Par Pierre de Meuse.
Le ministre de l’Intérieur a fait parvenir à tous les préfets de France une lettre d’instructions par laquelle il les enjoignait d’interdire systématiquement toutes les manifestations de l’ultra-droite. Dans ce document, il justifie cette interdiction par le « risque de slogans ou propos de nature à mettre en cause la cohésion nationale ou les principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme » : l’« apologie de la collaboration », ou encore l’« amalgame entre immigration et islamisme » sont cités en exemple. Enfin, le ministre met aussi en avant le « risque que ne soient commises des infractions pénales », notamment l’incitation à la haine ou à la discrimination. Il déclare de même à la Chambre des députés « J’ai donné comme instruction aux préfets » lorsque « tout militant d’ultra-droite ou d’extrême droite ou toute association ou collectif, à Paris comme partout sur le territoire, déposera des [déclarations de] manifestations » qu’ils prennent « des arrêtés d’interdiction » Et il se réfère à la jurisprudence « identitaires- Dieudonné » et conclut, curieusement : « nous laissons au tribunal de trancher ». Que comprendre à ce salmigondis ? Et d’abord, quelle est la jurisprudence à laquelle se réfère le ministre ? Il s’agit de deux arrêts du Conseil d’État, statuant comme juge en appel des référés, en date du 9 janvier 2014, l’autre du 30 mai 2021. Par le premier (Dieudonné), le juge administratif déclare que :
– Le préfet a pu, sans illégalité, procéder à l’interdiction du spectacle à raison de son contenu dès lors que ce dernier est connu et porte atteinte à la dignité de la personne humaine (..) risquant d’occasionner des propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale, (et donc entraînant) de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine ;
– qu’il appartient en outre à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ; qu’ainsi, en se fondant sur les risques que le spectacle projeté représentait pour l’ordre public et sur la méconnaissance des principes au respect desquels il incombe aux autorités de l’État de veiller, le préfet de la Loire-Atlantique n’a pas commis, dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative, d’illégalité grave et manifeste.
Par le second, le même juge valide l’interdiction de « Génération identitaire », au motif que celle-ci, dans ses actions, désigne les étrangers à la vindicte publique.
Ces deux arrêts, certes, ne sont pas anodins, dans la mesure où ils considèrent comme légitime une nouvelle atteinte à la liberté d’expression, mais surtout parce qu’ils permettent apparemment au ministre de relier abusivement une pitrerie corrosive et un combat politique objectif, celui de la lutte contre l’immigration de masse, dont il serait illégal de contester les bienfaits. Si cette jurisprudence devait être étendue, comme le suggère Darmanin, ce serait une révolution juridique sans précédent, dans la mesure où la loi pénale, restrictive par définition, pourrait sanctionner des délits éventuels, et surtout établir une nouvelle religion d’État, dont les dogmes, supérieurs à la loi, en seraient l’inspiration.
Est-ce donc la pensée du ministre de l’Intérieur ? En fait, ses motivations sont différentes, et purement politiciennes. Il faut bien comprendre que, depuis la fin de l’Ancien Régime, un ministre de l’Intérieur (anciennement ministre de la Police) a comme mission principale, non pas la sécurité et la quiétude des administrés, mais la préparation des élections, afin de s’assurer que l’équipe ministérielle gardera le pouvoir.
En fait, c’est su de tous, le gouvernement Macron a connu une impopularité sans précédent, puisque toutes les tendances du prisme politique, centristes exceptés, se sont soulevées contre le Président à cause de la loi qu’il a imposée sur le régime des retraites. Le gouvernement de Macron peut bien se dire que les fluctuations de l’opinion sont des épiphénomènes de peu de conséquence, mais l’an prochain se dérouleront les élections européennes et il serait désastreux qu’elles permettent une progression trop marquée d’un parti en désaccord avec l’évolution immigrationniste et fédéraliste de l’Union européenne. Que faire donc ? Darmanin a choisi d’appuyer sur un levier vieux comme la république : la peur de « l’extrême Droite ». Les avantages sont patents, car elle a pour effet de diviser les ennemis du gouvernement. Pour cela, il a suffi à notre Rastignac d’autoriser la mascarade – au sens propre – du 9 mai, avec ses quatre cents figurants déguisés en croquemitaines qui se sont fait un plaisir de lui fournir des comparses gratuits et enthousiastes.
À partir de là les interdictions tous azimuts qu’il a édictées reçurent l’approbation d’une Gauche toujours prête à justifier les privations de liberté si elles visent ses ennemis mythiques. Les effets ne se sont pas fait attendre : le 26 mai, le Figaro publiait une enquête d’opinion indiquant « qu’Emmanuel Macron reprend des couleurs dans l’opinion : le président de la République y gagne, en un mois, 6 points d’avis favorables, – une poussée sondagière qui l’amène à 32% de popularité. Si le chef de l’État reste environ 10 points en dessous de l’étiage d’il y a un an, lors de sa réélection, il n’est plus à son plus bas niveau depuis la crise des gilets jaunes. À savoir, 26% de bonnes opinions parmi les sondés. » Finie l’union nationale contre la politique du gouvernement. Dans le même temps, Darmanin envoie des signaux en vue de rameuter la « Droite républicaine » pour le soutien à la loi déjà rédigée sur l’immigration, à la rage d’Élisabeth Borne, qui se sent assise sur un siège éjectable. Enfin, il peut espérer obtenir à force de censure et de répression une radicalisation des réprouvés qui lui permettrait d’améliorer la moisson de « complots » à livrer à la presse, limitée depuis dix ans à des vantardises et des propos d’après-boire, afin de renvoyer dos-à-dos le terrorisme d’extrême-Droite et le terrorisme islamiste, le terrorisme de l’extrême Gauche n’étant pas censé exister.
