COMMENTAIRE – « Le Parlement anglais peut tout faire, sauf changer un homme en femme« , cette formule fameuse due à un juriste suisse et calviniste de la fin du XVIIIe siècle, Jean-Louis de Lolme, a bien pu paraître démentie par les courants modernes qui ont abouti aux diverses études du genre, les données scientifiques, notamment médicales, en revanche, la confirment. C’est, en bref, ce que cet entretien tente d’établir, de façon, d’ailleurs, très convaincante. Le lecteur jugera.
Entretien par Eugénie Bastié.
« Comme tous nos organes, toutes nos cellules, neurones compris, le cerveau ne souffre aucune exception : il est aussi sexué »
ENTRETIEN – Dans le livre C’est votre sexe qui fait la différence (Plon) co-écrit avec Nicole Priollaud, Claudine Junien, professeur émérite de génétique médicale et membre correspondante de l’Académie nationale de médecine, balaie la doxa du genre qui voit dans les différences entre les sexes de simples constructions sociales. Elle explique pourquoi le sexe imprègne chacun de nos chromosomes, ce qui occasionne des différences en termes de santé.
Des jouets genrés aux maladies cardiovasculaires en passant par l’addiction au tabac, le professeur émérite explore les différentes facettes de la différence des sexes et montre combien celle-ci est modelée par la biologie. Il est illusoire de prétendre pouvoir «changer de sexe», argumente-t-elle.
LE FIGARO.- De l’ignorance à l’idéologie en passant par les fausses croyances, les notions de genre et de sexe aujourd’hui sont à l’origine de violents débats. Côté sexe, Ils reposent sur des notions périmées non conciliables. Quelles sont ces notions obsolètes qui ne demandent qu’à être déconstruites ?
On confond fréquemment le terme « genre », d’apparition récente par le biais des « Gender Studies », avec, le terme « sexe » très ancien mais trop souvent ramené à une vision « bikini ». Cette vision se limite donc encore, pour beaucoup, aux organes reproducteurs visibles, et à la sexualité. La grande confusion entre ces deux termes est telle que pour certains, changer de sexe serait comparable à changer de genre : un jeu d’enfant quand on se sent mal dans un sexe attribué à la naissance, sans consentement. Quoi de plus simple que d’avoir recours à des hormones si différentes qualitativement et quantitativement, pour corriger la nature, et pourquoi pas avec l’aide de la chirurgie ? Puisque, pour la majorité, croire encore que genre (assimilable au sexe) et sexe sont socialement et historiquement entièrement construits et que le simple fait d’évoquer un cerveau sexué serait de l’ordre de l’hérésie ? Toujours la vieille notion de « blank slate » (« page blanche ») !
Il est donc largement temps de s’approprier et d’adapter les données scientifiques irréfutables, dites-vous…
Pour se mettre au goût du jour scientifique, il faut accepter que le genre est à l’origine une donnée socioculturelle aux antipodes du sexe, qui est, elle, une donnée strictement biologique. Les progrès de la génétique nous ont appris que ce sont les chromosomes, supports de l’ADN, qui apparaissent dès la conception, sont présents dans chacune de nos milliers de milliards de cellules, et qui font de nous une « femme » avec la paire de chromosomes sexuelle XX ou, un « homme », avec la paire XY, de la tête aux pieds. Ainsi quand les hormones vont apparaître (entre la 6ième et la 8ième semaine de gestation) en quantités variables (gestation, périnatalité, puberté, ménopause) elles ne seront jamais seules mais toujours accompagnées de ces chromosomes et de leurs gènes, qui sont eux, dans toutes nos cellules et tout au long de la vie.
Trouvez-vous qu’aujourd’hui la biologie est niée ?
Le déni ou la minimisation du rôle de la biologie dans les différences liées au sexe, repose, en partie sur la confusion entre les notions de sexe et celle de genre, d’inné et d’acquis, de facteurs génétiques et environnementaux. Une idée reçue domine : la croyance qu’on ne peut pas agir sur la génétique en raison de l’inertie de l’ADN, alors que l’on pourrait agir sur tout ce qui est lié à l’environnement par le biais de l’épigénétique, considérée – en partie à raison – comme réversible, mais pas dans sa totalité. Cette idée reçue oriente la préférence vers les seuls facteurs environnementaux plus faciles à manipuler. Dans l’esprit du plus grand nombre les différences liées au sexe (DLS) résulteraient de constructions sociales et historiques qu’il n’y aurait plus qu’à déconstruire (grand mythe sur les stéréotypes). Cette croyance dans le rôle majeur et quasi exclusif d’un environnement omniprésent dépend de la nature de la formation : scientifique ou non.
