Par Antoine de Lacoste.
Comme le laissaient prévoir les résultats du premier tour, Erdogan a remporté l’élection présidentielle turque. Avec 52% des voix sa marge est étroite mais le succès est là et le sultan est au pouvoir pour cinq ans de plus.
Cette victoire a surpris de nombreux observateurs en particulier les médias occidentaux qui avaient multiplié les prévisions favorables à l’adversaire d’Erdogan, Kemal Kiliçdaroglu pour qui ils avaient pris fait et cause.
Il est vrai que les obstacles s’étaient accumulés sur la route du président sortant. L’économie turque est ainsi dans une situation plus que précaire avec une inflation galopante qui a même frôlé les 90% l’an passé. Le pouvoir d’achat de la population s’en est durement ressenti, aussi bien dans les zones urbaines que rurales.
Le tremblement de terre du 6 février dernier, qui a tué au moins 50 000 personnes, a révélé de très nombreuses carences. Les normes anti-sismiques étaient bafouées dans de nombreux immeubles qui se sont effondrés. Les permis de construire avaient été cependant accordés, corruption oblige. Les secours sont intervenus tard et mal, aggravant le nombre de victimes coincées sous les décombres. Et, pour l’anecdote, le Croissant Rouge, censé distribuer des tentes aux sans-abris, les a vendus le plus tranquillement du monde.
La colère qui est alors montée dans le pays aurait pu balayer Erdogan. Mais c’était compter sans la personnalité de son adversaire. Il avait pourtant réussi à unir l’opposition réunissant des libéraux, des socialistes, des anciens amis d’Erdogan, certains nationalistes islamistes, les Alévis et les Kurdes.
Ce sont ces deux derniers groupes qui ont peut-être fait basculer le scrutin. En soutenant bruyamment Kiliçdaroglu, les Kurdes ne lui ont pas rendu service. Honnis par une bonne partie de la population sunnite, largement majoritaire dans le pays, les Kurdes ont certes apporté l’écrasante majorité de leurs 20 à 25 millions de membres, mais ont poussé de nombreux sunnites à voter Erdogan au nom de l’unité nationale. Le fait que Kiliçdaroglu ait des origines partiellement kurdes n’a rien arrangé.
Il en est de même des Alévis. Cette communauté, issue d’une scission de l’islam, est regardée avec méfiance, voire rejetée par l’ensemble des sunnites. Or, Kiliçdaroglu s’est revendiqué fièrement de cette appartenance religieuse ce qui lui a sûrement coûté de nombreuses voix.
Dès lors, le discours sur la paix, les droits de l’homme et la démocratie n’a pas eu l’impact espéré par l’opposition.
Depuis Mustapha Kemal qui a bâti la Turquie moderne après l’effondrement de l’Empire ottoman, la démocratie n’a jamais été l’idéal absolu du peuple turc. Ce qu’il met au premier plan c’est l’islam sunnite et le nationalisme. Il préfère un sultan autoritaire à un démocrate alévi ami des Kurdes.
La Turquie est un pays dont le socle est l’islamo-nationalisme. C’est ainsi et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle ne doit jamais entrer dans l’Europe. ■
Retrouvez l’ensemble des chroniques proche-orientales et géostratégiques ’d’Antoine de Lacoste parmi les articles de notre catégorie Actualité Monde.