Par Pierre Builly.
La vie commence demain de Nicole Vedrès (1950).
Allons au devant du matin !
Faire revivre magnifiquement Paris 1900 dans un film de montage d’une fluidité et d’une intelligence exceptionnelles a sûrement donné envie à Nicole Vedrès de regarder et d’illustrer la société qui prétendait, aux lendemains de la Deuxième guerre mondiale, ouvrir des horizons vibrants et chantants, une société qu’elle voyait vibrionner autour d’elle. Au milieu des espérances démesurées de la Libération, de l’aveuglement qui conduit, à chaque fin de conflit, à penser que l’Humanité sera désormais plus sage et que cette fois, elle aura retenu la leçon, voilà que la Science – avec un S majuscule – va nous ouvrir des chemins pavés de lys et de diamants.
C’est bien sympathique, au demeurant et c’est tourné de façon à intéresser le spectateur. Celui-ci va suivre le parcours d’un naïf, au sens du 18e siècle : un esprit ouvert qui, au cours de ses rencontres, va peu à peu quitter ses oripeaux de quidam banal et approcher des sortes de lumineux gourous ou précurseurs qui lui feront miroiter les lumières de l’Avenir (avec grand A).
Donc un touriste sans particularité (Jean-Pierre Aumont) qui projette de visiter les beautés du Paris traditionnel est fortuitement invité par une sorte de curieux sociologue (André Labarthe) à faire connaissance avec ce que le monde moderne présente de plus grisant et de plus moderne ou, plutôt, de plus ancré dans l’époque. Écrivains, penseurs, artistes, savants vont lui ouvrir les perspectives de ce que ce temps mirobolant présente aux hommes.
L’intérêt ethnographique du film est de montrer, dans l’environnement banal de leur quotidien, Jean-Paul Sartre, Jean Rostand, Le Corbusier, André Gide, Pablo Picasso, Jacques Prévert, Frédéric Joliot-Curie. C’est un peu ce qu’avait réalisé Sacha Guitry dans Ceux de chez nous en 1915 en filmant Auguste Rodin, Claude Monet, Anatole France, Auguste Renoir (reconstituant leurs paroles lors des projections).
Mais dans La vie commence demain, toutes les personnalités filmées exposent les évolutions extraordinaires dont l’Humanité, enfin débarrassée des oripeaux paralysants de l’Ancien monde, va bénéficier.
Ce discours d’un extraordinaire optimisme est sans doute la dernière manifestation concrète du scientisme qui voyait dans le progrès indéfini et infini des techniques la solution terminale à tous les problèmes et les incertitudes rencontrés au cours des âges.
Jean Rostand qui entrevoit et n’est pas loin de célébrer toutes les aventures d’apprentis sorciers qui conduisent aujourd’hui aux projets de manipulations génétiques, d’eugénisme, de travaux (et de trafics) sur L’homme augmenté, Le Corbusier qui, au sommet de la Cité radieuse qu’il est en train de faire construire à Marseille, prévoit des villes intelligentes où l’infinie complexité de chacun sera canalisée par un dessein rationnel.
Aussi André Gide qui, ne voulant jamais rater une révolution et espérant toujours rester jeune (et ami des jeunes) se jette avec une volupté un peu perverse dans une modernité qu’il approuve sans la vraiment comprendre, les époux Joliot-Curie et André Labarthe qui imaginent une société où l’énergie sera gratuite et inépuisable… et Picasso qui refile avec roublardise ses artefacts d’imposteur…
Je me moque parce que, précisément, c’est naïf et très empreint de l’esprit de 1950, dans la croyance en un âge d’or qui ne peut pas manquer de survenir. Le progressisme idéologique y est charmant et déterminé ; mais – comme c’est drôle ! – dès que Jean Rostand évoque les évolutions que permettront des techniques de rajeunissement, les images qui sont montrées sont celles de jolies négrillonnes à demi nues ; on a beau être de gauche, on ne place pas tout à fait sur le même plan Africaines et Européennes….
Je demeure donc goguenard mais charmé par ce filmage habile et intelligent de ces célébrités éclatantes mais surtout par la façon dont Nicole Vedrès a su placer des images sur leurs paroles et décrire leurs envolées. D’ailleurs et s’il était besoin d’avoir une belle opinion sur cette personnalité si rare, morte si jeune, à 54 ans en 1965, il n’est besoin que de regarder dans un supplément du DVD, le long entretien qu’elle a accordé à Roger Boussinot pour l’émission Démons et merveilles, un de ces petits trésors de la télévision à chaîne unique. Elle s’y montre extraordinairement brillante, pétillante d’esprit et de charme… Quoi d’étonnant ? ■
DVD autour de 25€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.