Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Une récente dépêche de l’A.F.P. informe du passage discret en Ukraine, au cours du mois de juin, de M. Burns, directeur de la C.I.A. Il serait venu y rassurer M. Zelensky sur « l’engagement américain à partager des renseignements pour aider l’Ukraine à se défendre contre l’agression russe. » Était-ce bien nécessaire ? Après tout, la C.I.A. oeuvre dans le pays de façon notoire depuis des années et personne n’a jusqu’à présent mis en doute le soutien des États-Unis, voire, pour certains, leur implication dans l’enchaînement des causes du conflit actuel.
Seize mois après l’entrée de troupes russes en Ukraine, cette dernière vient de faire état d’un plan pour reprendre les territoires occupés (en clair, pour Kiev, le Donbass et la Crimée) de façon à pouvoir entamer des négociations de cessez-le-feu d’ici la fin de cette année. Nous saurons donc dans un avenir proche si cet optimisme est justifié. Si l’on s’en tient aux faits, la contre-offensive ukrainienne en cours n’a en tout cas pas encore connu un grand succès.
Côté russe, M. Lavrov, ministre des Affaires étrangères, promet un renforcement de l’État russe, ce qui aurait des conséquences directes sur le conflit, après la rébellion avortée du groupe Wagner. Pierre Haski, le chroniqueur de France Inter, considère, sur la base d’informations parues dans le Financial Times, qu’une purge (terme à forte connotation stalinienne) est en cours à Moscou.
Sans doute déconfit, comme la plupart des sachants et experts des plateaux télés par l’échec de Prigojine, sur lequel lui et d’autres avaient imprudemment misé contre M. Poutine, le voici donc réduit à s’étonner qu’un chef d’État tout à fait légitime, M. Poutine en l’occurrence, puisse envisager des sanctions après ce qui ressemblait furieusement à un pronunciamiento de mercenaires.
Alors que personne ne peut prédire l’issue du conflit, force est de constater qu’il y a pourtant déjà un gagnant et un perdant, à savoir les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne, les gains des premiers correspondant aux pertes de la seconde : une industrie américaine de l’armement confortée par les commandes d’une Europe qui livre ses propres armes à l’Ukraine et un renforcement de la suzeraineté nord-américaine, via l’OTAN, sur cette même Europe. Ajoutons que le prix à payer par les Européens sera encore plus élevé en cas de désengagement plausible d’Américains surtout soucieux de s’occuper de la situation en mer de Chine et déléguant aux Européens le soin de l’Ukraine, sans oublier la facture.
Quelques jours après l’équipée ratée des paramilitaires de Wagner, plusieurs médias nord-américains ont affirmé que M. Burns, encore lui, aurait appelé son homologue russe, M. Narychkine, chef des renseignements extérieurs (le S.V.R.) : non, les États-Unis ne sont pour rien dans l’événement. Vrai ou faux, qu’importe ? La C.I.A. cajole M. Zélensky mais ménage l’ours russe – comme si les Ukrainiens (n’)étaient (qu’)un pion dans le jeu américain. Se rappeler donc que pendant le dernier demi-siècle, du Viet-Nam à l’Afghanistan, les États-Unis ont toujours fini par faire défaut à leurs « alliés ». ■
* Agrégé de Lettres Modernes.