Par Gérard Pol*.
« Très, très triste nouvelle. Hélène Carrère d’Encausse nous a quittés. Des amphis de Sciences Po aux plateaux de LCI, j’ai eu la chance de côtoyer cette grande dame pendant un demi-siècle. Un mot pour la résumer ? Hélène, c’était la classe. » Bernard Lecomte.
Personnellement, je ne l’ai hélas pas vraiment connue.
« Grande dame », « la classe » : Bernard Lecomte, qui lui l’a bien connue, en quelques mots la définit excellemment.
Il y a cinquante-cinq ans, elle avait publié onze ans avant la chute du Mur, son « Empire éclaté » (1978) qui n’était pas un livre « prophétique » comme on a trop tendance à dire par paresse et étourderie, mais plutôt le résultat d’analyses réalistes et lucides, éclairées par beaucoup d’expérience accumulée, un peu à la ressemblance de Jacques Bainville, lui aussi trop souvent taxé de « prophétisme ». L’avenir, il ne le lisait pas dans les cartes du tarot.
Lui parlait simplement de « méthode ». Hélène Carrère d’Encausse n’en manquait pas. Le terme caractérise bien son œuvre et sa manière.
Qui ait prévu avec autant d’intelligence du sujet, l’effondrement du bloc soviétique, je n’ai connu que Thomas Molnar, comme Hélène Carrère d’Encausse grand esprit européen au sens où l’entendait Gustave Thibon. JSF conserve d’inestimables enregistrements de conférences en Provence de Thomas Molnar, allant dans le même sens que celui indiqué très tôt par Hélène Carrère d’Encausse.
Nous avons d’autres raisons particulières de pleurer la mort de cette grande Dame : c’est son ouverture d’esprit envers Charles Maurras, son confrère de l’Académie qui l’avait radié à la Libération (comme le Félibrige qui s’aligna sur l’Académie) à cause du sectarisme de ce temps troublé tout en décidant de ne pas le remplacer jusqu’à sa mort, par respect pour cet homme d’exception dont tout le monde savait, depuis que Péguy l’avait salué, le courage et le désintéressement absolus.
Hélène Carrère d’Encausse était Secrétaire perpétuel lorsque pour je ne sais plus quel grand anniversaire, naissance ou mort, fut organisé à l’Institut sous sa présidence un colloque, en fait, d’hommage à Maurras conduit par Marcel Jullian et Jean-Marc Varaut, tous deux orateurs habituels de nos rassemblements royalistes des Baux où d’ailleurs ils ont accueilli ensemble les Princes en 2002. De vrais rassemblements royalistes ceux-là, honorables et sérieux.
Au colloque de l’Institut, il y avait quelques académiciens dont le très âgé Michel Mohrt qui avait donné quelques temps avant, un entretien à Je Suis Français (Pierre Builly et François Davin) à l’époque mensuel, papier. J’eus la surprise, à l’Institut, d’entendre l’écrivain et académicien Michel Mohrt « chanter » fort bien et de mémoire de nombreux vers de Maurras, dont certains poèmes que je ne connaissais pas. Devant l’admiration qu’on lui manifestait pour tant de mémoire – et de talent – il ajouta comme en confidence : « vous savez, je suis né avant 1914 ». Hélène Carrère d’Encausse présidait cette séance. Je lui en sais gré.
Dernier point auquel ce deuil me conduit à penser : la sympathie qui s’était créée, je crois, entre Hélène Carrère d’Encausse et Nicole Maurras. Elles étaient d’âge voisin. Il n’y a pas si longtemps, si je ne me trompe, accompagnée de quelques amis proches, dont, au premier chef, Hilaire de Crémiers, Nicole Maurras avait rendu visite à Hélène Carrère d’Encausse à l’Académie, pour lui, remettre, à l’intention de la Compagnie l’épée d’académicien de Charles Maurras. Elle s’y trouve. En lieu sûr, autant que faire se peut. (Photo : De gauche à droite, de face, Jacques Maurras, Jean Arnaud, Nicole Maurras à Roquevaire sur la tombe de Charles Maurras).
Qui sera le prochain Secrétaire perpétuel de l’Académie française ? Je crois la question plus importante qu’il y paraît. À coup sûr, la mort d’Hélène Carrère d’Encausse, fera naître, à bien des titres, bien des regrets. ■
* Précédemment paru sur Facebook.
Eh bien moi j’ai eu beaucoup de chance de rencontrer par deux fois Mme Carrère d’Encausse un peu longuement.
La première fois, alors que j’étais sous-préfet de Beaune, elle a présidé le 22 janvier 1989, la « Saint Vincent tournante » de Santenay, au sud de la Côte.