Dans cette affaire, l’Action Française a su tirer son épingle du jeu en esquivant l’interdiction de ses manifestations, grâce à l’habileté de ses avocats, et peut-être aussi parce qu’elle a été avertie avant les autres mouvements par un fonctionnaire courageux. Cela dit, il ne faut pas croire qu’elle échappera à toutes les persécutions. Le calcul du ministre de l’Intérieur est d’ailleurs en phase avec l’Union européenne qui vient de menacer de sanctions très lourdes le forum Twitter par la bouche de Thierry Breton s’il refusait de censurer les commentaires opposés aux versions officielles, dans tous les domaines. Car la question n’est pas ici la liberté d’expression mais la liberté de penser et le courage de se défendre, qui sont les conditions de toute renaissance. En effet, Darmanin et sa police de la pensée, malgré le prosaïsme de leurs motivations, ne veulent pas seulement empêcher une parole, mais une démarche de l’esprit. Quoiqu’on fasse, nous sommes et serons toujours des opposants à cette vision totalitaire imposée par l’autorité illégitime. Et nous sommes du côté d’Orwell et de son anarchisme tory, lorsqu’il prévoyait l’assomption sinistre des slogans : « La vérité c’est le mensonge, la Paix, c’est la guerre, la Liberté c’est l’esclavage, l’Ignorance, c’est la puissance ». ■
Tout est dit et fort bien dit.
Bien belle analyse. Bravo a Pierre.
Selon cette pertinente analyse, on doit considérer le «regain» de «bonnes opinions» comme s’il provenait du réservoir de l’«antidroite»… Ce réservoir consiste en une baudruche que l’État joufflu gonfle ou dégonfle a volonté, réservoir au contenu d’abrutis vaccinés, auxquels il est nécessaire d’injecter périodiquement un «rappel» empêchant la décomposition de la plastique immunitaire, laquelle se liquéfie un tantinet et peut passe-passer du bulletin PS au LR, puis à celui RN, au deux ou troisième cambriolage venu… C’est un tour d’équilibriste un rien périlleux que de remplir à coup de chauds et froids les sacs et ressacs. Désormais, l’État superficiel et «profond» (c’est l’État tout court), ne dispose plus que d’une arme et une seule, toujours la même depuis l’Épuration : Hitler est leur salut, quand «ils» ne parviennent pas à en comploter l’installation commode, il leur faut l’inventer, et «ils» l’inventent ; d’une part. Par suite, cela permet d’interdire juridiquement l’expression de n’importe quelle pensée non aseptisée. Contre cela, il n’y a rien d’autre à tenter que le coup de marteau sur le crâne à savoir «Une bonne paire de claques dans la gueule…», «Les doigts d’pieds coincé dans une meule», selon les vers de la chanson d’antan (de Gainsbourg, sauf erreur, mais, surtout, interprétée exactement comme il faut par la délicieuse Anne Gacoin).
Mais voilà le couperet de l’interdit de marteau qui tombe : il est proscrit de philosopher comme il faut, de réfléchir, de gamberger, de chanter et de louer Dionysos : «Le grand Pan, l’Amour, Jésus Christ / Sont bien morts ; et les chats miaulent»(Apollinaire) – ce n’en est pas moins le Crépuscule des idoles…
La question sociale qui se pose à l’Idée royale – dont nous sommes censés, au moins, conserver le cœur – est celle du faire, de la façon et du comme il faut : défiler dans les rues, avec pancartes et slogans ? Rafales de mitrailleuse lourde (si l’on en a) dans l’tas ? Redevenir chouans et, alors, comment ? Se réunir entre nous et/ou palabrer tout seuls dans nos coins ? etc., etc., etc. Ou bien céder aux tentations du merrrrrdier de papelard dans les urnes et d’la candidature : j’ai cédé à celles-ci – pour le moins décevantes…
Seulement voilà qu’un autre réservoir apparaît, celui des pékins qui ne votent plus. Si l’on additionne les inscrits abstentionnistes et les non inscrits sans voix, la somme voisinerait 75% des potentiels votants… Prendre la crasseuse démologie à sa propre saleté et trouver le moyen de convaincre les «sans-voix»… Certes, ce n’est pas bien spectaculaire, pas très honorable non plus, encore moins héroïque et sans aucun panache ; bref, c’est assez vulgaire, mais enfin, si l’on y réfléchissait tout de même…
Je suis d’accord pour la manœuvre sans panache mais efficace suggèree ci-dessus
BREF, toutes les opinions sont acceptées à condition qu’elles soient en accord avec le pouvoir ( temporaire) en place
Manifester est un droit reconnu à condition d’obtenir l’autorisation avant et ne pas remettre en cause le système, toutes les manifestations favorables au régime seront acceptées
Tout simplement : Datmanin vise le poste de Premier ministre, en enfonçant Élisabeth Borne..