PAR RÉMI HUGUES.
Article en 6 parties, publiées à dater du dimanche 28 mai puis les jours suivants.
Western connexions
En définitive l’islam que incarné et propagé par la Confrérie est un islam qui s’avère occidentalo-compatible, comme Chauprade le fait remarquer plus haut et parlant de bienveillance américaine. Cela peut sembler étonnant, voire contradictoire : n’oublions pas la « nation frériste », la Turquie, est le pivot stratégique de la zone sud-est de l’OTAN. Lors des Printemps arabes elle a été le refuge pour les Frères musulmans syriens cherchant à renverser Bachar Al-Assad.
D’autres pays de l’alliance militaire occidentale ont servi d’asile aux hauts dignitaires de la Confrérie persécutés dans leur pays. L’Allemagne pour le Syrien Issam Al-Attar comme on l’a vu précédemment. On peut de surcroît citer l’exemple de Ghannouchi du parti tunisien Enahda, qui a vécu « en exil à Londres. »[1]
Londres est la capitale européene du mouvement frériste : à partir de 1981 y siège le maktab al-gharb (« bureau de l’Ouest »), puis, dix ans plus tard, la Federation of Islamic Organisations in Europe (FIOE) – dont la branche française, l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), avait participé à la création du Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2003 – s’y installe. « Les liens entre la FIOE et les Frères musulmans sont bien réels mais informels : ils passent surtout par des relations interpersonnelles »[2], remarque Xavier Ternisien.
Sans oublier Tariq Ramadan, le frériste à la notoriété la plus grande dans la sphère francophone, est son très prestigieux son poste de Professeur à l’université d’Oxford (Oriental Institute, St Antony’s College).
L’hebdomadaire Le Point a fait état, sous la plume de Ian Hamel, des liens entre Royaume-Uni et États-Unis d’une part et Frères musulmans d’autre part. Le journaliste cite une note du renseignement suisse selon laquelle Saïd Ramadan « est très certainement en excellents termes avec les Anglais et les Américains ». Il mentionne en outre une fiche du 5 juillet 1967 où Saïd Ramadan est qualifié d’« agent d’information des Anglais et des Américains ». Et évoque la rencontre entre ce dernier et Dwight Eisenhower à la Maison-Blanche en juillet 1953, où une délégation des Frères musulmans avait été invitée[3].
Le Reis et l’Europe
C’est ce même Le Point qui a récemment dévoilé selon quelles modalités l’Europe est un théâtre d’opérations du frériste Erdogan, qui « joue tour à tour de l’intimidation, des menaces, du chantage. Il ne dédaigne pas, parfois, le registre de la coopération.
Mais, en coulisse, il orchestre les opérations d’influence et de désinformation et lance ses agents à l’assaut de ses opposants réfugiés en Europe. C’est ce jeu de dupes que mettent au jour deux des meilleurs experts français du régime d’Erdogan, Laure Marchand et Guillaume Perrier (journaliste au Point), dans un livre dont le titre, Les loups aiment la brume (Grasset), évoque à la fois la férocité des moyens engagés par Ankara et la dissimulation qui entoure les véritables objectifs du ‟Reis”.
Il y est question d’espionnage, d’intimidation mais aussi d’assassinats politiques, comme l’élimination de trois dirigeantes kurdes, tuées par balles le 9 janvier 2013 à Paris.
Les auteurs, qui ont recueilli de nombreux témoignages, relatent comment Recep Tayyip Erdogan mobilise à la fois son puissant service de renseignement – le MIT –, la direction des Affaires religieuses – le Diyanet – et les milliers d’imams qui en dépendent, ainsi que les sinistres Loups gris, groupe ultranationaliste lié au parti d’extrême droite MHP, pour maintenir sous sa coupe la communauté turque en Europe (5 millions de personnes).
Ils dévoilent les liens troubles qu’a noués son régime avec des réseaux mafieux turcs. Et ils expliquent comment ces actions vont s’intensifier à l’approche des élections de 2023 – qui se présentent mal pour Erdogan, sur fond de crise économique et d’inflation. »[4] ■ (À suivre).
[1]Xavier Ternisien, op. cit., p. 197.
[2]Ibid., p. 188.
[3]Ian Hamel, « Quand la CIA finançait les Frères musulmans », Le Point, 6 décembre 2011.
[4]Luc de Barochez, « Les hommes de main d’Erdogan en Europe », Le Point, 8 septembre 2022.
Publié le 15.12.2022 – Actualisé le 31.05.2023
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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