Par Hilaire de Crémiers.
Hilaire de Crémiers consacre sa tribune du numéro d’été de Politique magazine à une analyse de fond, brillante et parfois ardue, de cette sorte de révolution de la Foi catholique et de l’Église universelle à laquelle le pape François entend soumettre l’une et l’autre. Sujet qui dépasse de beaucoup le champ restreint – national, européen, ou à la rigueur occidental si cet adjectif conserve quelque sens – auquel, par principe et par tradition, nous nous limitons. Sujet, par ailleurs, dont Hilaire de Crémiers traite admirablement et qui, ne serait-ce qu’à cause de ses implications dans l’ordre politique et social, intéresse « le fidèle comme le citoyen ».
C’est un instrument de destruction et de renversement que le pape François propose à l’Église rassemblée en synode. Le fidèle comme le citoyen a le droit de crier casse-cou.
Ça se veut l’intelligence d’une nouvelle pastorale adaptée à notre époque. Mieux encore : le fruit d’une longue maturation dans les entrailles du Peuple de Dieu d’une profonde inspiration divine toujours en travail et où bouillonne en continu une révélation sans cesse actualisée de l’Esprit sur les signes des Temps. Cette révélation longtemps contenue et comprimée se libère enfin du carcan des traditions figées et casse les enfermements doctrinaux du passé, théologiques, canoniques, cléricaux.
Un processus ecclésial mettant en branle un principe universel et général de synodalité de bas en haut dans un premier temps, puis par la suite étendu à tous les niveaux, voulu et déclenché par le pape François lui-même, conforte peu à peu une nouvelle vision de l’Église d’étape en étape, depuis l’église locale jusqu’à la continentale et enfin l’universelle, dans un élargissement à la fois liturgique, démocratique et ministériel : car il s’agit de savoir ce qu’est, ce que veut, ce qu’institue en définitive le Peuple de Dieu.
Une Église synodale
S’élaborent ainsi visiblement par rencontres, travail en commun, dialogue et ouverture, phase après phase, en forme de questionnements non péremptoires et de réponses appropriées et peu à peu adaptées, les nouvelles voies de Communion, de Mission, de Participation où va se reconnaître l’Église de demain, celle où la Mission fera la Communion et vice-versa, comme la Participation de tous à tout – ministères compris – sera la consécration de la Mission et de la Communion universelles, l’humanité et l’Église fusionnant dans une communauté de destin, c’est en toutes lettres dans le texte. Église donc, qui ne sera plus – ce n’est pas dit mais la finalité de l’opération est parfaitement claire – catholique, apostolique, une dans sa règle de foi comme dans son principe d’origine et dans son but eschatologique, mais synodale, œcuménique, ouverte à l’Autre, à tout Autre et à tout l’Autre, quel qu’il soit : autres religions, autres mœurs, autres principes sociaux, autres conceptions du mariage, de la vie et que sais-je ? avec accueil prioritaire du migrant, n’importe quel migrant, du pauvre – et sous le nom de pauvre s’introduisent le n’importe qui et le n’importe quoi – du polygame – oui, c’est dit et redit ! –, enfin de l’inévitable LGBTQ auquel il convient de rajouter tous les plus de l’imagination la plus dépravée !
Telle est, hélas sans rire, la nouvelle religion. Elle est là. Ce n’est plus une histoire de ce progressisme déboussolé qui rêve de bouleverser l’Église depuis déjà plus de cent ans, mais qui se heurte régulièrement aux saines habitudes de foi du corps ecclésial. Non, cette fois-ci, c’est fait : la nouvelle religion est bien là ; elle est devenue la religion officielle de Rome, celle du pape François, telle qu’il l’a concoctée et la veut, telle que bientôt le magistère l’entérinera ou l’apparent magistère de l’Église ; car il est bien impossible que l’infaillibilité de l’Église puisse garantir une telle parodie qui n’est qu’un outrage à la foi millénaire de l’Église.
Nous assistons évidemment à la plus invraisemblable des usurpations ; voilà « l’Abomination de la Désolation dans le Lieu saint ».