Y a-t-il une forme d’exception française sur ce sujet ?
Entre ignorance et rejet, cette exception française fait partie d’une idéologie à laquelle on adhère encore de nos jours. Il faut peut-être remonter à l’époque de Trofim Lyssenko (1898-1976), l’égérie soviétique et à sa déplorable manie de mélanger sans discernement Science et Politique à propos de la biologie végétale. Ses « errances » rejetaient la « génétique bourgeoise » et faisaient toute la place à des « facteurs environnementaux », en plein obscurantisme pour l’époque.
Il est toutefois difficile d’admettre qu’en près de trois quarts de siècle la France intellectuelle n’a pas été capable de chasser ses vieux démons et de se mettre à jour sur le plan scientifique par la reconnaissance des DLS qui s’appuient sur 308.324 références scientifiques (PubMed) dûment validées mais largement ignorées. Consultées et prises en compte ces DLS permettraient de lutter contre une pseudo-science, et de nombreuses contre-vérités. Laissons à la Sociologie et à l’Histoire le soin de rechercher d’autres motifs à ce retard voire à l’obscurantisme français.
Vous évoquez la question des athlètes transgenres et de leur place dans les compétitions sportives féminines. Est-il juste que les trans puissent y participer ? Cette question est-elle révélatrice de la part déterminante de la biologie dans la différence des sexes ?
Le genre étant une dimension socioculturelle et historique il est possible de changer de genre, avec l’assentiment de l’entourage, de la société, et de l’administration. En revanche on ne peut pas changer de sexe, donnée biologique inaliénable trouvant son origine mécanistique dans 1/4 des gènes du chromosome X et dans tous les gènes du chromosome Y, présents dans toutes nos cellules depuis la conception et tout au long de la vie. Alors que le rôle des chromosomes est ignoré par un grand nombre, quoi de plus naturel que de s’adresser aux hormones -liées spécifiquement à chaque sexe- et/ou à la chirurgie pour remédier à l’« incongruence de genre » – c’est-à-dire l’inadéquation avec le sexe déclaré à la naissance — ou à la « dysphorie de genre », c’est-à-dire la souffrance ressentie du fait de cet état ? Mais ce serait croire au seul rôle des hormones dans la détermination du sexe, faire fi de leurs variations (gestation, puberté, ménopause), de leurs effets organisationnels (non réversibles) et, de plus, ignorer les différences dues aux effets des gènes des chromosomes sexuels qui permettent d’exprimer de manière différente 1/3 de l’ensemble de nos gènes selon le sexe.
Ces différences sont à l’origine de la mise en place de différences, dont des différences anatomiques notables entre femmes et hommes : la masse maigre est, en moyenne, de 36% supérieure chez les hommes, qui ont par exemple une masse musculaire -73% plus importante dans les bras- ce qui accroît considérablement la force des hommes par rapport à celle des femmes. Inversement les femmes ont en moyenne une masse grasse plus importante que celle des hommes. Or ces différences ne disparaissant pas sous l’effet des hormones : est-il juste de laisser concourir ces individus devenus femelles par leur genre mais restées mâles par leur sexe -présent dans toutes leurs cellules- contre des femmes ? Pour embrasser une carrière de pilote d’avion, personne ne trouve à redire au fait qu’il faille réussir à des tests de vision et d’audition ? Et il n’est toutefois pas inutile de rappeler qu’en 2014, aux États-Unis, à l’issue d’un combat d’arts martiaux mixtes (MMA) opposant un homme transgenre et une «vraie» femme, celle-ci s’en est sortie avec une commotion cérébrale, une fracture osseuse orbitaire et sept agrafes à la tête dès le premier tour… Avis aux amatrices !
On ne prend pas en compte les différences biologiques dans les enjeux sanitaires et sociaux. Pouvez-vous donner des exemples dans le domaine de la santé où ces différences sont importantes ?
