Par Hilaire de Crémiers.
C’est le régime qui la suscite. Celui qui tient le pouvoir, veut y briller comme un homme providentiel.
L’homme – Macron – use ainsi jusqu’à la corde les institutions de la Ve République.
Vous écrivez toujours la même chose, nous dit-on. C’est évidemment parce que c’est toujours la même chose. Et qu’y peut-on ? La République française ne s’améliore pas, c’est un fait. Malgré la propagande éhontée du gouvernement et les propos rassurants du président de la République qui n’hésite pas à relever le ton jusqu’à l’exhortation et l’admonestation. Même les cérémonies funéraires en l’honneur des morts en service commandé servent à ce genre d’exercice : une explication des malheurs du temps qui ne sauraient relever de ses responsabilités !
Pourtant, les commentateurs du malaise français, indéniable et durable, et qui s’aggrave maintenant dangereusement, n’y vont plus par quatre chemins dans leurs explications qui se répètent, elles aussi, fort naturellement, et se croisent fort justement. Il suffit d’écouter – et ne serait-ce, pour prendre cet exemple, que sur l’actualité politique – un Mathieu Bock-Côté, une Charlotte d’Ornellas, une Gabrielle Cluzel, un Guillaume Bigot, un Yvan Rioufol, pour repérer de manière précise ce qui ne va plus – mais plus du tout – au royaume de France. Sans même chercher à citer ces dizaines d’autres brillants intervenants, particulièrement sur TVLibertés et sur Radio Courtoisie qui disent enfin tout haut ce qu’une bonne partie des Français pense tout bas. Car – et tout le monde le sait bien –, le contrat social du régime, renouvelé dernièrement, et qui est imposé aux Français, leur interdit de penser ce qu’ils pensent et leur commande de penser comme le régime leur signifie de penser. C’est ainsi, aussi monstrueux juridiquement que cela puisse paraître. Huxley et Orwell combinés ! Rien n’est plus évidemment contraignant aujourd’hui que cet impératif catégorique de la République. Chaque ministre y va de sa leçon et Madame Borne n’est pas en reste. Encore dernièrement. Dans sa fonction, elle désigne le Mal ; elle dit le Bien ; elle est le Bien. Comme son chef, Macron.
Interdit de pensée
Les analyses des commentateurs avertis qui dénoncent unanimement cette « bienpensance » officielle, ne sont plus isolées. Loin de là ! Elles prennent leur force de tant de convergences. Elles ne changent rien au cours des choses – car ainsi va la politique démocratique ; mais elles témoignent. Et, à ce titre, depuis maintenant quelque temps, cette critique aiguisée et répétée fait peur à toutes les classes politiques et médiatiques qui vivent des illusions de leur domination et qui cherchent à justifier les principes sur lesquels repose leur pouvoir, cette autorité usurpée puisqu’elle s’érige au-dessus des contingences dont elle est issue, et qui autorise à se permettre tout, y compris le pire, pourvu qu’il aille dans le sens de leur démagogie ; en même temps qu’elle interdit formellement et métaphysiquement de penser, de parler, de s’exprimer, à ceux qui contestent un tel système. Jusqu’à interdire des réunions comme un colloque d’Action française ou vouloir supprimer un défilé traditionnel en l’honneur de Jeanne d’Arc – et qui n’a jamais causé aucun trouble public –, organisé par cette même Action française !
C’est ainsi que, devant ce qui s’annonce, tant d’essayistes essaient de voir clair. Christophe Guilluy avec ses Dépossédés, qui montre comment tout a été fait pour priver le peuple français de tout ce qui le constitue ; Patrick Buisson avec Décadanse après La fin d’un monde, qui relève toutes les causes – voulues – qui depuis cinquante ans détruisent systématiquement la société française ; Marcel Gauchet avec Le débat, qui porte un jugement de plus en plus sévère sur la politique macronienne et qui parle de « crise morale des institutions » ; Jérôme Fourquet avec La France sous nos yeux et L’archipel français, qui explique l’éclatement de la France et l’existence de communautarismes exacerbés et juxtaposés ; Pierre Manent avec sa Situation de la France, fort critique sur une fragmentation entretenue délibérément par des politiques aberrantes, promues par des philosophies totalitaires et exclusives, sous prétexte, ô paradoxe, de libéralisme progressiste ; Rémi Brague avec son dernier essai Sur l’islam où il énonce de simples vérités sur un sujet qu’il connaît parfaitement, mais que la pensée officielle refuse même d’entrevoir, alors qu’elle se nourrit de faux principes qu’elle applique dans l’éducation, la vie sociale, la communauté politique, si bien que rien ne résistera demain à un islam conquérant. Oui, ce sont cent auteurs de cette qualité qu’on peut aujourd’hui citer, à droite, à gauche, peu importe, même des Jacques Julliard, même des Rosanvallon, même des Peyrelevade, le vieux banquier de la gauche mitterrandienne, qui s’indignent de la situation actuelle et qui lancent de sombres pronostics sur la république macronienne. Éric Zemmour, déjà bien avant eux, avait dénoncé Le suicide français, Macron n’étant que l’aboutissement de cinquante ans de décisions politiques, économiques et financières sacrifiant la souveraineté française, l’indépendance nationale, les intérêts concrets du peuple français à la folie de pouvoirs supranationaux, considérés comme le nec plus ultra de toute conception politique ! L’évolution politique d’un Renaud Camus, homme de gauche s’il en fût et soixante-huitard, est en elle-même significative. On ne fait pas le bonheur d’un peuple contre la volonté d’un peuple, au risque d’annihiler ce peuple ou de le « remplacer ». ça commence à se dire dans tous les milieux, y compris au centre, sauf à l’extrême-centre macronien ! Qui continue imperturbablement dans son déni de réalité.
