PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cette chronique a été publiée dans Le Figaro de ce samedi matin 8 juillet. Il n’y a pas lieu de commenter les évidences remarquablement mises ici en lumière. Signalons plutôt deux points extérieurs à cette chronique : l’institutionnalisation du mensonge induit nécessairement la mise en place d’un régime de contrainte. Ainsi, Politique magazine publie dans sa livraison d’été un article d’Yves Morel explicitement intitulé : « EN MARCHE VERS LA DICTATURE ». Quant à Patrick Stéfanini, ancien haut fonctionnaire spécialiste de l’immigration et malencontreux soutien de Valérie Pécresse à la dernière présidentielle, il déclare ce matin aussi, dans un long entretien donné au Figaro (entretien sur lequel nous aurons sans-doute à revenir) : « L’État n’est plus en mesure de protéger les personnes et les biens ». Ne nous reste-t-il plus alors qu’à émigrer ? Curieuse interrogation, redoutable symétrie avec le flot incessant et massif de l’immigration invasive… Ceux qui, fût-ce au cœur de notre école de pensée, nous recommandaient de ne point trop parler d’immigration – de masse, s’entend – ont donc singulièrement manqué de jugement et de courage politiques. Le régime en place, quant à lui, semble, comme on disait sous Edgard Faure, au bord du gouffre. Jadis à L’Action française, on répétait à l’envi : « Tout ça ne finira pas par des chants et des apothéoses ». Ce fut la débâcle de juin 1940. On songe aussi à l’interrogation de Louis XVI après la prise de la Bastille et à la réponse qui lui fut faite : » – C’est une révolte ? – Non Sire, c’est une révolution ». Il est en tout cas bien difficile à cette heure d’imaginer ce qui va advenir de la France d’aujourd’hui.
CHRONIQUE – Le réel n’a pas eu lieu. L’institutionnalisation du mensonge se confirme.
Une chose est claire : le régime apposera la marque indélébile du racisme à ceux qui s’entêteront à poser la question de l’immigration.
Il est d’abord apparu évident aux yeux de tous que les émeutes de la semaine dernière étaient indissociables de l’immigration massive, qui a transformé en profondeur la population française depuis cinquante ans. Plusieurs voulurent croire qu’elles s’accompagneraient d’une prise de conscience, entraînant plus tôt que tard un véritable changement de cap politique. Il fallait être bien naïf pour s’imaginer cela.
C’est François Hollande qui a amorcé la contre-offensive en affirmant que ces émeutes n’avaient rien à voir avec l’immigration. Il était permis de parler de la crise de l’autorité, de l’effondrement de la famille, des dysfonctionnements de la République, du manque de respect pour la police… de tout, sauf de l’immigration. Les commentateurs furent trop heureux de se rallier à cette interprétation lorsqu’ils apprirent que 90 % des émeutiers interpellés étaient administrativement de nationalité française. Ils n’y virent pas le signe d’une dissociation de plus en plus marquée entre la nationalité juridique et la nationalité existentielle, mais la preuve que la question de l’immigration ne se posait plus.
Il y avait comme un soupir de soulagement dans l’air. D’émeutes ethniques, il n’y avait pas eu. Gérald Darmanin a même voulu refaire le coup du Stade de France. On s’en souvient, il avait alors affirmé que les exactions commises lors de ces razzias étaient le fait de supporteurs britanniques. Une fois établi que ce n’était pas le cas, et que les pillards provenaient des banlieues, le ministre de l’Intérieur déclara que s’interroger sur l’origine des émeutiers était nauséabond, sans qu’il ne lui vienne à l’esprit que «britannique» était bien une nationalité. Cette fois, Gérald Darmanin a voulu dissocier les émeutiers de l’immigration en expliquant qu’on y trouvait aussi des Kevin et des Matteo. Faut-il en comprendre que les prénoms ont une signification sociopolitique ?
En moins d’une semaine, le constat initial a donc été intégralement retourné. Le régime diversitaire a engendré un contre-récit, vite devenu la norme. Il ne serait donc plus permis d’analyser l’acculturation ratée des populations issues de l’immigration, naturalisées sans être assimilées. Il ne serait plus permis de chercher à comprendre pourquoi la jeunesse des quartiers préfère un drapeau étranger au drapeau français lors des compétitions sportives, pourquoi elle rejette souvent l’identité française pour se replier vers un islam qui se présente comme une identité alternative et revendicative, pourquoi elle voit dans le refus d’obtempérer face aux policiers un rituel initiatique dans les banlieues. Le réel n’a pas eu lieu. L’institutionnalisation du mensonge se confirme.
Le régime diversitaire venait donc de reprendre le contrôle du récit politico-médiatique. Il se radicalise au rythme où il se sent fragilisé, en cherchant à contrôler plus que jamais la mise en récit de la décomposition du «vivre-ensemble», par exemple en voulant censurer ou encadrer les réseaux sociaux et les images qui y circulent. Officiellement, il s’agit de limiter leur utilisation par les émeutiers, qui en avaient fait un outil. Dans les faits, il s’agit d’empêcher que puissent s’y raconter un autre récit et une autre description de l’émeute que celle validée par le régime diversitaire et relayée par le système médiatique.
Régression ethnique
Mais, surtout, le régime diversitaire entend sanctionner ceux qui ne se soumettent pas à l’analyse officielle des événements. Ils doivent servir d’exemple aux autres, qui devront savoir à l’avance le prix à payer pour contester le régime. Bruno Retailleau en a fait les frais. Retailleau s’est pourtant contenté de rappeler que les jeunes des banlieues se détournent souvent de la référence française pour embrasser plutôt leur identité d’origine, ou celle de leurs parents, ou même de leurs grands-parents – une identité qu’ils se réapproprient de manière victimaire, en l’investissant d’un grand ressentiment, pour ensuite marquer leur rejet de la France. Ce phénomène, Bruno Retailleau l’a assimilé à une forme de régression ethnique, aux explications nombreuses.
Twitter s’est emballé en laissant croire qu’il avait soutenu que les comportements des émeutiers s’expliquaient par leurs origines ethniques, et voudrait trier les Français selon leur couleur de peau. On se demande comment ses contempteurs ont pu en venir à cette conclusion. S’agit-il de carence en lecture ? D’une diversion malhonnête pour faire oublier les émeutes ? Chose certaine, le message était clair : le régime apposera la marque indélébile du racisme à ceux qui s’entêteront à poser la question de l’immigration et de l’existence au cœur de la société de communautés inassimilées se voulant étrangères et même quelquefois hostiles à la France. Le réel ne passera pas. No pasaran. Et quant à ceux qui s’obstinent, on les fascisera. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.