Et, donc, la nouvelle religion est explicitée, à Rome, par Rome, aboutissement de plus de cinquante ans de dérives de toutes sortes qui ont suivi ou accompagné le concile Vatican II, et aujourd’hui coordonnées par la volonté de François dans un ensemble global, apparemment construit et unifié, et offert à l’Église enseignante et à l’Église enseignée comme norme de foi, sans, d’ailleurs, que la vertu de Foi soit spécifiée, comme signe d’espérance qui n’a plus rien d’eschatologique, comme manifestation de charité qui n’exclut rien sauf l’Amour jaloux du Dieu vivant.
Changement de paradigme
Les documents qui exposent la nouvelle « donnée » ecclésiale – on n’ose dire les nouveaux dogmes ou la nouvelle discipline – sont publiés en ce mois de juin sous le nom d’Instrumentum laboris. Il faut lire et comprendre. Et il faut espérer qu’il y aura des évêques pour lire et surtout comprendre ; peut-être quelques cardinaux s’il en reste encore qui ont le courage de la Foi . Leur devoir n’est que trop évident !
Ils doivent dire leur « Non possumus », quoi qu’il leur en coûte. L’homme qui tient le pouvoir est implacable et terriblement avisé dans l’incroyable détermination qui le possède depuis des années, d’arriver à ce moment de bascule, comme l’explique fort bien Jean-Pierre Moreau dans son livre François, la conquête du pouvoir, itinéraire d’un pape sous influence (Contretemps). Il est là pour ça et cette programmation est depuis longtemps préparée, en particulier chez les Jésuites où se trouvent ses principaux complices dans cette prévarication d’une audace folle : se servir du magistère pour mieux détruire le magistère traditionnel de l’Église. Le schisme ne lui fait pas peur, a-t-il déclaré. Pas plus que l’hérésie ! Et, donc, l’Instrumentum laboris va devenir le document de base avec fiches à l’appui, pour mettre en forme les nouvelles pratiques de l’Église ; il servira à la session synodale du mois d’octobre 2023, elle-même préparation de la session suivante de 2024, la conclusive. Habilement les suggestions dites de l’Esprit, vérifiées en « conversations » dites de l’Esprit – un truc combiné de propagande et de prière en groupe pour faire perdre tout esprit critique – seront alors transformées en prescriptions de l’Esprit – rien de plus facile ! – dans le cadre d’une Église devenue à tous les niveaux synodale. Ah, la synodalité ! Quelle trouvaille ! « Le marcher ensemble » pour mieux sortir du chemin de la Vérité et de la Vie.
Ainsi le plan de changement de l’Église va devenir définitif. Par l’implacable volonté de François qui, elle, n’a rien de synodale, mais s’impose avec un autoritarisme redoutable. Même dans les fiches proposées, la synodalité portera concrètement atteinte au pouvoir pontifical dans ce qu’il a d’essentiel dans la constitution de l’Église. Mais François croit sa mission au-dessus des règles, quelles qu’elles soient. Il est là pour faire parler la voix du Peuple de Dieu qui, elle, est infaillible. Une sorte de péronisme à la Bergoglio qui le justifie de tout.
Cependant, quels procédés : se servir des moyens de l’Église pour détruire la constitution divine de l’Église, instrumentaliser l’Esprit pour abolir la règle de Foi établie par Jésus-Christ, jouer de la crédulité des fidèles pour changer les mystères du salut en baratins socio-économiques et sociétaux !
Un charabia invraisemblable remplace l’exposé clair de la foi catholique. Plus rien de romain ! Ce à quoi Benoît XVI nous avait encore habitués. Une sauvagerie de faux intellectuel à quoi se résume cette prétendue nouvelle Pentecôte, remplit plus de soixante pages de sottises où le sophisme le dispute à la contre-vérité, l’embrouillamini au paralogisme. Au moment même où les fidèles s’éloignent et où les vocations se raréfient. L’échec cuisant devrait faire taire leur folie !
Et, d’abord, pourquoi cette inversion des termes mêmes de la proposition de foi ? à aucun moment le texte ne rappelle – pas même une allusion – que la religion que professe l’Église catholique est une révélation. C’est Dieu qui se révèle et qui est révélé, la Nouvelle alliance accomplissant l’Ancienne dans la personne de Jésus-Christ qui est, Lui-même, le seul salut. Nul ne peut être sauvé que par Lui. Et nul ne peut changer, même amodier le contenu de la révélation dont le dépôt a été confié à l’Église, au magistère, spécifiquement à l’Église enseignante qui en a la charge et, en particulier, le souverain pontife. S’il est le chef visible de l’Église, il est le vicaire – donc subordonné, doit-on le rappeler ? – de son Chef invisible qui, Lui, est le seul Seigneur et Roi, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui s’est fait homme pour notre salut. Car nous sommes rachetés.
