Par Emile Leroy.
La Volonté
« La France est une œuvre de l’intelligence et de la volonté »
Voilà les mots de Jacques Bainville. La France est une œuvre de l’intelligence et de la volonté. Non de l’intelligence seule. Non de l’unique volonté. Mais bel et bien de l’intelligence et de la volonté. À parts égales ? Nous discuterons cela plus tard.
Commençons déjà par traiter de cette volonté dont parle Bainville, et tâchons de la lier avec un autre de nos maîtres, que nous ne connaissons que trop bien, Ernest Renan.
« Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple »
Ce qui constitue une nation, plus qu’une religion, une ethnie ou une langue, c’est, pour Renan, le sentiment d’appartenance à un passé commun et surtout la volonté de construire ensemble l’avenir.
Comment Bainville nous éclaire-t-il sur cette volonté, source de la France ? Astucieusement, en démontrant, inconsciemment peut-être, qu’elle n’est pas partagée équitablement entre les habitants d’un même pays ni entre les différents siècles qui, soudés les uns aux autres, forment notre histoire nationale.
En effet, notre histoire n’est pas avare d’exemples d’une situation désastreuse : plus attachés à leur confort matériel qu’à cette abstraction nationale, les habitants finissent par obéir au premier chef venu, fût-il un agent de l’étranger ou un étranger lui-même.
Certains, certes, restent attachés à cette volonté de transmettre ce legs nommé France, et c’est grâce à eux qu’elle put exister au fil des âges, en bravant les dangers intérieurs comme extérieurs.
En définitive, et pour en tirer une leçon générale : ne comptons pas trop sur les peuples et cette volonté qui forme la nation. Certains feintent de l’ignorer, car il s’agit là de leur intérêt matériel de l’instant, là où d’autres la méconnaissent par simple ignorance de ce qui les précéda.
Voilà donc ce que nous apprenons à propos de cette volonté.
L’intelligence
La seconde composante de ce qui, selon Bainville, fit la France, est l’intelligence. Cette intelligence se manifesta partout où la volonté triompha de la méconnaissance et des intérêts particuliers, c’est-à-dire partout où les rois et leurs lieutenants agirent.
Cette volonté les possédait, car elle se traduisait surtout au sein même de la famille royale : construire à travers les desseins de sa propre famille le destin de toute une nation est un élément constitutif de ce qu’est véritablement le système monarchique. La destinée du souverain et celle du pays sont liées, pour le meilleur et pour le pire, et c’est pour cela qu’il est dans son intérêt que le pays aille bien.
Les raisons du cœur ne sont pas, au regard de l’histoire, des raisons suffisantes. Il faut se défendre contre les coups bas, les attaques de l’étranger, celles de l’opportuniste ou du traître. Il faut éviter mille dangers, et la volonté seule ne saurait garder sain et sauf quiconque s’y soumettant exclusivement. À cette volonté, il faut ajouter l’intelligence, dans son sens le plus large.
C’est donc car la volonté est ce qu’elle est, avec toutes ses failles, que l’intelligence devient nécessaire, et cette intelligence fut mise au service de la France par l’ingéniosité du système monarchique : la transmission familiale, le souci du temps long, voilà ce qu’est vraiment cette intelligence. Les institutions de la monarchie française, voilà sa manifestation première. Première dans l’ordre temporel comme dans l’ordre de la grandeur.
L’intelligence au service de la volonté aurait pu être une maxime royale.
Nationalisme et nationalisme intégral
Le nationalisme, la volonté de conserver ce que les pères ont pu construire de bon, se développe amplement dans ce que Renan et Bainville nomment la volonté. Cette volonté, nous l’avons vu, se manifesta d’une façon plus ou moins importante selon les individus et les époques. Les rois de France y furent baignés dès l’enfance : ce sont eux, les premiers des nationalistes.
Alors, pour que cette volonté subsistât, ils durent y adjoindre l’intelligence de leur condition, et de celle de leurs ancêtres. C’est la création, petit bout par petit bout, d’un système monarchique, dans toute sa finesse et sa grandeur. Il ira en s’améliorant avec les ans.
Le nationalisme intégral, c’est-à-dire logique, c’est-à-dire cette volonté couplée à cette intelligence, c’est-à-dire la monarchie, est seul garant de la pérennité de la nation. Voilà pourquoi nous sommes nationalistes intégraux.
