Avec Christophe de Voogd – Atlantico, entretien.
Les critiques sur la présence d’Emmanuel Macron à la messe célébrée par le pape François à Marseille proviennent principalement de la gauche.
Commentaire – Cet entretien relativement court, par ailleurs intéressant, et, en tout cas, d’actualité, est paru le 17 septembre dans Atlantico. Voici donc analysées ici, surtout, les « troubles motivations » de ceux qui, à l’extrême gauche, hurlent au scandale après qu’Emmanuel Macron eut fait annoncer qu’il assisterait à la Messe du pape François au stade vélodrome à Marseille le 23 de ce mois. Ces motivations sont largement éclairées par les explications de Christophe de Voogd, qui, à vrai dire, ne surprendront pas l’observateur un tant soit peu avisé de l’actualité politique et de ses ressorts. Les « motivations troubles » d’Emmanuel Macron existent tout autant et, même s’il s’y étend moins, Christophe de Voogd ne manque pas de les noter. Motivations troubles d’ailleurs qui n’enlèvent rien au fait qu’il est normal que le Chef de l’Etat soit présent à cette messe du pape régnant, comme on disait autrefois. Quant à cette forme de complicité affichée entre les deux hommes, mi-sérieuse, mi-amusée, dont on peut supposer en quoi elle consiste, de quoi elle est faite, là est plutôt, nous semble-t-il, le vrai sujet d’inquiétude, de réprobation et d’opposition, même si elles s’expriment de notre part, autrement que sous forme de hurlements proches de crises de folie, sénile ou non. Electoraliste sûrement. Electoralement suicidaire, sans-doute.
« Le « toujours plus à gauche ! » est une recette éprouvée dans notre histoire, des Enragés de la Révolution aux communistes du XXème siècle »
Atlantico : Emmanuel Macron assistera à la messe célébrée par le pape François au stade Vélodrome de Marseille le 23 septembre. Les critiques pleuvent, principalement à gauche. Quelles sont les raisons de ceux qui hurlent au scandale ?
Christophe de Voogd : Permettez-moi de corriger : « les critiques pleuvent à l’extrême-gauche » : 90% proviennent de la NUPES.
Il faut d’abord distinguer les stratégies en présence : celle de la NUPES justement et celle du Président. La première cherche à l’évidence à allumer un contre-feu après son désastre sur l’abaya où sa position était rejetée par l’immense majorité des Français et minoritaire dans son propre électorat. Après quinze jours de descente aux enfers de l’opinion, elle a trouvé dans la décision d’Emmanuel Macron d’assister à la messe pontificale, une branche providentielle – c’est le cas de le dire – à laquelle se raccrocher in extremis.
Du côté d’Emmanuel Macron, l’objectif est, « en même temps » oblige, plus complexe. Il s’agit d’abord d’envoyer un signe à l’électorat catholique qui s’inscrit dans une de ces « séquences » qu’affectionne le Président, avec simultanément l’appel au sauvetage des églises de « la France profonde ». Parallèlement, et on l’oublie trop souvent, Emmanuel Macron va à un événement bien précis : une visite pontificale centrée sur la question des migrants, sur laquelle François exprime la conviction « progressiste » que l’on sait. La décision d’Emmanuel Macron vise donc là plus spécifiquement l’électorat catholique de gauche et la fibre humanitaire de la gauche française. A quoi s’ajoute l’enjeu européen dans le cadre de la crise de Lampedusa et le soutien français indéfectible à la politique bruxelloise de répartition des migrants, que le Président vient de réitérer. D’une pierre, trois coups donc. Je rappelle à cette occasion que le groupe Renaissance s’était opposé en avril à un amendement PPE visant à autoriser, contre la volonté de la Commission, l’octroi de crédits communautaires aux mesures de renforcement des frontières nationales dans le cadre du budget 2024.
Sur le fond, cette présence d’Emmanuel Macron à Marseille est-elle une entorse au principe de laïcité ?
