« Vers une guerre de haute intensité généralisée à toute l’Europe, telle qu’elle pourrait avoir été envisagée par les concepteurs de cette Loi de programmation » ?
Dès son premier paragraphe, l’exposé des motifs de la Loi de programmation militaire 2024-2030 s’appuie sur la Revue nationale stratégique (RNS), rendue publique le 9 novembre 2022, qui « tire les enseignements de l’évolution, depuis la précédente réalisée en 2017, d’un contexte géopolitique instable et imprévisible, marqué par le retour d’une guerre de haute intensité sur le sol européen, les crises sanitaire et climatique, une interdépendance profonde entre scènes nationale et internationale, dans les domaines politiques, énergétiques et économiques notamment ».
Cela appelle à la vigilance en constatant les confusions sans cesse distillées entre guerre, crises sanitaire et climatique et leurs conséquences subies ou voulues en terme politiques, énergétiques et économiques.
Viennent ensuite certaines des finalités explicites de la Loi qui seraient selon les termes de ses concepteurs « d’assurer nos engagements au titre de notre statut d’allié de l’OTAN » et « de renforcer la cohérence, la préparation et la réactivité de l’armée française, pour qu’elle soit en mesure de conduire si nécessaire des coalitions dans des engagements majeurs avec nos alliés et partenaires ».
Quand on analyse, de manière factuelle et sans parti pris, le caractère lourdement impliquant de l’engagement de la France à livrer des missiles SCALP à l’Ukraine, il y a lieu de s’interroger sur les raisons et les finalités de cet effort financier affiché de plus de 400 milliards d’euros sur la période 2024-2030, auxquelles selon la Loi « s’ajouteront celles nécessaires au financement de l’effort national de soutien à l’Ukraine, mis en œuvre notamment sous forme de contribution à la facilité européenne pour la paix (FEP), de cessions de tous les matériels et équipements nécessitant un recomplétèrent ou d’aides à l’acquisition de matériels ou de prestations de défense et de sécurité ». L’effort financier risque fort de ne pas réellement bénéficier aux armées françaises qui se voient sans cesse retirer armes et munitions pour être fournies à l’Ukraine.
Cette toute récente décision de livrer des missiles à long rayon d’action, affichée comme ayant été prise par le président de la république lors du sommet de l’OTAN à Vilnius, est d’une portée considérable car elle peut donner la capacité à l’Ukraine de cibler des objectifs en profondeur, jusque même Moscou. Cela renforcerait inéluctablement l’escalade vers des représailles ciblées sur les Etats fournisseurs d’armes devenus de fait belligérants directs, puis vers une guerre de haute intensité généralisée à toute l’Europe, telle qu’elle pourrait avoir été envisagée par les concepteurs de cette Loi de programmation.
Le plus grave est que le gouvernement français, en se soumettant de manière terriblement risquée et hasardeuse à cette escalade voulue par l’OTAN, bafoue l’article 35 de la Constitution qui lui impose « lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, de soumettre sa prolongation à l’autorisation du Parlement », ce qui n’a jamais été fait en considérant faussement que la livraison à l’Ukraine de matériels lourds d’armement, comme les trente canons CAESAR ou aujourd’hui les missiles SCALP, ne sont pas des interventions directes et bellicistes dans le conflit.
Enfin, l’article 23 du projet de Loi (article 47 du texte voté) redéfinit le recours aux réquisitions en des termes particulièrement flous et très larges, ainsi qu’en supprimant toute référence aux autres textes encadrant les réquisitions ; ce qui pourrait permettre à l’exécutif (par simple décret en conseil des ministres) de motiver de manière totalement discrétionnaire le recours à la réquisition des personnes et des biens, y compris pour des motifs civils, comme les crises sanitaire, écologique, climatique ou énergétique simplement « prévisibles » : « Art. L. 22121 En cas de menace, actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, la protection de la population, l’intégrité du territoire, la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense, la réquisition de toute personne, physique ou morale, et de tous biens et services nécessaires pour y parer peut être décidée par décret en conseil des ministres ». Certains s’alarment de cette dérive autocratique, mais on ne peut que s’en inquiéter après les procédés liberticides mis en œuvre sans contrôle parlementaire pendant la dernière crise sanitaire. Ces dispositions pourraient aller beaucoup plus loin encore par la réquisition des biens et des personnes, comme le rappel de réservistes ou d’anciens militaires contre leur gré ou celui de leur entreprise prévu dans cette Loi.
