PAR RÉMI HUGUES.
Article en 6 parties, publiées à dater du dimanche 28 mai puis les jours suivants.
L’« Eurafrique » dans le collimateur
À l’évidence, si l’Afrique subsaharienne est une importante terre de conquête de la Confrérie, elle n’est pas la seule. Sur ce point Chauprade rapporte : « Toutes les grandes sources de l’islamisme radical sont aujourd’hui fortement présentes en Afrique noire [dont] la tendance des Frères musulmans […]. Des prédicateurs marocains ou égyptiens sont en action en Afrique noire »[1].
Outre le continent noir, la Confrérie a l’Europe dans le viseur. Avec, des années durant, l’appui des Saoudiens. « Le rôle de Saïd Ramadan dans l’expansion de la pensée des Frères musulmans en Occident est considérable, notamment à travers la publication de la revue Al-Muslimum, qui paraît jusqu’en 1967 »[2], soutient Ternisien. Or Ramadan « profite à plein de l’argent saoudien pour ses activités de prédication en Europe. »[3]
Les Frères musulmans ne visent pas moins que l’hégémonie globale, via un Califat mondial, comme l’atteste cette déclaration publique du bras du guide suprême de l’organisation, Muhammad Khairat Al-Shater, prononcée en mars 2011 suite au renversement d’Hosni Moubarak :
« Les Ikwan [Frères musulmans] travaillent à restaurer l’islam dans sa conception globale pour la vie des gens et considèrent que cela ne se fera qu’à travers une société forte. Ainsi, la mission est claire : soumettre les gens à Dieu ; instaurer la religion de Dieu ; islamiser la vie ; renforcer la religion de Dieu ; établir la renaissance (Nahda) de l’oumma [communauté ou nation musulmane] sur la base de l’islam. […] Ainsi, nous avons appris [pour commencer] à construire l’individu musulman, la famille musulmane, la société musulmane, le gouvernement islamique, l’État islamique mondial »[4].
Ce projet très ambitieux passe ainsi par l’islamisation – ou plutôt la « frérisation » – de notre continent. C’est pourquoi l’AKP d’Erdogan est « le défenseur intransigeant de l’entrée dans l’Europe »[5].
L’analyse de cette question par le journaliste du Point Luc de Barochez est particulièrement éclairante : en 2004 « les dirigeants des pays de l’Union européenne donnent leur feu vert à l’ouverture de pourparlers en vue d’une adhésion de la Turquie. Ces négociations ne vont pas tarder à devenir l’un des pires fiascos de l’histoire de l’unification politique du Vieux Continent. Dix-huit ans plus tard, le président turc incarne un dilemme insoluble pour l’UE, à laquelle il n’a officiellement jamais renoncé à adhérer mais avec laquelle il se comporte comme un adversaire résolu. »[6]
Comme l’intégration de la Turquie est au point mort, à la stratégie de l’entrée depuis l’extérieur s’est substituée la stratégie d’influence depuis l’intérieur. « Pour les Français et les Allemands, le danger islamique est intérieur parce qu’il existe une forte communauté turque dans l’État allemand, maghrébine dans l’État français »[7], est bien obligé de reconnaître Adler. ■ (À suivre).
[1]Aymeric Chauprade, op. cit., p. 320.
[2]Xavier Ternisien, op. cit., p. 216.
[3]Ibid., p. 217.
[4]Cité par Joseph Daher, Un fondamentalisme religieux à l’épreuve du néolibéralisme, Paris, Syllepse, 2019, p. 10-11.
[5]Jean-François Colosimo, op. cit., p. 85.
[6]Luc de Barochez, op. cit.
[7]Alexandre Adler, op. cit., p. 232.
Publié le 16.12.2022 – Actualisé le 01.06.2023
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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