Vaste sujet que celui de la laïcité qui touche au droit, à l’histoire et à la philosophie politique. J’en connais autant de définitions que de spécialistes, lesquels semblent par ailleurs pulluler sur les réseaux sociaux. Je suis assez sceptique sur la distinction entre « laïcité ouverte » et « laïcité fermée » qui me semblent dissimuler, pour la première, une vision communautariste et, pour la seconde, un zèle anti-religieux.
Je l’aborderai ici sous l’angle de l’historien du discours politique qui est le mien. Pour observer d’abord que comme pour la querelle de l’abaya, les adversaires du geste présidentiel utilisent avec constance les mêmes procédés rhétoriques, en particulier les sophismes de la fausse analogie et de la fausse dichotomie. Fausse analogie quand on compare ce qui n’a rien à voir : la collégienne en abaya avec un responsable politique à une messe, comme on avait comparé l’abaya elle-même, habit religieux du croyant ordinaire, avec les habits des religieux (le curé en soutane, la bonne sœur en cornette, voire la Vierge Marie elle-même). La fausse analogie du « c’est comme » ou « c’est comme si » est l’un des sophismes préférés de la rhétorique « insoumise » et des réseaux sociaux : elle signale immanquablement la mauvaise foi et/ou l’ignorance. Elle a ici pour but de mettre l’islam et le christianisme, non pas dans une stricte égalité juridique – ce qui est déjà le cas – mais culturelle et identitaire. L’on oublie ainsi – ou feint d’oublier – que « la France », ce n’est pas que « la République » et que notre passé chrétien est omniprésent et déterminant. Le dire n’est pas un jugement de valeur mais de fait, reconnu par le Conseil d’Etat lui-même dans sa jurisprudence libérale à l’égard des manifestations « traditionnelles » et « culturelles » de la religion (fêtes, monuments, crèches dans l’espace public etc.). Il est vrai que sa jurisprudence se durcit sous la pression du politiquement correct, comme on l’a vu dans des cas récents. Mais allons-nous supprimer les « Saint » de tant de nos communes au nom de la laïcité ? Supprimer les jours fériés, issus pour la plupart du calendrier chrétien ? Ou, inversement, exiger, au nom de « la neutralité de l’Etat » que l’on construise autant de nouvelles mosquées que l’on restaure d’anciennes églises ? Il est vrai que certains le verraient d’un bon œil… Pour paraphraser Jean-Louis Bourlanges à propos de l’Europe, « être Français, ce n’est pas être chrétien mais l’avoir été ». En ces journées du patrimoine, cette évidence saute aux yeux. Sauf à ceux, de plus en plus nombreux hélas, qui ne veulent « pas voir ce que l’on voit », comme disait Péguy.
Le second sophisme, la fausse dichotomie, est manifeste quand on prétend que la laïcité signifie la coupure absolue et réciproque entre l’Etat et les religions : alors pourquoi les églises construites avant 1905 sont-elles des biens publics ? Pourquoi le ministre de l’intérieur est-il aussi chargé officiellement des « cultes » ? Et pourquoi l’Etat finance-t-il les aumôniers des prisons, des armées et de l’éducation nationale ? Sans même parler des départements où la loi de 1905 ne s’applique pas. Quant à l’islam, combien de dérogations, d’arrangements fonciers et financiers, notamment avec les collectivités locales, pour qu’il dispose de lieux de culte et de ressources propres ? Pour l’historien qui se souvient des sévère répressions anticatholiques, avant comme après la loi de 1905, et notamment pour son application martiale aux « inventaires » des biens de l’Eglise, le traitement de l’islam en France est tout sauf discriminatoire : ceux qui invoquent l’histoire de la laïcité en faveur des Musulmans devraient donc y réfléchir à deux fois.