La cause : la République
Il ne s’agit pas seulement de se contenter d’aligner des constats, ou des idées et des propositions. Il faut voir les liens de cause à effet. Cette politique dite nationale, malfaisante dans ses principes, incohérente dans ses applications, est le fruit direct du régime, pas seulement des hommes et des femmes qui nous gouvernent avec cette idée démiurgique de diriger l’ensemble de nos vies, de la naissance, possible ou non, à la mort organisée et préparée, de notre éducation, de notre instruction, de notre travail, de notre retraite, de nos droits classés, réglementés, bref tout, loi sur loi, décret sur décret, règlement sur règlement. Tout cela dans un désordre écrasant qui se veut un ordre. Ils n’ont tant de pouvoir que par la grâce de ce régime, car c’est une grâce pour ainsi dire religieuse d’adhésion au dogme fondamental de la République qui les investit de ce droit supérieur, littéralement exorbitant de tout droit et de toute norme naturelle, et qui tourne, sous couvert de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, principes abstraits, s’il en fût, et contradictoires, au totalitarisme le plus absolu, camouflé en libéralisme avancé, mais obligatoire.
S’ils sont là, ces bandes et ces clans improbables, d’aventuriers de passage, aux multiples ramifications d’affaires et aux collusions de toutes sortes – les commissions parlementaires saisies, Énergie et nucléaire, autoroutes, fonds Marianne, et autres McKinsey, n’aboutissent et n’ont jamais dans le passé abouti qu’à rien –, oui, s’ils sont là, c’est parce qu’ils correspondent aux intérêts de ce régime. Pas besoin d’être très finaud pour le saisir. Et c’est bien un régime politique – au sens étymologique du terme – qu’ils sont d’abord chargés de maintenir tout en développant son emprise, fût-ce aux dépens de la France et des Français. Leur République, d’abord. Écoutez-les tous, tant qu’ils sont ! Elle leur appartient ; elle est là pour eux comme ils sont là pour elle. C’est un pacte.
Ne pas comprendre ce lien nécessaire entre les institutions et ceux qui les tiennent et sont censés les représenter, c’est s’aveugler sur la véritable cause de nos maux. Et s’imaginer que le régime serait améliorable par de nouvelles équipes qui seraient dotées d’un sens politique supérieur, et qui s’empareraient de cet État tel qu’il fonctionne dans ses principes et sa pratique, est l’illusion dans laquelle la France traîne régulièrement, en croyant qu’un coup de balai électoral suffira à régler le problème. Consultez les journaux de l’époque : on croyait la même chose en 1900 !
Le régime est constitutionnellement vicié et le système actuel en est devenu la naturelle expression. La France est mal représentée ; elle n’est même pas du tout représentée dans sa réalité ; les intérêts français ne sont pas pris en compte ; les ministères et les innombrables agences et autorités décident officiellement sur des normes qui n’ont plus rien à voir avec l’intérêt national. La famille française est sans cesse attaquée ; on connaît l’état de l’industrie et ce n’est pas le Choose France de Macron qui remédiera à une crise existentielle – la fabrication de batteries n’est rien en comparaison des destructions en cours –, sauf à brader la France à des intérêts étrangers, invités gracieusement à faire leurs emplettes chez nous et à toucher les subventions de l’État, puis à partir avec les technologies. L’agriculture française est abandonnée et voilà que Monsieur Moscovici, l’ancien commissaire européen, jouant de son autorité à la Cour des comptes, ne pense qu’à restreindre drastiquement l’élevage français. Tout est broyé, déstructuré. Même ce qu’on appelle les territoires. Le pouvoir législatif n’est qu’une figuration instrumentalisée par le gouvernement et les partis. Borne a, d’ailleurs, clairement signifié qu’elle préférait LFI au RN. Les LR malgré leurs propositions de lois sur l’immigration n’ont aucune illusion à se faire. Tant de querelles intestines pour aboutir à quoi ? Même la proposition de loi pour revenir sur l’âge de la retraite du groupe LIOT ne franchira pas le cap de la velléité parlementaire et ça risque de se voir dès le 8 juin.
L’exécutif est le maître du jeu ; et l’exécutif n’a plus aucun lien avec la France. Il se contente de pourchasser tout adversaire, en le qualifiant d’« ultra-droite ». Il trafique avec l’argent qu’il emprunte à coups de milliards pour dissimuler les effroyables problèmes qu’il accumule, avec l’intention de taxer ce que Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics, appelle les ultra-riches, c’est-à-dire tous les braves gens.
Et, là-dessus, domine Macron. Un seul regard et vous comprenez tout de cet étrange gamin immature et forcené : il a reçu à part à son sommet de Versailles le 15 mai Elon Musk. La photo est parlante. Il est fasciné par la réussite de l’homme qui se croit fait pour dominer le monde et lui imposer sa loi dans tous les domaines, Tesla, SpaceX, implants électroniques, Twitter, etc. Tout est là. Il se rêve en Elon Musk de la politique, dans la libre affirmation d’une personnalité géniale faite pour fasciner l’univers. Et, donc, jusqu’au bout du monde. Et pourquoi pas alors un appareil d’État français pour transporter son ami Zelenski de sommet en sommet ? En se croyant ainsi l’indispensable maître de la guerre et de la paix. « Le problème avec la folie des grandeurs, c’est qu’on ne sait pas où finit la grandeur et où commence la folie », disait le dessinateur argentin Quino qui, avec Sempé, se voulait un résistant de l’humour. Y a-t-il seulement un humour qui puisse résister à Macron ? ■