L’exemple chinois.
Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article est paru dans Causeur le 28 août. Quand Jean-Paul Brighelli traite d’enseignement il est (presque) infaillible. Nous nous exemptons donc de commentaire. En revanche les lecteurs historiens de JSF interviendront s’ils le jugent utile.
Le président de la République, dans une récente interview au Point, a proclamé: « L’histoire doit être enseignée chronologiquement et l’instruction civique, devenir une matière essentielle. Chaque semaine, un grand texte fondamental sur nos valeurs sera lu dans chaque classe puis débattu ». Notre chroniqueur, qui a très vite répondu par le sarcasme aux promulgations d’Emmanuel Macron, revient sur la question: quelle Histoire voulons-nous, devons-nous enseigner aux enfants? Et ses réponses décoiffent, comme d’habitude.
la fierté d’être Français.
Levée de boucliers. Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’association des Professeurs d’Histoire-Géographie, s’insurge : « On est un peu interloqués (…) Il y a difficilement moins chronologique que le programme de première par exemple : on commence en 1789 et on s’arrête en 1920 » — oubliant de nous dire comment on fait tenir 140 années terriblement chargées d’événements en une quarantaine d’heures de cours : interroger un élève de première sur ce qu’il a appris en Histoire, c’est rencontrer les abysses.
Le problème n’est pas nouveau, comme le rappelait Ouest-France en… 2017. Alain Decaux déjà en 1979 affirmait : « On n’apprend plus l’histoire à vos enfants ». Depuis, la querelle fait rage : les traditionnalistes prônent le « roman de l’histoire », un concept foulé aux pieds par les pédagogues professionnels, les profs de gauche, les islamo-gauchistes et les intersectionnels de toutes obédiences. Parce qu’il faut comprendre que le débat ne porte pas sur l’enseignement, mais sur la France qui découle de cet enseignement. L’enseignement chronologique strict, le « roman » historique, autant de pratiques « identitaires » qui excluent les nouveaux arrivants, les immigrés, les non-assimilés, etc. Les uns veulent ressusciter la France, les autres l’éclater façon puzzle.
Aucun cours d’histoire ne peut se passer de récit : c’est par le récit que l’on accroche et que l’on instruit. Je veux bien que la recherche en Histoire passe par les documents. Mais faire étudier des documents à des enfants comme s’ils étaient des archéologues est proprement stérile. De quoi les dégoûter à jamais d’une matière indispensable à la construction de la citoyenneté.
Quitte à me fâcher avec des gens qui de toute façon me haïssent, je vais me risquer à préciser que le « roman » de l’Histoire, c’est le récit historique plus le style. C’est tout. On n’invente pas, on met en scène.
Et à propos de mise en scène, faisons un détour par les pratiques de la République populaire de Chine.
J’ai tout récemment fait l’acquisition en DVD de deux films chinois récents qui exaltent le combat du peuple contre l’occupant japonais. La Brigade de Shandong (2021) narre un haut fait de la résistance chinoise à l’envahisseur nippon, quelques héros anonymes œuvrant à la destruction d’un train bourré d’armes destinées à l’armée du Soleil levant : c’est prodigieusement filmé par Feng Yang. La Brigade des 800, de Guan Hu (2020), raconte la résistance de 800 soldats chinois, pour l’essentiel des non-professionnels recrutés à la va-vite dans les rizières, contre des milliers de Japonais à Shanghaï en 1937 — l’entrepôt qu’ils défendirent a été conservé tel quel, ravagé de balles, par les autorités actuelles.
C’est Alamo, c’est les Thermopyles, c’est la bataille de Rorke’s Drift (vous vous rappelez peut-être Zoulou, le film de Cyril R. Enfield réalisé en 1964). Ce serait Camerone, si le gouvernement français, au lieu de financer des réalisatrices qui lui crachent à la figure dès qu’elles en ont l’occasion, se souciait d’apprendre l’Histoire aux gamins : la perte du sentiment de l’épopée est le prélude à toutes les redditions culturelles.
Et dans le film, où le sang gicle comme au plus beau temps de Sam Peckinpah, un jeune garçon terrorisé finira par se battre et mourir comme les autres. À quand un vrai film révolutionnaire sur le petit Bara, tué par les Vendéens en 1793 ?
La IIIème République avait su mobiliser les consciences après 1870, dans la perspective du règlement de comptes à venir contre la Prusse. Voyez un tableau comme Les Dernières cartouches, peint en 1873 par Alphonse-Marie-Adolphe de Neuville : ce fut pendant un temps le tableau le plus cher au monde, il a inspiré un film aux Frères Lumière et à Georges Méliès. Il y a là un vrai sujet épique — ça nous changerait des complaisances nombriliques du cinéma français actuel. Voyez l’anecdote du Combat des Trente, où pendant la guerre de Succession de Bretagne (1351), en pleine guerre de Cent ans, soixante chevaliers appartenant aux deux camps antagonistes — l’un soutenu par les Anglais — se défièrent en combat chevaleresque, à la façon de la Table Ronde. Comme Beaumanoir réclamait à boire durant le combat, son compagnon Geoffroy du Boüays lui aurait répondu : « Bois ton sang, Beaumanoir, la soif te passera » — ce qui devint la devise des Beaumanoir. Vous imaginez ce qu’un réalisateur chinois ferait d’une telle situation ?