Enfin, dans le cas d’espèce, les précédents abondent d’assistance présidentielle à un culte, sans que personne n’ait alors rien trouvé à redire : de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Sarkozy et même François Mitterrand. Comme ils ne trouvent rien à redire lorsqu’Emmanuel Macron se rend dans une mosquée pour un iftar, tout comme des députés de la France insoumise elle-même. Le « deux poids, deux mesures », autre procédé clef de la rhétorique LFI fonctionne à plein régime comme sur tant de sujets (violences conjugales, violence politique, voile, libertés publiques etc.). Certes, Clemenceau a toujours évité les églises, même pour célébrer la victoire de 1918 : mais nous avons affaire ici à un anticlérical viscéral, ce qui est un choix politique et personnel qui n’a rien à voir avec la laïcité en soi. Même François Hollande, qui n’a rien d’un ami des religions, s’est rendu dans la grande synagogue de Paris pour rendre hommage aux victimes des attentats et à Notre-Dame pour la messe d’hommage au père Hamel. La loi de 1905 est muette sur le sujet et le Conseil d’Etat ne s’est jamais prononcé sur ces cas, dont on voit mal d’ailleurs de quel recours il pourrait faire l’objet. Ce qui ne retire rien au fait, comme je l’ai dit, que le Président a évidemment des arrière-pensées politiques en allant à la messe de Marseille.
A quoi sert la stratégie de la conflictualisation de tout ?
On constate en effet que la rhétorique de J.L Mélenchon devient de plus en plus incendiaire : il ne passe plus guère de jour sans un appel à la « révolution », à la « désobéissance », au « renversement du système » etc. Sa sortie du consensus républicain est désormais actée et les Français, comme le montrent les derniers sondages, en sont bien conscients. Ce qui devrait poser une question simple que dissimulent les euphémismes de la rhétorique médiatique dominante (« arc républicain », « radicalité » et encore une fois « gauche » alors qu’il faudrait dire « extrême gauche »): le leader de LFI n’est-il pas en train de sortir de la légalité ?
Il faut sans doute faire la part, dans cette dérive, du bilan si frustrant d’une longue et vaine carrière politique (comme vient de le reconnaître Mélenchon lui-même). Mais il a sans doute aussi une visée tactique: aller toujours plus loin dans l’hystérisation du débat – quitte à détruire la NUPES – pour capter l’électorat non négligeable qui s’y reconnait : électorat musulman sous emprise islamiste, partie de la jeunesse étudiante idéologisée, petite bourgeoisie (surtout employée dans le secteur public) en mal de reconnaissance et de pouvoir d’achat et hantée par la peur de la prolétarisation. D’où ce maximalisme de gauche qui peut fonctionner, notamment avec le relais complaisant des médias publics, dans un pays marqué par ce qu’Albert Thibaudet appelait « le sinistrisme ». Le « toujours plus à gauche ! » est une recette éprouvée dans notre histoire, des Enragés de la Révolution aux communistes du XXème siècle, mais il a deux limites : il interdit l’accès au pouvoir en démocratie, et surtout il est en voie de remise en cause dans les profondeurs de l’opinion, comme le montre l’essor spectaculaire du RN. En somme, la tactique mélenchonienne pourrait lui permettre l’accès au second tour dans le contexte d’une très forte polarisation politique en 2027 si le centre et la droite ne trouvent pas un candidat crédible. Mais, du même coup, elle garantit son échec au second. Et c’est là que l’on peut s’interroger sur le caractère suicidaire de cette surenchère constante. Max Weber a bien montré comment « l’éthique de conviction » (feinte ou non) portée à l’incandescence produit exactement le résultat contraire à celui qu’elle prétendait atteindre. ■
Christophe de Voogd est normalien et docteur en histoire, spécialiste des idées et de la rhétorique politiques qu’il enseigne à Sciences Po et à Bruxelles. Dernier ouvrage paru : « Réformer : quel discours pour convaincre ? » (Fondapol, 2017). Il est président du conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique.
Spécialiste des Pays-Bas, il est l’auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l’un des auteurs de l’ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
L’article publié, fort intéressant du reste, ne correspond pas à celui qui est annoncé… Peut-on corriger cette erreur technique? Merci.