Qu’est-ce que la « Saint Vincent tournante » ? C’est bien simple : depuis 1938, la confrérie des Chevaliers du Tastevin a ravivé la tradition ancienne d’une grande fête où les sociétés de secours mutuel (sociétés de Saint Vincent, patron des vignerons) défilent, chaque année dans une commune différente. La fête se déroule fin janvier et les villages sont décorés de dizaines de milliers de fleurs artificielles, confectionnées en papier crépon de couleur. On achète un verre et on a le droit de déguster dans tous les caveaux. À la fin des années 90, il y avait entre 100 et 200.000 personnes lors du week-end et le gigantisme a failli tuer la fête, revenue à de plus justes proportions (40.000 personnes). Un grand banquet très coûteux (200 €) et très long (3 ou 4 heures) réunit des milliers de convives. Il va de soi que le sous-préfet et sa femme étaient invités et passaient un bon moment à converser avec le président de la fête.
Mme Carrère d’Encausse, historienne reconnue, n’était pas encore membre des Quarante.
Elle allait le devenir 13 décembre 1990 et a reçu la charge de Secrétaire perpétuel le 21 octobre 1999.
Ma seconde rencontre date de mai 2011. Parmi mes attributions administratives, à la Préfecture de police, il y avait notamment la délivrance des passeports et des cartes d’identité. Une après-midi, le Préfet, Michel Gaudin me fait appeler d’urgence dans son bureau, ce qui était très inhabituel. Où était assise Mme le Secrétaire perpétuel, qui sollicitait le renouvellement d’un de. ces documents.
Naturellement, nous avions une salle VIP où étaient accueillies confortablement les personnalités. Michel Gaudin m’a prié d’y conduire Mme Carrère d’Encausse et de lui faire confectionner ce qu’elle sollicitait. Cela a duré une bonne vingtaine de minutes où elle a été charmante aussi bien avec le personnel d’exécution qu’avec moi, qui lui a rappelé notre rencontre à Santenay, dont elle a bien voulu se souvenir…
Et, charme délicieux qui lui va bien, elle a adressé quelques jours plus tard au Préfet une lettre où elle célébrait ma courtoisie, ma culture et le bon moment que nous avions passé ensemble.
Qu’on me pardonne ces souvenirs très personnels, mais ils disent aussi la qualité de cette grande dame, inflexible sur les principes importants et sur la qualité de notre langue…
Dans sa jeunesse, Hélène Carrère d’Encausse, appartint à une petite cohorte d’amis, fidèles à la mémoire de Robert Brasillach, qui s’était constituée autour de Maurice Bardèche et de sa femme, Suzanne, la sœur de Brasillach.
Je fais suivre cette indication de quelques lignes extraites des «Souvenirs» de Maurice Bardèche:
«De ces nouveaux venus, la plus attachante, la plus inattendue était une jeune Géorgienne qui nous montra tant d’affection qu’elle nous fut aussi chère, à Suzanne et à moi, que si elle était l’un de nos enfants. Elle avait vingt ans, une figure claire, souriante et triste, et de grosses nattes pareilles à celles des jeunes filles de la comtesse de Ségur qu’elle enroulait à la hauteur de ses oreilles comme un gros écouteur de téléphone. Cette contemporaine du général Dourakine s’était précipitée en pleurant dans les bras de Suzanne, le matin du 6 février 1950, à la sortie de la messe qui venait d’être dite pour Robert Brasillach en l’église Saint-Séverin. Elle s’appelait Hélène Zourabtchvili. Son père avait été le dernier président du Conseil de la République de Géorgie. Sa famille s’était réfugiée en France après la révolution d’octobre. Ils avaient vécu à Bordeaux où son père avait été assassiné en 1944. Au moment de notre rencontre, la jeune orpheline venait d’arriver à Paris avec sa mère, elles étaient seules, ne connaissaient personne, et, comme elles n’avaient pas de logement, elles habitaient alors dans les locaux de l’église russe de la rue Daru où le pope les avait accueillies. Nos destinées se ressemblaient, sa vie avait été brisée comme la nôtre. Elle partageait notre colère et notre révolte, avec en plus cette intransigeance et cette violence qu’on trouve parfois chez les jeunes filles.
Elle devint notre amie. Elle avait l’âme d’une jeune héroïne, mais en même temps elle était réaliste, décidée, lucide. Elle fut la première de ces orphelins qui furent, tout le long de notre vie, comme des enfants adoptifs que nous ajoutions à nos propres enfants et que nous entourions de la même tendresse. Nous en retrouverons plusieurs comme elle, qui plus tard ouvrirent leurs ailes pour une autre destinée.
Par son mariage lors duquel mes jeunes enfants assurèrent son service d’honneur, Hélène Zourabtchvili est devenue Mme Hélène Carrère d’Encausse, aujourd’hui membre de l’Académie française.» (Maurice Bardèche, «Souvenirs», Bucher-Chastel, 1993, p. 206-207.)