Recueillement dit par Daniel Mesguish – Aquarelle de Gustave Moreau
Les littéraires nous corrigeront si nous nous trompons, mais nous voyons dans ce poème, à bien en lire les strophes et les vers, parmi les plus beaux de la poésie française, bien davantage que l’expression du spleen que porte le poète. Nous savons Baudelaire grand lecteur de Maistre et premier traducteur français des contes de Poe. Nous le savons foncièrement antimoderne, comme les précités. On ne se trompera pas, selon nous, si on comprend ce poème, à travers maintes expressions nimbées de mystère poétique, comme un puissant élan de rejet des sociétés dites modernes en cours d’avènement. « Entends, ma chère, entends la douce nuit qi marche », dit-il à sa douleur. Mais pour saisir cette logique – toute poétique, et, en ce sens, toute politique – il faut lire les tercets et les quatrains précédents, lire ce sonnet justement, avec recueillement. Ainsi, nous nous exercerons au re-constructivisme que l’actualité impose. G.P.
Recueillement
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,
Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;
Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal (les Nouvelles fleurs du mal 1868)
Se reporter aussi à l’éphéméride du jour.
Première publication le 9 avril 2021 – Actualisé le 31.08.2021 et 2023