Par Marin De Viry.
Cet article est paru dans Le Figaro de ce matin. Marin de Viry est une veille connaissance et il est ne varietur : il veut toujours un roi, tout de suite et pas dans cent ans ! On peu discuter de ses raisons, lui en proposer ou même opposer d’autres, faire les difficiles comme ces royalistes français qui, n’ayant pas su ou pu « faire le roi » s’étripent sur ce qu’il doit être, et critiquement vertement les monarchies existant ailleurs, comme s’il s’était jamais agi de les transplanter chez nous qui n’avons pas su garder ou ramener la nôtre. On peut penser ce qu’on veut de l’argumentation et des conceptions de Marin de Viry. Il veut un roi et nous en voulons un nous aussi. Ce n’est pas rien, diront les raisonnables.
Le cahier des charges est prêt depuis des mois. Il s’agit d’abord d’éviter les incidents devant les caméras. Dans le désordre : les éructations des derniers forcenés du club des jacobins, les monceaux d’ordures ménagères, les lazzis au passage des cortèges, les jets de projectiles infâmes, l’ambiance Convention nationale, le côté hiver 1793 en goguette. Bref, il convient de maîtriser nos expressions négatives, causes du report de la visite du roi et de la reine, il y a quelques mois.
Il s’agit ensuite de rendre discret un dîner de 180 personnes au château de Versailles, tout en s’en glorifiant. La contradiction n’est pas simple à assumer. Versailles, c’est un « must » qui continue de mal passer. On ne sait jamais si c’est un endroit à investir avec des fourches pour en déloger un tyran, ou le glorieux décor de notre grandeur. Révolution ou dîner aux chandelles : il faudra un jour que ce pays choisisse. En attendant, il alterne.
Il s’agit enfin de focaliser l’attention des populations sur la dimension heureuse et récréative, mais toutefois utile et nécessaire, d’un tel événement. L’aspect de la présidence promet d’être sûrement féerique, la complicité intellectuelle entre Emmanuel Macron et le roi d’Angleterre sera formidable, quelques blagounettes seront préparées à l’avance, des petits reportages« back- stage » vont à coup sûr illuminer l’événement. Tout doit se terminer par un grand dossier dans Paris Match où il sera dit que Brigitte Macron avait des tenues époustouflantes, ébouriffantes, sublimes, formant une harmonie de contraste avec celles de la reine Camilla, et qu’il convient d’être fier plutôt que jaloux, admiratif plutôt qu’ironique, chevaleresque plutôt que mal embouché ; que Charles III aura comme d’habitude laissé échapper des remarques spirituelles et amusantes sur les pinsons ou les rouges-gorges, et dispensé des pensées réfléchies et profondes sur la transition écologique, devant notre Chambre haute aux larges sénateurs. Que les macarons au cresson (ou l’équivalent) atteignirent le sommet du génie national. Que nos fromages donnèrent une idée du paradis à nos amis anglais, notoirement privés de telles échappées vers le sublime gustatif.
Quand on agitera les mouchoirs pour souhaiter un bon voyage de retour au couple royal, sauf catastrophe, il ne se sera en apparence rien passé que de très convenable.
La République française se sera regardée dans le miroir de la monarchie britannique pendant trois jours, mais de cela, personne ne parlera.
Bref rappel historique : sous Coty, de Gaulle, Pompidou, Giscard (c’est à partir de Jack Lang, frétillant gardon blésois en décapotable aux côtés de la reine, que ça a commencé à faire foutraque), la République pouvait recevoir la famille royale sans trop de complexes. Certes, les officiels avaient un peu tendance à confondre la jaquette et l’habit, la révérence et la génuflexion, le chic et l’empesé, le solennel et le rigide, le coincé et le soutenu, les sacs à légumes et les robes de bal, mais la République – comment lui en vouloir – a toujours eu du mal avec l’esthétique d’Ancien Régime. Pour l’essentiel, nos dirigeants pouvaient se sentir à la tête d’un régime et d’un pays qui faisaient face au passé et à l’avenir, comme la monarchie d’outre-Manche qu’ils recevaient, et pouvaient se regarder dans la glace après que Leurs Majestés furent reparties.
Aujourd’hui, c’est différent, pour le dire sobrement. Le Royaume-Uni a bien sûr ses petits problèmes, la chose est entendue, mais qu’est-ce qu’un président de la République française a à opposer à un roi d’Angleterre ?
La monarchie donne l’exemple d’un certain type d’homme : porté au chic, au désir de distinction, à la recherche de rehaut personnel, à un honneur au-dessus de ses intérêts personnels, à un humour comme distance avec la misère morale de l’homme, à une espérance comme point d’horizon, à une pratique du service qui est à la trame même de tout destin personnel et social. Depuis Les Trois Mousquetaires de Dumas et les résistants de la dernière guerre, ce modèle héroïque officiel s’est perdu, de ce côté de la Manche.
Comme institution, la monarchie incarne la permanence, la transcendance, et l’unité. Ici, tous les matins, nous rompons avec un passé qui n’est même plus regardé avant d’être rejeté en bloc. Nous cultivons l’idolâtrie de l’immédiateté, et la passion triste de la sécession.
Comme système politique, la monarchie constitutionnelle distingue le contingent du permanent, les besoins sublimes de l’homme et sa satisfaction politique immédiate, ne confond pas l’anthropologie et les préférences personnelles, l’âme et les appétits. Pour reprendre Simone Weil, il existe en Angleterre un équilibre entre la pesanteur et la grâce. Ici : confusion du court et du long terme, de ce qui passe sur terre et de ce qui reste dans l’éternité, de l’Homme et de la petite cuisine.
La République se défend, mais mollement ; ce n’est pas demain qu’elle pourra se dire sûre d’elle-même. Gabriel Attal a beau charger, à la tête d’un mammouth, quelques centaines d’adolescentes en tenue islamique sécessionniste, l’allant n’y est plus, comme au temps où on virait les religieux catholiques de leurs monastères, en utilisant l’armée.
Comme les Anglais, nous pouvons être fauchés, épuisés, et dans l’impasse. Simplement, il existe chez eux, à disposition de chacun, un point imaginaire où tout recommence. Tandis que nous sommes condamnés à tout réinventer dans la confusion. En disant bienvenue à Charles, nous nous disons au revoir à nous-mêmes. ■
Marin de Viry est écrivain et critique littéraire. Il est l’auteur d’un essai sur le tourisme de masse: Tous touristes (Café Voltaire, Flammarion, 2010). Dernier roman paru : « La Montée des périls » (Éditions du Rocher, 2023). Il est aussi l’auteur d’« Un roi immédiatement » (Éditions Pierre-Guillaume de Roux).
Article intéressant, tout de même ! nonobstant la réserve de JSF !
Puisse la visite de Charles lll éveiller, accentuer dans l’esprit public, la nostalgie pour les amoureux de la grandeur de la royauté, mais surtout le besoin, la nécessité de militer pour le retour, en France, de la Monarchie Royale (provisoirement) interrompue et qui permettrait le renouveau de la grandeur, du rayonnement, de l’union nationale, en même temps que la promesse de la stabilité institutionnelle .
« Comme institution, la monarchie incarne la permanence, la transcendance, et l’unité. » Tout est dit.
La permanence, la transcendance, et l’unité…parlons-en, alors que la fière Albion (…Britain rule the waves…) se laisse ronger par les « nouveaux venus » qui occupent méthodiquement les postes clés.
« …Et pour milord, ce sera tétine de vache à la menthe ou couscous ? »