Ces vérités de foi sont totalement évacuées par le texte proposé au synode. Non, le pape n’est pas le maître de la révélation, pas plus que de la religion, pas plus que de l’Église ; il ne saurait en faire ce que bon lui semble. Il est tenu, lui plus que tous les autres. Au risque de sa vie éternelle ! Qui osera le lui dire ? C’est un devoir de le lui rappeler. Il n’a le charisme de l’infaillibilité que dans le cadre de la règle de foi et de la discipline morale dont il bafoue ouvertement tous les fondements.
La démocratie religieuse
Qu’est-ce donc que cette notion de Peuple de Dieu, qualifié de synodal, dont il est dit « qu’il ne peut se tromper » ? Cette expression était réservée à Dieu et à Dieu seul, précisément dans l’acte de foi homologué par l’Église catholique. L’origine de cette aberration doctrinale se trouve dans la théologie de la Libération avec laquelle Bergoglio a plus ou moins fricoté, mais aussi bien dans les théories de la démocratie chrétienne, dans les suites de Blondel, de Sangnier, de Laberthonnière, puis de tous les courants soixante-huitards d’un christianisme dévoyé. L’Église hiérarchique a pour premier devoir d’enseigner les vérités de foi, de garder la discipline sacramentelle et morale, de préserver le troupeau des loups et des faux bergers, de le paître dans le clos du Seigneur et de le sanctifier. C’est l’essentiel qui n’est même pas rappelé par le texte synodal.
Le reste relève d’un baratin qui est précisément un abus d’autorité et un cléricalisme de mauvais aloi. Que prétend François ? Que prétend cette bande de jésuites, tous plus ou moins impies, voire immoraux – ne rappelons pas trop quels sont, quels furent les copains de François – qui veulent profiter de sa présence sur la chaire de saint Pierre pour enrégimenter l’Église dans leur chimère politico-économique. Qui osera rappeler la doctrine des fins dernières à tous ces imposteurs qui oublient qu’on ne se moque pas en vain du Dieu vivant ? Du Seigneur de la Gloire qui a tous les pouvoirs de son Père et qui est le dispensateur du seul véritable Esprit-Saint. Ce Roi, Fils de Roi, construit son royaume, et non pas la République de demain qui n’est et ne peut être que la domination de Satan. Ce qu’elle est en effet et de plus en plus. C’est donc un combat. Nous en sommes prévenus. Mais qui eût cru que l’ennemi pût un jour se placer au sommet de la cité de Dieu… sur cette terre. Il y a là quelque chose qui relève de l’Antéchrist. L’Apocalypse nous annonce dans quel camp se trouve la victoire.
Et Pascal ?
François a cru bon de publier une Lettre apostolique pour le quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal, Sublimitas et miseria hominis. Il s’agit d’un bon devoir, sorti de quelque jésuitière, pas de la plume de François – ce n’est pas son style –, même s’il l’a corrigé. Reste que les Jésuites par la voix du Pape réintègrent le génial savant, le polémiste redoutable et l’écrivain le plus sublime de langue française dans l’Église catholique, rappelant que l’homme est mort dans la foi la plus exacte et avec les dispositions de cœur et d’esprit, jusque dans la pauvreté, les plus conformes à sa volonté de sainteté.
Toutefois il est une question qu’il convient d’éclairer au-delà des débats sur la grâce, la prédestination, la casuistique, le molinisme et ses évidentes exagérations, c’est celle de l’objet même de la foi qui domine tout le reste et auquel tout se subordonne. Il est une inversion spirituelle, fort perverse, qui se lit trop, y compris chez le pape, et qui nuit à l’esprit véritable de Pascal, selon laquelle son témoignage personnel serait la garantie de la véracité de sa religion ; le romantisme et ses suites démocratico-religieuses ont répandu cette thèse à laquelle jamais Pascal n’aurait prêté caution.
