Par Pierre Builly.
Full metal jacket de Stanley Kubrick (1987).
Ma seule amie c’est mon flingue …
J’irais volontiers jusqu’à comparer Full metal jacket, avant-dernier film de Stanley Kubrick et Barry Lyndon (le film que tout le monde apprécie) sous l’aspect de la perfection formelle et de la beauté picturale des images (et peut-être aussi, mais là je fais de la provocation, de l’absence d’intérêt de l’intrigue).
Beauté picturale évidente et sans doute plus compliquée à susciter que ne l’ont été les tableaux de la société du 18ème siècle, des salles de jeu du Saint Empire et des prairies de la verte Angleterre. Parvenir à créer une esthétique à partir d’un parcours du combattant particulièrement exigeant, d’une chambrée austère, de la plaine des Jarres balayée par un tireur fou, d’un décor urbain souillé d’incendies et de fumées noires est tout de même un sacré défi, sans doute réalisable par le seul Kubrick.
Tout le monde s’est naturellement étonné de la différence apparemment considérable entre les deux segments du film, celui de l’entraînement des Marines à Parris Island et celui de leur combat sur le terrain, dans cette guerre absurde, incomprise par l’opinion publique et rejetée par elle, sur un territoire où les États-Unis avaient beaucoup moins à faire que la France, abandonnée par eux à Dien Bien Phû, et y subissant un traumatisme dont ils se remettent à peine.
Mais cette apparence d’absurdité dans la composition du film donne précisément un parfait éclairage à l’enlisement terrifiant dans un pays inconnu, pour un combat sans espérance, dans une boue toujours poisseuse.
Guignol (Matthew Modine) n’étant, d’évidence, par la relative pâleur de son personnage, qu’un lien assez friable entre les deux parties, quelles sont les deux vraies vedettes du film ? Évidement le sergent instructeur Hartman (Lee Ermey) et Grosse baleine (Vincent D’Onofrio).
Notons que l’un et l’autre n’étaient pas acteurs professionnels avant le tournage, ce qui permet de jauger l’invraisemblable capacité de Kubrick à hausser des inconnus à la hauteur de ses ambitions. Notons aussi qu’ils n’apparaissent que dans la première partie et que leur disparition, après la césure, laisse une impression de vide et de chaos naturellement recherchée par le réalisateur, qui est exactement celle du merdier (The short timers) titre du roman de Gustav Hasford) dont Full metal jacket est très lointainement adapté.
Est-ce un film antimilitariste ? Pourquoi le serait-il ? L’entraînement des Marines (qui sont des engagés volontaires dans une Arme d’élite) n’est pas différent de ceux que la télévision nous montre périodiquement pour être celui des Légionnaires, du GIGN ou du Raid ; certains camarades militaires m’ont même dit que certaines unités spéciales (par exemple, en France, le 13ème régiment de Dragons parachutistes), connaissaient des exercices beaucoup plus durs. Et l’enseignement – pour le moins pittoresque – du sergent Hartman vise à préparer des combattants aux pires conditions de guerre.
La guerre, précisément. Full metal jacket est-il un film contre la guerre ? Va savoir ! Selon le co-scénariste Michael Herr, ancien correspondant au Vietnam, ce n’était pas du tout l’intention de Kubrick qui s’attachait bien davantage à essayer de représenter la réalité du combat ; ce que vivent Guignol et ses camarades, c’est un peu ce que voit Fabrice del Dongo, à Waterloo au début de La chartreuse de Parme ou ce que dit de la vie Shakespeare dans Macbeth : c’est une histoire pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, et qui ne signifie rien.
Et pour qui en douterait, voilà la glaçante séquence finale, ces petits gars du Wisconsin, de l’Alabama ou du Texas qui marchent dans le crépuscule sur fond d’incendies, la peur au ventre, et qui pour se rassurer, revenir un peu au pays de l’Oncle Sam et au pays de leur enfance, chantent le générique du Mickey mouse club.
L’enfant est le père de l’homme, comme dit l’autre… ■
DVD autour de 10€
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Publié le 26.05.2019 – Actualisé le 19.08.2023
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