L’attitude de Macron envers le pape est choquante. Le tutoiement et les gestes trop intimes en public procurent un malaise . Quant au fait de se rendre à la messe en visiteur ce n’est qu’une politesse due à un autre chef d’Etat, pas une allégeance. Comme toujours avec Macron ce n’est ni lard ni cochon et personne n’y trouve son compte sans peut être ce pape jésuite ..
Tout chez notre Président me met mal à l’aise. De plus sa familiarité deplacee à l’egard de saint Pierre me choque au plus haut point. Qu’est ce que ce petit mec ?.. Quant à son assiwtance à la messe du Pape c’est une façon de brouiller les pistes sur sa Légitimité
Comme dirait Fernand Raynaud « Y’a comme un défaut ! ». Que vient faire cet article avec Francisco et Micron Tripotter ?
A Marseille le Pape n’accomplit qu’une visite religieuse et non une visite d’état donc il n’est pas nécessaire que le président se rende à sa messe.
La grossière erreur technique que vous avez constatée et aimablement signalée a été maintenant corrigée. Avec toutes nos excuses auprès d’Atlantico, auprès de Christophe de Voogd en particulier et, bien sûr, auprès des lecteurs de JSF.
Ces renforts du mot «laïcité», toujours à la bouche, sur tous les tons, à toutes les sauces, accordé, sans genre ni nombre, à rien d’autre que l’hypothèse de quelque chose de «républicain» là-dedans, c’est tout à fait insupportable quant aux réalités intellectuelles historiques. La chrétienté – voire, même, sur catholicité (à vérifier de plus près) – est le fondement de toute notion d’un «état laïque», idée concernant exclusivement les personnes, dont on observait l’«état» qui était le leur, état religieux ou laïque ; on pouvait encore concevoir la vie d’une personne en tant qu’elle était religieuse (régulière) ou laïque (séculière), dernier mot signifiant, en fin de compte, «civile», ni plus ni moins.
La «laïcité» n’a rien à voir avec une quelconque «tolérance» mesurée des libertés religieuses – individuelles, privées ou intimes.
L’adjectif laïque s’oppose tout à fait à religieux, mais, quant à l’état, disons, «culturel» des personnes. Le qualificatif déborde sur la société seulement lorsque celle-ci entend se définir en-dehors de ces deux termes ; sociologiquement, ces deux termes ne peuvent recouvrir aucun sens indépendamment l’un de l’autre.
Lorsque le régime républicain énonce «laïque», en réalité, il veut dire athée.
Cet athéisme est, en outre, techniquement imposé comme une disposition spirituelle susceptible d’en valoir une autre ; mais voilà, la disposition de l’athée, très exactement comme l’étymologie le transcrit, le place dans l’absence de ce dont on parle : a-(privatif)dieu, sans-dieu. Moyennant quoi, libre à la République de se considérer sans-dieu, puisque tel est son cas, mais elle ne doit pas chercher à dissimuler cette exclusion derrière le paravent d’une laïcité qui n’en est une en rien.
Le laïc ne peut se concevoir comme tel que dans une société dont les principes s’appuient SIMULTANÉMENT sur le civil et le religieux. Autrement, nous avons, par exemple, l’islâm, où le civil dépend du religieux, d’où la charyah (code religieux), ou bien la république, où le religieux est relégué et ne peut plus qu’être oblitéré sous le tampon du Code civil.
Quant à savoir si un président d’la république, un Maqueron d’entre deux eaux ou autre godelureau sont autorisés à compter sur une messe pour améliorer leur sort particulier devant les électeurs, les pêcheurs ou galants en bande organisée, ma foi, pour parler cru : on s’en bat les gonades.
C’est un excellent article
C’est une fort juste remarque sur l’abus de langage constitué par ce mot de « laïcité » , juste remarque faite par David Gattegno.
A chaque fois que ce mot de laïcité est employé, par détournement de la définition
de l’état laïc – opposé à celui de clerc – , l’on se demande ce que révèlent ces imprécations sur la laïcité, sa défense, (ses pompes et ses œuvres) sinon l’expression d’une idéologie : celle de la République française avec sa charia , les valeurs démocratiques .
Ce pseudo pape et macron, deux antéchrist grand teint.