En tant que citoyen, particulièrement marqué par l’expérience – dont le devoir de réserve est aujourd’hui levé – de la dramatique guerre du Kosovo, menée hors du droit international par l’OTAN qui déjà manipulait le monde au bénéfice de l’hégémonie et des intérêts américains, j’appelle les parlementaires, au-delà de cette Loi de programmation financière, à assumer leur responsabilité de représenter le peuple français – qui ne veut pas d’une guerre généralisée à toute l’Europe – et leur rôle de contrôle du gouvernement (article 24 de la Constitution) pour imposer le respect de l’article 35 de la Constitution cité ci-dessus. Un débat parlementaire sur les engagements très risqués de la France dans l’implication militaire de l’OTAN en Ukraine est impératif compte tenu de leurs conséquences sur la vie et l’avenir de la nation.
Il n’est pas tout de renforcer les budgets – ce qui est bien sûr nécessaire pour garantir notre défense et notre souveraineté militaire – mais il faut surtout en définir les finalités et l’emploi, et cela doit relever de la volonté du Peuple français représenté par les parlementaires qu’il a élus. Bien peu nombreux sont les députés et sénateurs, conscients de la réalité et des conséquences des engagements pris, qui appellent à ce que ce pouvoir souverain d’autoriser la guerre et les interventions militaires à l’étranger revienne au Peuple au travers d’une représentation nationale indépendante et souveraine.
L’avenir de la nation et de l’Europe en dépend. ■
Contre-amiral (2S) Dominique de Lorgeril,
Ancien commandant d’unité de combat au Kosovo.
Cette analyse est parue dans Place d’Armes le 22 juillet. Je Suis Français la propose à ses lecteurs et le fait avec sympathie, soutien et intérêt.
La LPM 2024-2030 a été votée par la représentation nationale qui en a durci le contrôle parlementaire :
« Les moyens de contrôle de l’action du gouvernement ont été renforcés par les parlementaires. Le projet de loi amendé précise que l’actualisation de la LPM d’ici 2027 devra être précédée d’une revue nationale stratégique (RNS) et faire l’objet d’une loi (et non d’un débat suivi d’un vote comme en 2021). Un livre blanc devra être élaboré en vue de la prochaine LPM en 2030. Les parlementaires ont, en outre, prévu une meilleure information du Parlement sur le soutien à l’Ukraine et la création d’une commission parlementaire d’évaluation de la politique de vente d’armes à l’étranger. Le Parlement devra aussi être informé, d’ici 2025, sur la stratégie et les moyens déployés par la France en Indopacifique. » (source : https://www.vie-publique.fr/loi/288878-loi-programmation-militaire-2024-2030-lpm )
L’article du contre-amiral apparaît obsolète.
Personnellement, n’ayant que peu de confiance dans les Parlements, je ne crois pas que le renforcement du contrôle parlementaire évoqué dans l’article et précédemment, en admettant qu’il s’exerce, et qu’il le fasse à bon escient, vienne rendre obsolète sur le fond l’article du contre-amiral de Lorgeril.
L’important ce sont les finalités assignées à nos Armées, l’indépendance et la souveraineté de l’Autorité française en la matière, l’assurance qu’elles s’exercent au seul service de l’intérêt national.
Ce n’est pas acquis aujourd’hui, d’où l’actualité de fond de l’article du contre-amiral