Les DLS sont encore largement inconnues de la majorité, mais le fait qu’un tiers de nos gènes s’expriment différentiellement dans 44 tissus dont 11 de cerveau suggèrent l’importance des DLS et donc d’importantes différences dans les mécanismes d’action au niveau des cellules. Ces différences sont-elles dues à des facteurs d’origine génétique ou à des facteurs d’origine environnementale ? Les deux, et en interaction !
Il est important de décrire et d’inventorier les DLS mais le plus important est de comprendre les mécanismes d’action. Pourquoi l’autisme qui semble en augmentation à travers le monde touche 4 à 5 fois plus les garçons que les filles, qui sont diagnostiquées plus tardivement ? Et Inversement pour l’anorexie qui touche 9 filles pour un garçon ? Depuis le milieu des années 2000 la recherche a pu mettre en évidence que la transmission du stimulus douloureux passe par des types cellulaires différents, des cellules T du système immunitaire chez les femmes et des cellules de la microglie du système nerveux chez les hommes ce qui expliquerait pourquoi les femmes sont plus « douillettes » que les hommes. Au niveau moléculaire, l’étude des niveaux d’expression des gènes dans différents tissus de femmes et d’hommes déprimés ont montré que pour la dépression les réseaux de gènes impliqués dans 6 régions différentes du cerveau diffèrent beaucoup plus qu’ils ne se ressemblent, entre les femmes et les hommes. Un bon argument pour chercher de nouveaux médicaments de façon différente, en ciblant par exemple les mécanismes impliquant des réseaux de gènes régulés de façon opposée chez les femmes comparées aux hommes.
Le cerveau aussi est-il sexué ?
Les hormones ne peuvent pas être tenues pour seules responsables des différences observées entre mâles et femelles. Ainsi plus précisément les gènes des chromosomes X et Y sont à l’origine des DLS qui apparaissent dès la conception et jusqu’à la détermination du sexe à partir de la gonade primitive. C’est sous l’influence du gène SRY spécifique du mâle situé sur le chromosome Y, entre la sixième et la huitième semaine que va se produire la détermination du sexe, avant l’apparition des hormones mâles et femelles sécrétées par les gonades différenciées, (ovaires et testicules). Ce sont donc les chromosomes et uniquement les chromosomes qui sont responsables dans toutes nos cellules des DLS observées avant cette période. Comme tous nos organes, toutes nos cellules, neurones compris, le cerveau ne souffre aucune exception : il est aussi sexué. Ainsi dans la maladie de Parkinson outre certains mécanismes dopaminergiques, des études récentes ont montré que le gène SRY joue un rôle-clé, impossible chez la femme, du fait de son absence. Or cette maladie affecte 2 fois plus d’hommes que de femmes ! Dans le cerveau comme nous l’avons vu, les DLS qui sont détectées sont dues aux chromosomes puis aux hormones d’origine génétique (sexe), elles aussi.
Àpropos des jouets sexués, vous affirmez que la socialisation semble n’avoir qu’un effet modulateur sur des différences comportementales en réalité ancrées dans la biologie…. Qu’est-ce à dire ?
