu miraculeusement à la terreur, et raconte dans ses mémoires qu’elle a rencontré la Comtesse du Barry au cachot avant son exécution , l’ a embrassée .Elle lui donne entièrement raison d’avoir résisté au sort indigne qui lui était réservé, ajoutant que si tout le monde avait fait de même on aurait pu faire reculer ces horreurs. Cela rejoint les réflexions d’Hannah Arendt sur la passivité des victimes.
@Henri : non, ami. Le film se termine pourtant sur d’assez belles séquences : l’agonie de Louis XV, la bougie qui brûle exposée sur un balcon, sous l’attention des courtisans. Puis les proclamations rituelles « Le Roi est mort ! » et aussitôt après « Vive le Roi ! » avec tout le monde qui se précipite pour rendre ses grâces aux nouveaux souverains, angoissés par ce qu’il leur arrive.
Jeanne du Barry est conduite, pour un an, dans un rigoureux Carmel, dont elle sort sur l’intervention personnelle de LouisXVI. Le film a le bon esprit de conter quels années qui suivent lui seront tranquilles jusqu’à ce que le négrillon Zamor, devenu aigre, dénonce la comtesse aux buveurs de sang qui la couperont en deux en décembre 1793.
Mais vous avez fort raison de rappeler son dernier mot.
Exact, cher Pierre.