Par Radu Portocala.
Pour l’avoir vécu et pour lui avoir survécu, je sais ce que c’est.
Le 4 mars 1977, à 9 heures 20 du soir, un bruit sourd comme l’avancée d’une énorme colonne de chars emplissait Bucarest. Pour une fraction de seconde, c’est ce que j’ai pensé. Ensuite, l’immeuble a commencé à trembler. Fort, très fort.
57 secondes. C’est une éternité lorsque vous avez l’impression que la terre ne vous veut plus. 7,6 sur l’échelle de Richter. Des mouvements d’une amplitude monstrueuse : 1,50 m à l’horizontale, 90 cm à la verticale. Se tenir debout était presque impossible. Le lustre tournait, dessinant un cercle sur le plafond. Les meubles glissaient sur le parquet. Tout cela dans le noir, car l’électricité s’était arrêtée dès les premières secondes.
Lorsque je suis, enfin, sorti sur le trottoir, une lune énorme était la seule source de lumière de la ville. Et son éclat était filtré par une sorte de nuage rougeâtre. J’allais comprendre, quelques minutes plus tard, que c’était la poussière des briques broyaient qui s’élevait des décombres.
36 grands immeubles effondrés. Officiellement, 1 700 morts – et probablement plus. Pendant des jours et des nuits on a fouillé les amas de gravats, extrayant quelques miraculés et beaucoup de corps déchiquetés.
Beaucoup d’immeubles délabrés n’ont jamais été réparés. Mais Ceausescu eut alors l’occasion de mettre en œuvre son plan de « restructuration » de la ville – c’est-à-dire de destruction de sa partie la plus ancienne, afin que puisse y être érigée sa bâtisse grandiose et hideuse, appelée à l’époque « la maison du peuple ».
Un tremblement de terre est une monstruosité qui vous fait perdre confiance en la seule chose qui vous paraissait sûre auparavant : la terre sur laquelle s’appuient vos pieds. ■
Billet, comme toujours superbement écrit et pensé, paru ce 10 septembre sur la page FB de son auteur.