De nombreuses études ont comparé l’usage d’objets divers et les comportements ludiques au cours de jeux des jeunes en fonction de leur sexe. Comme chez l’humain, il existe chez l’animal des DLS dans les types d’objets utilisés comme jouets par les jeunes femelles et les jeunes mâles. Les DLS observées chez les grands singes, les rats ou les souris ressemblent à celles observées chez les humains. En toute bonne foi, pourtant, certains parents s’évertuent à apporter à leurs enfants une éducation « neutre », plutôt que de laisser libre cours à la nature. Cette attitude va malheureusement à l’encontre de ce que les neurosciences nous ont révélé ! On sait maintenant que le noyau préoptique de l’hypothalamus dans le cerveau montre un important dimorphisme sexuel, en faveur des mâles dans plusieurs espèces, y compris l’humain. Or de nombreuses études le montrent : cette région possède des neurones impliqués dans le développement de divers comportements liés au sexe chez l’enfant et l’adulte dont : les jeux infantiles, l’activité copulatoire du mâle, les comportements maternels…
Suffirait-il de «désexuer» les jouets, les «dérosifier», par exemple, ou concevoir des catalogues mixtes, pour changer les préférences des enfants? La socialisation semble n’avoir qu’un effet modulateur sur ces différences comportementales sexuées enracinées dans notre héritage biologique et lié à l’évolution – elle peut les amplifier ou les atténuer, en aucun cas elle ne peut les inverser, les créer ou les détruire. ■
Ce matin de 2035, mon fils de 8 ans m’a fait une crise et a menacé d’appeler le 119, car je refuse qu’il aille à l’école en jupe et avec du vernis aux ongles. Ma fille Julie de 15 ans, qui se sent « non binaire », m’a traité de « boomer », car j’ai refusé de l’appeler « iel » en parlant d’elle et parce que je refuse de changer son prénom à l’état civil. Elle veut s’appeler « Jul » pour ne pas qu’on puisse supposer son genre. Et aussi parce que Jul est son chanteur préféré.« Je pars au boulot à vélo, car depuis la loi Hidalgo de 2026, la voiture (même électrique) est interdite dans les grandes agglomérations. Je parcours donc 35 km tous les jours à vélo. Avec la chaleur de ce mois de juillet, j’arrive au boulot trempé et décoiffé.
Mais ce n’est pas grave, c’est le cas de tout le monde : ici, personne ne se regarde et personne ne se juge, car c’est passible d’une amende et, éventuellement, d’une peine de prison selon la gravité de la remarque.
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Mon patron me fait savoir qu’il m’a mis un blâme, car, hier, j’ai écrit un mail sans écriture inclusive et qu’une cliente s’en est plainte. La prochaine fois, c’est la porte ! Il faut que je fasse attention à ce que j’écris et à comment je l’écris. Et aussi à ce que je dis…
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Ma nouvelle collègue, qui partage mon bureau, n’est pas là aujourd’hui, car c’est sa semaine de ‘congé menstruel’. C’est un congé mis en place depuis 2023 afin de ‘permettre aux personnes possédant un vagin’ (sans distinction de genre, pour éviter d’éventuelles
stigmatisations) de rester à la maison, pour motif de règles douloureuses, une semaine par mois.
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Grâce à son absence, je peux donc exceptionnellement fermer la porte de mon bureau. En effet, après le mouvement #MeToo, la France a imposé l’interdiction de ‘portes closes’ lorsque des employés de genres différents travaillent ensemble. Certaines entreprises créent même des ‘espaces safe’, c’est-à-dire des bureaux sans aucun homme hétérosexuel pour éviter tout risque d’agression sexuelle.
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A midi, pour la pause déjeuner, je n’apporte plus de viande dans mes plats, car j’en avais marre de me faire traiter de ‘carniste’, de ‘spéciste’ ou carrément d’arriéré par mes autres collègues – pour la majorité devenus végans. Par ailleurs, lorsque je fais les courses au supermarché et que j’ose m’acheter un rare morceau de poulet à 45 euros le kilo, je me fais systématiquement dévisager par les autres clients, emplis de dégoût.
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Le soir, tout en grignotant mon bol d’insectes accompagnés de pousses de soja [bien plus écoresponsable que mon bifteck d’antan], je peux enfin me distraire devant un film Netflix : c’est l’histoire de Napoléon, joué ici par Omar Sy, et Joséphine, sa femme, jouée par une actrice mexicaine dont le nom m’échappe. La parité dans ce film est parfaitement respectée et on apprend, par ailleurs, que Napoléon était bisexuel, afro-américain et musulman. Le film a d’ailleurs obtenu 12 oscars, battant ainsi le précédent record de 11 statuettes, remporté par ‘Titanic’, un vieux film qui racontait l’histoire grotesque d’un couple blanc hétérosexuel, voyageant dans un paquebot de luxe au début du XXe siècle.
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Le film terminé, je décide de me glisser dans mon lit pour continuer ma lecture du moment ‘La Gloire de parent n° 1’. [Pour les plus anciens comme moi, ce livre s’appelait autrefois ‘La Gloire de mon père’, et faisait partie de la série ‘Souvenirs d’enfance’, de Marcel Pagnol].
Je vais, d’ailleurs, bientôt attaquer ‘Le Château de parent n° 2’ qui est la suite du premier. J’ai hâte.’