Conclusion
Pour conclure, nous pouvons dire que l’histoire est un plaidoyer de tous les instants en faveur de la monarchie. La volonté seule ne suffisant pas, les rois de France, qui sont naturellement disposés à davantage de volonté que le quidam moyen, y adjoignirent l’intelligence, formant un alliage parfait, car naturel et fruit de l’expérience, qu’on nomma monarchie française. Elle assura la pérennité de la nation française des siècles durant, et elle seule assurera cette même tranquillité pour les siècles à venir. C’est cette monarchie que nous défendons.
Notre nationalisme est intégral car il est logique. Il est logique puisqu’il est intelligent. Il est intelligent parce qu’il est empirique. Il est empirique car fondé sur cette expérience de l’histoire, contée majestueusement par le maître des maîtres, Jacques Bainville. ■
Publié le 20.09.2022 – Actualisé le 30.06.2023.
Belle réinterprétation de l »empirisme organisateur.
Dans les domaines pratiques complexes, en politique comme en cuisine, la méthode pourrait se suffire à elle-même. Mais dans le domaine intellectuel ?
Normalement, l’induction remonte aux principes…
Nous n’exigeons pas à l’Action Française que chacun aient les mêmes principes ; c’est ainsi notre Cité ne partage plus les mêmes convictions fondamentales (la Foi catholique par exemple).
Mais au moins pouvons nous entendre pour combattre les faux principes qui entrent en contradiction avec le bien commun et les conclusions de l’empirisme organisateur.
«Ma personne n’est rien, mon principe est tout.» Selon la déclaration du comte de Chambord…
Ici même, quelqu’un d’entre nous a voulu poser les termes contraires, comme quoi, selon ce quelqu’un (dont j’ai oublié lequel il était), en royauté, les principes ne seraient rien et la personne tout… Un autre quelqu’un (peut-être le même) a voulu, toujours ici, opportunément rappeler que la «monarchie» n’était qu’un système, alors que la Royauté se situait au-delà de tout système. C’est, en somme, le débat entre Principe et Personne, le débat, aussi et au fond, entre Volonté et Intelligence… Seulement les différents termes mis en «balance intérieure» (si on me permet ce recours à la poésie maurrassienne) ne coïncident pas réellement entre eux, exactement comme on ne saurait laisser équivaloir France et Nation française (ni même «roi», selon qu’il s’agît d’un roi DE FRANCE, ou «des Français»)… De plus, l’idée d’«Intelligence» n’est pas univoque : il y a l’intelligence mise à contribution pour les perspectives stratégiques, politiques, etc., et l’Intelligence (avec capitale initiale) qui permet l’ENTENDEMENT de ce qui nous dépasse, et qui n’a donc rien à voir avec ce qu’Émile Leroy évoque comme étant «l’ingéniosité» du système monarchique. C’est cette intelligence «ingénieuse» des choses qui l’amène aux syllogismes de sa conclusion, laquelle trouve à asseoir finalement une autorité sur un seul élément définitif : Jacques Bainville, «maître des maîtres», conte «MAJESTUEUSEMENT» l’Histoire. C’est en ce qu’elle apparaît «majestueuse» que celle-ci se révèle apte à fonder son «organisation», ce n’est pas son organisation, historiquement observée et ingénieusement adaptée, qui suffira à légéitimer sa majesté, tout au plus, cela saura-t-il bricoler une espèce de «monarchie parlementaire» capable de retenir l’attention distraite des amateurs de «valeurs républicaines»… Cela conduit Michel Michel à faire le constat (que je crois aussi amer sous sa plume qu’il l’est dans ma bouche) selon lequel, écrit-il, «c’est ainsi, notre Cité ne partage plus les mêmes convictions fondamentales»… Du moins, comme Michel conclut, «pouvons-nous nous entendre pour combattre les faux principes»…
Sera-ce tout à fait suffisant, si l’on se prend à envisager une tentative de Restauration ? Restauration d’une «volonté» ? Avenir d’une intelligence ? … ou d’une autre…
Pour ma part, si je me prends à imaginer un avenir rectificateur, je ne saurais alors croire positivement qu’en une restauration du Principe.
Le plaisir de la rhétorique nous fait opposer le principe avant le Prince (modestie du Comte de Chambord) ou le Prince mieux qu’un Principe ( formule de Volkof).
Je crois qu’il ne faut pas durcir les deux démarches qu’il est aisé de synthétiser en « le Principe incarné dans une personne, ou mieux une famille ».
