Par Pierre Builly.
Premier mai de Luis Saslavsky (1958).
Le populo comme on l’aime.
Si ce délicieux petit film communiste avait dix minutes de moins (et il est pourtant déjà court), ce serait un bijou sans défaut ; mais la fin est un peu trop gentillette et larmoyante et gâche légèrement (mais légèrement, vraiment) la grâce initiale…
Cela dit, quelle jubilation ! Lorsque j’écris film communiste, il ne faut pas imaginer que ça puisse ressembler à La vie est à nous, (la remarquable réalisation de propagande de Jean Renoir) et moins encore aux réalisations gauchistes de Marin Karmitz, Joris Ivens, Chris Marker ou Romain Goupil.
Premier mai illustre parfaitement ce qu’on a appelé Le bonheur d’être communiste où, dans cette église bien particulière, on avait la certitude de vivre dans un monde binaire, mais destiné à irrésistiblement passer, à terme assez bref, dans la Dictature du prolétariat et, un peu plus tard, dans la Société sans classes.
Dans Premier mai, tous les prolétaires sont bons, altruistes, généreux, débrouillards et honnêtes ; il y a quelques canailles qui sont issues de la classe ouvrière, mais qui en sont honteuses (Gabrielle Fontan) ou qui l’ont scandaleusement trahie en pactisant avec des marlous et aristocrates décavés (Maurice Biraud, qui entraîne Yves Montand, le prolo au cœur pur, vers les vertigineuses et immorales abysses du jeu et du libertinage). Anecdotiquement reconnaître l’extraordinaire gueule d’Alice Sapritch, en pute noiraude et fatidique).
Comme ça, j’ai l’air de me moquer, alors que je ruisselle de tendresse pour ce monde de pt’its gars plombiers-zingueurs, de bistrots accueillants et chaleureux, d’entraides populaires, de pavillons bien astiqués et… de pruderie touchante…
Car il ne faut pas croire que le Parti de Maurice Thorez (et de son austère compagne Jeannette Thorez-Vermeersch) se distinguait beaucoup, en matière de morale avec la vertu la plus traditionnelle : devant le gamin de 8 ans qui pense que le petit frère (ou la petite sœur ; comme il dit, les filles, c’est aussi des gens !) va être livré comme un colis, puisqu’on n’a pas décidé d’aller le chercher directement en magasin, tout le monde rivalise de gêne et angoisse à l’idée que le gamin pourrait apprendre que les bébés ne naissent pas dans les choux).
Et même si le personnage positif (la radieuse Nicole Berger, qui mourut dix ans plus tard, à 33 ans, dans un accident de la route) est posée en avant-garde progressiste, envisageant même de céder avant mariage aux assiduités de son fiancé (on voit l’audace !), la vertu règne.
Doux monde de 1957, où toute une banlieue de Paris est en fête et où à chaque coin de rue, on vend des bouquets de muguet. Ce doit être Nanterre ou Puteaux (puisqu’on distingue, sur nombre d’images, le CNIT en construction, CNIT aujourd’hui pièce majeure du quartier d’affaires de La Défense, et qui fut inauguré en 1958). .
Oui, Nanterre ou Puteaux… Qui se souvient aujourd’hui, où la ville, précisément grâce à la manne de La Défense, est une des plus riches communes de France que Montand, en 1944 chantait dans Luna Park :
Dans mon usine de Puteaux
On peut dire que j’ai le fin boulot
Ça f’ sait bien trois cent soixante cinq jours de long
Que j’ vissais toujours le même sacré petit boulon
Mais cela ne m’empêche pas de chanter
Hidlele hidlele hideledele
Il y avait des usines à Puteaux, à Nanterre, à Levallois… Qu’est-ce que ça date… Les ouvriers endimanchés, le zinc reluisant, les religieuses en cornette, les Cadillac immenses et mal famées…
Les lendemains chantaient… ■
DVD autour de 13 €.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Publié le 28.04.2019 – Actualisé le 12.08.2023
Quelle chronique jubilatoire, elle aussi ! Les adjectifs dont l’auteur se sert pour qualifier le film s’appliquent tout aussi bien à ce qu’il en dit, avec naturel, vivacité, élégance de l’écriture et des pensées. Bravo !
Non seulement les films sont bien choisis mais aussi , les exposés sont à la hauteur , en effet .
Pour le cas présent , il est juste ce rappel du contexte de l’ époque .
Photo bien adaptée : la Saprich , regardée en coin par Yves Montand .
bravo Pierre
pour tes chroniques jubilatoires!
amitiés
bv
Excellent commentaire qui met l’eau à la bouche. Merci. Mais il n’y avait pas alors que les communistes pour savoir parler du peuple. Rohmer aussi, en plus intello. Puis Kusturicka. Mais pas d’américain.
Rohmer c’est un peu plus tard ( Le signe du lion, excellent premier film date de 1962), mais surtout, je pense, il s’attache à dépeindre, avec un talent fou, la moyenne bourgeoisie…
Kusturika, c’est un immense cinéaste yougoslave (j’écris « yougoslave » volontairement en toute connaissance de cause : il ne s’est pas consolé de l’éclatement de son pays). Mais c’est avant tout un Slave et, comme Mickalkov, russe et Slave, il est très différent dans sa pensée et dans son cinéma d’un Français.
Les États-Unis, c’est une autre affaire… comment pourrait-on ne pas voir les incroyables différences entre les films des côtes Est et Ouest, ceux du « Vieux Sud », le Far West…
Y a-t-il une unité aux États-Unis ?