Notre histoire est assez riche pour offrir des sujets de films à l’infini, afin de recréer et conforter le sentiment patriotique — et non, ce n’est pas un gros mot : les Chinois n’hésitent pas, eux, et ils sont en passe de devenir la première économie mondiale. Le libéralisme occidental a cru pouvoir se passer de l’Histoire et de la culture ; le libéralisme chinois prouve qu’en s’appuyant sur l’histoire des peuples, on obtient bien plus aisément leur assentiment. Les compagnies de production chinoise mettent le paquet pour faire des films qui redonnent de la fierté au peuple — tout comme Eisenstein avait redonné de l’élan aux Russes en filmant Alexandre Nevski en 1938. Bien sûr, le héros incarné par Nikolaï Tcherkassov exaltait le leader suprême de l’époque — qui allait résister aux panzers nazis à Stalingrad tout comme Nevski avait affronté les chevaliers teutoniques : c’est cela aussi, le roman de l’Histoire, et à tout prendre, je préfère de légères distorsions, un usage généreux de l’épopée et du lyrisme, aux ratiocinations bien-pensantes de certains profs d’Histoire d’aujourd’hui, qui sont plus des idéologues que des historiens. Tant qu’à forcer le trait, autant le faire dans la perspective de la fierté d’être Français. ■
Très juste sauf l’histoire du petit Bara, forgée de toutes pièces à des fin de propagande
j’ai malheureusement oublié la référence, Reynald Secher peut-être?
De la part de ce vieux jacobin de Brighelli, ce n’est guère surprenant…
Mieux vaut une histoire peut-être inventée mais révolutionnaire et patriote que plus d’Histoire du tout….
Et puis le succès réel de « Vaincre ou mourir » avec Charette ouvre des perspectives…
Brighelli est loin d’être un imbécile. Ce texte non plus. D’un autre côté, la restauration d’un « roman national » aujourd’hui nous serait fatale : ce serait la glorification de la révolution et de ses suites. Pas sûr qu’on en soit très content. Faudrait pas oublier que la IIIe république s’est confortée, entre autres choses, par une propagande historique distribuée en grande quantité par les hussards noirs…
L’absence de roman historique laisse la place vide. N’attendons pas que l’Etat la comble, il ne la comblera pas, ou alors très mal. C’est à nous de le faire, et d’ailleurs, le Puy du Fou le fait déjà.
L’enseignement du « roman national » avait au moins le mérite de présenter l’histoire de France de façon chronologique et sur une longue période ( de mémoire allant des Mérovingiens – en primaire – à la seconde guerre mondiale, cette dernière vite expédiée en fin de terminale) .
Bien entendu, propagande républicaine au primaire » Louis XIII , le dernier roi que les Français aient aimé » .
Ensuite , au Lycée , rien n’empêchait « l’esprit critique » de s’exercer.
Maintenant, c’est du sabotage pur et simple semble t’il . Une honte pour l’éducation nationale, à commencer par ses ministres, laquelle éducation nationale ne rend pas service , c’est le moins qu’on puisse dire, aux élèves qui lui sont confiés .
Reste le « repêchage » par les émissions télévisuelles encore présentes et faisant bonne audience ; ainsi que les bons films .
En effet, la diffusion du « roman national républicain » a été un des principaux obstacle à la propagande royaliste.
J’avais envisagé de faire une thèse sur les manuels d’Histoire à l’école primaire, et j’avais constaté qu’il y avait souvent deux chapitres pour Louis XIV. Pas tellement parce que ce règne fut long; mais parce que Louis XIV fut le dernier des « bons rois » qui firent l’unité française, et le premier des « mauvais rois » pour justifier la future révolution…
Pierre Builly a raison au premier abord : mieux vaut une histoire inventée ou fantasmée que pas d’histoire du tout, car nous savons bien que nous en sommes héritiers et que l’histoire vit en nous. Mais attention une histoire officielle mensongère par ce qu’elle élude tout une part, , nous prend en otage , sans nous laisser le choix d’y trouver notre place, laisse un vide dans l’âme, une tristesse. A force de leur avoir raconté des histoires, d’avoir fait de notre histoire une ( fausse) religion séculière, on a peut-être dégoûté les Français de leur histoire sans qu’ils s’en rendent compte. Les historiens doivent nous laisser intacts, libres de faire nos choix et éclairer ceux de nos devanciers. . J’ai déjà cité l’historien français actuel, qui-à mon sens,- répond le mieux à cette exigence, la passion d’explorer les âmes à travers les archives peu utilisées et d’éclairer des enjeux,.. toujours présents….. deux siècles après : celui de notre liberté..