Sur un autre plan, dans le dîner-débat que nous avons organisé en 1982 à Marseille, Thibon dit à de Benoist, avec une certaine gravité, qu’ « il ne faut pas opposer les transcendantaux ».
Il nous semble que Michel MICHEL a mille fois raison de déconseiller d’opposer ni même de hiérarchiser entre le Principe et le Prince et de conseiller au contraire de les composer. Au demeurant, on n’a jamais vu un Principe exister tout seul dans la vraie vie, dans l’ordre du Réel, comme dirait Maurras. Que vaut un Principe sans incarnation, dans cet ordre-là ?
Quant au plaisir de la rhétorique, nous sommes aussi d’avis qu’il ne faut pas trop y sacrifier.
Évidemment que, en les termes humains qui sont les seuls auxquels nous pouvons nous montrer totalement «sensibles», il y a nécessité absolue que le Principe soit incarné. Seulement, la hiérarchie des choses ne doit pas nous échapper pour autant, ne serait-ce que par le fait qu’aucune chair ne saurait préexister à ce qui lui a mis souffle de vie, à ce qui l’a ANIMÉE. L’incarnation du principe est le facteur de «lieu-tenance» du Christ (cf.Jeanne d’Arc) pour le roi de France, mais telle apparence de «personne» ne saurait évidemment pas être assimilée extérieurement au Christ-même – si le Verbe se fait chair, si Christ est fait homme, la chair ne saurait se faire Verbe ni l’homme Christ, il ne peut y avoir qu’IMITATION DE ; ce sur quoi ont voulu insisté les XVIe-XVIIe siècles et les efforts contemporain des néoplatoniciens.
Je pense que Volkoff jouait habilement avec les mots en valorisant Prince sur principe, comme s’il pouvait s’imaginer une espèce d’étymologie du plus simple vocable (prince) à un dérivé plus complexe (principe) ; n’oublions pas que la notion de «diminutif» chez les Slaves conduit quelquefois à ce que le «diminuement» onomastique ne soit en rien syllabique mais, plutôt, sentimental, si bien que des désinences nombreuses ornent somptuairement le prénom d’origine – c’est également ce qu’il se produit dans la musique ancienne : on appelle «diminutions» les apoggiatures, trilles, mordants et autres ornements ajoutés par l’interprète aux notes écrites. Ce mot de diminution intéresse en fait la réduction en durée des notes ainsi ornées puisque l’ensemble doit respecter les proportions temporelles de l’ensemble. Bref, un peu comme si «principe» passait aux yeux de Volkoff comme le diminutif (augmenté) de «prince», une espèce de «sentiment spirituel» de ce qu’il représente. Volkoff, d’ailleurs, envisage ainsi le compositeur Tchaïkovsky, dans la biographie qu’il écrivit dans les années quatre-vingts, nous expliquant d’une manière parfaitement SENTIE comment le «classicisme» apparent de celui-ci obéit en fait à une haute conscience de ce qui le dépasse (foi et royauté) et à quoi il s’astreint disciplinairement, citations de Tchaïkovsky à l’appui, jusques et y compris lorsque celles-ci peuvent se contredire entre elles…
Je ne crois pas qu’il faille «composer» mais, bel et bien, HIÉRARCHISER et, ensuite, trouver la «combinaison» permettant de mettre en œuvre humaine cette hiérarchie … Pareil exercice à un nom : la liturgie, terme qui désigne l’ensemble des cérémonies grâce auxquelles les formalités d’une pratique existentielle peuvent structurellement faire approcher l’humainement inaccessible essentiel. … Ouf. Pas commode de n’avoir pas l’air cuistre ou filandreux dans tout cela que je dis.
Simplifions : nous servons tout ensemble un Principe et un Prince qui composent « une étroite unité » et seraient entachés d’incomplétude l’un sans l’autre. Cela dit venant de JSF, les commentaires restent ouverts.
Oui, Michel Michel , David et JSF nous sommes au coeur du problème et de la relation vivante, donc réciproque, que Prince ou nous entretenons avec ce qui donne sens à notre tâche dans la cité. Nous sommes bien sur la même longueur d’ondes. Merci ; A nous de convaincre de rentrer dans cette relation viviviante et non stérile comme nous la vivons actuellement. Nous sommes bien tournés vers l’avenir non vers le passé quelque soit sa richesse.