C’est la vérité de la foi qui fonde chez Pascal la valeur de son témoignage personnel – et non l’inverse – comme, surtout et avant tout, le témoignage de l’Église ne vaut que par la vérité de Jésus-Christ. Tout, absolument tout, dans ses pensées et dans sa vie, tourne autour de la vérité du seul Jésus-Christ. Le relativisme bergoglien lui ferait horreur. Il ne supporterait pas l’idée qu’un pape puisse cosigner avec un imam ou un mufti un texte prétendument religieux. Pour lui, tout est preuve, encore preuve, toujours preuve ; et preuve de la seule vérité qui importe, l’unique salut en Jésus-Christ. Pascal n’était pas un adepte du « baratin » sur les religions, ni du « baratin » sur les valeurs du monde. Il aurait chiffonné Gaudium et Spes. C’est un abus épouvantable d’oser en faire un homme qui méprise les certitudes de foi et qui joue son salut à la roulette. Cette imbécillité dans la compréhension de Pascal est malheureusement fort à la mode. Pascal sait en qui il croit et pourquoi il croit : « Ainsi je tends les bras à mon Libérateur, qui, ayant été prédit durant quatre mille ans, est venu souffrir et mourir pour moi sur la terre dans les temps et dans toutes les circonstances qui en ont été prédites ; et, par sa grâce, j’attends la mort en paix, dans l’espérance de Lui être éternellement uni ; et je vis cependant avec joie, soit dans les biens qu’Il lui plaît de me donner, soit dans les maux qu’Il m’envoie pour mon bien et qu’il m’a appris à souffrir par son exemple. »
On aimerait du pape François une telle profession de foi. Serait-il insolent de rappeler cette réflexion de Pascal : « Toutes les fois que les jésuites surprendront le pape, on rendra toute la chrétienté parjure. Le Pape est très aisé à être surpris, à cause de ses affaires et de la créance qu’il a aux jésuites, et les jésuites sont très capables de surprendre à cause de la calomnie. » Que dirait-il aujourd’hui ? Cependant, tous les jésuites ne méritent pas un tel jugement, mais il est vrai qu’il serait grand temps que l’Ordre se redresse. ■
Illustration ci-dessus : François livre la colombe au corbeau prédateur.
A lire et relire et lire encore.
Rien compris à ton texte, Hilaire, mais d’accord avec toi : ce Pape est une canaille.
Le texte d’Hilaire me semble très clair – si j’ai bien compris – j’ai relevé quelques points : ce n’est pas l’Autre en tant qu’autre défini par nous qui fonde notre foi, mais la Révélation qui nous est donnée personnellement parfois par l’entremise de l’autre mais en fait de l’Eglise, qui nous permet de nous configurer au Christ. Dans ce cas la rencontre avec l’autre nous refonde parce qu’elle se fait sous le regard de Dieu, avec lequel l’Autre nous reconnait et réciproquement ; Donc la rencontre avec l’Autre n’abolit pas la transcendance, elle la vérifie répondant parfois au souhait secret de l’autre, s’il n’est pas chrétien. Bref tout n’est pas horizontal
« Le peuple de Dieu ne peut se tromper. « pour le chemin synodal , remarque avec malice Hilaire de Crémiers, mais qu’est-ce le peuple de Dieu ? Robespierre disait déjà que le peuple ne pouvait se tromper avalisant les horreurs croissantes de la révolution- en fait de peuple il s’agissait alors de minorités illuminées par la haine.. Le peuple de Dieu ne devrait pas se tromper » si chacun suit sa conscience éclairée, mais cela demande du temps et des sacrifices, -donc il peut se tromper. – le rôle de l’Eglise est bien de rappeler son Magistère, non de le dissoudre dans l’air de temps, ce qui met au rancart l’effort ou l’ascèse qui est exigé de nous pour vivre sa foi, c’est-à-dire l’approfondir. C’est le contraire du basculement prévu où la conscience semble issue de pressions communautaristes dans une confusion soigneusement organisée, où l’Esprit Saint, qui est souffle, me semble abusivement évoqué. .
C’est ce que j’ai cru retenir de ce texte très riche d’Hilaire de Crémiers qui initie une vraie réflexion sur nos enjeux, et je laisse à d’autres plus avertis le soin d’aller plus loin.