PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Commentaire – Quels que soient les efforts de présentation de la rédaction du Figaro pour limiter la portée de cette chronique à la seule défense de l’école libre, Mathieu Bock-Côté ne s’en prend pas moins à l’essence même et à l’origine des faiblesses françaises lorsqu’il porte sa critique sur « le discours public français (qui) n’envisage le commun que sous le signe de la laïcité, comme s’il s’agissait de la seule identité collective autorisée » ; lorsqu’il en appelle à l’identité française plutôt qu’à la laïcité, et lorsqu’il précise : « Ceux qui parlent indistinctement du « phénomène religieux » sous prétexte de ne pas cibler une religion en particulier et de ne pas discriminer oublient que toutes les religions ne sont pas interchangeables et n’entretiennent pas la même relation avec l’histoire de France et l’espace public » ; enfin lorsqu’il rappelle comme pour pointer une origine que « la Révolution, (…) s’est donné pour mission de reconditionner le peuple français pour le délivrer de ses préjugés, de le régénérer dans la matrice de la modernité. ». Sans doute y a-t-il là une critique assez radicale pour ébranler les colonnes du temple idéologique de la modernité et, plus spécialement, pour ce qui est du cas français, les colonnes aujourd’hui fragilisées à l’extrême de la République elle-même. Volens nolens, Le Figaro a publié cette chronique samedi dernier, 17 juin. G.P.
CHRONIQUE – Tandis qu’elle fait usage de l’idéologie universaliste pour détruire ce qu’il reste de l’école libre, la République tolère la progression de la civilisation islamique en France.
« la Révolution (..) s’est donné pour mission de reconditionner le peuple français pour le délivrer de ses préjugés, de le régénérer dans la matrice de la modernité. »
Cela fait quelques mois, déjà, que l’abaya est devenue le symbole de l’offensive islamiste à l’école et, plus encore, de la sécession culturelle d’une partie de la jeune génération issue de l’immigration, qui entend marquer visiblement une forme de différence conquérante. Certains veulent voir dans sa présence une « atteinte à la laïcité ». Cela nous rappelle à quel point le discours public français n’envisage le commun que sous le signe de la laïcité, comme s’il s’agissait de la seule identité collective autorisée.
Mieux vaudrait, si ce vocabulaire était autorisé, parler d’une atteinte à l’identité française, d’une agression symbolique explicite contre le peuple français ou, plus exactement, de l’effet inévitable d’un changement démographique qui ne peut s’accompagner que d’un changement culturel. Un pays ne change pas de peuple sans changer d’identité. La laïcité ne survivra jamais à la mutation démographique française. Chose certaine, qui porte l’abaya veut faire comprendre très clairement qu’il ne se sent pas français : pire encore, qu’il refuse l’identité française en France.
Il en va de même des récents événements à Nice. Christian Estrosi s’est alerté de la multiplication des prières musulmanes dans certaines écoles. Il dénonce ainsi des « tentatives d’intrusion du religieux au sein des sanctuaires de la République ». Mieux vaudrait parler moins pudiquement. Ce n’est pas la religion qui revient, c’est l’islam qui arrive. Ceux qui parlent indistinctement du «phénomène religieux» sous prétexte de ne pas cibler une religion en particulier et de ne pas discriminer oublient que toutes les religions ne sont pas interchangeables et n’entretiennent pas la même relation avec l’histoire de France et l’espace public.
Surtout, ils empruntent un appareil conceptuel qui brouille leur vision du réel, au point même de le rendre méconnaissable, en laissant croire que se rejouerait en France la bataille mythique entre les « Lumières » et l’« obscurantisme » alors qu’il s’agit en fait de l’empiètement d’une civilisation sur le territoire d’une autre, qui aura transformé profondément la physionomie culturelle du pays d’ici la fin du siècle.
Matrice de la modernité
Mais, sans surprise, l’appel à la restauration de la laïcité à l’école se détourne de sa finalité déclarée. Pap Ndiaye, en ce moment, ne cache pas son hostilité envers l’école privée et, encore, moins, envers l’école privée hors contrat. Il veut limiter considérablement leur autonomie, les standardiser idéologiquement, les mater. Elles sont accusées, clairement ou à demi-mot, de soustraire les enfants aux « valeurs de la République » – ce reproche n’est pas nouveau, et traverse l’histoire française depuis la Révolution, qui s’est donné pour mission de reconditionner le peuple français pour le délivrer de ses préjugés, de le régénérer dans la matrice de la modernité.
La mystique républicaine n’est pas étrangère à celle de l’homme nouveau, qui fonctionne à la purge culturelle. Étrangement, depuis quelques mois, l’adhésion aux valeurs républicaines semble se confondre avec une conception nouvelle de l’éducation à la sexualité, centrée sur la déconstruction des stéréotypes de genre. Qui n’embrasse pas la théorie du genre sera tôt ou tard jugé antirépublicain.
Une autre idée de la France
Autrement dit, les instruments juridiques mis en place pour contenir l’islamisme se retournent contre le catholicisme. Plus encore, la lutte contre le séparatisme se transforme en entreprise de persécution à bas bruit des porteurs de la continuité historique française. On reproche à l’école privée de se faire conservatrice d’une anthropologie désuète, d’un rapport à l’autorité contradictoire avec la psychologie démocratique, de transmettre une culture que l’époque a décrétée morte – à moins qu’elle ne souhaite tout simplement la voir mourir.
L’école privée est accusée, en quelque sorte, d’incarner une autre idée de la France. Les esprits plus cyniques diront que l’Éducation nationale ne tolère pas l’existence d’un contre-modèle, d’une pédagogie qui réussit là où elle échoue, et qui, par effet de contraste, démontre chaque jour ses propres limites. Mais les cyniques ne voient pas assez loin : c’est vraiment l’intolérance philosophique qui commande l’hostilité à l’école privée et à la conception de la culture qu’elle défend. Et c’est un vice profond inscrit dans une certaine conception du logiciel « républicain » qui se dévoile.
L’universalisme désincarné veut gagner sa dernière bataille contre l’école libre, mais se montre complaisant comme jamais avec la civilisation islamique, qui progresse en France. La lutte contre l’islamisme se retourne en lutte contre la liberté scolaire et l’enracinement culturel – ce qui nous rappelle que le combat pour les libertés et le combat pour l’identité, loin de s’opposer, se fécondent mutuellement. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
M. Houari Boumediene en avril 1974, déclarait à la tribune de l’ONU : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud pour aller dans l’hémisphère nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. »
La conquête est en cours depuis cette date mais ce qu’il n’avait peut-être pas prévu, c’est qu’elle se poursuivrait non seulement avec « leurs fils », mais avec toute la Oumma et tous ceux qui s’en réclament pour justifier leurs actes délictueux et criminels relevant du droit commun. Force est de constater que les crétins sur-diplômés qui gouvernent la France sont incapables de faire la différence, aveuglés qu’ils sont par leur égo surdimensionné et leur ignorance crasse.
Il est trop tard pour endiguer le phénomène qui est aussi inéluctable que l’abêtissement de ceux qui l’ont permis.