Par Laurent Dandrieu.
Cet article – qu’il ne nous paraît pas nécessaire de commenter – est paru dans Le Figaro de ce matin, 27 septembre. Lire aussi – si ce n’est déjà fait – l’article de Pierre Manent dans JSF d’hier mardi 26 septembre. Pierre Manent : « Le pape, l’immigration et l’Église catholique face aux nations »
TRIBUNE – Pour François, qui l’a réaffirmé à Marseille, l’Europe se perdrait en cédant à la tentation de la fermeture. En l’incitant à renoncer à résister aux vagues migratoires à venir, le pape accroît au contraire le risque d’un effondrement de la civilisation européenne, soutient le journaliste et essayiste Laurent Dandrieu.
« Ce qui frappe une nouvelle fois dans les discours du pape, c’est une forme de cécité aux conséquences sociales, économiques, culturelles et même religieuses de ces migrations de masse. »
Dans son discours de clôture des Rencontres méditerranéennes de Marseille, le pape François a mis en garde contre le risque d’un « naufrage de civilisation » sur le sujet des migrants. L’expression est forte, mais elle frappe par son adéquation : il n’est plus grand monde aujourd’hui qui n’ait conscience que la civilisation européenne se trouve, en effet, au bord de l’abîme. Là où beaucoup divergeront avec le pape, c’est sur ce qui pourrait causer ce naufrage. Pour François, il s’agit d’un naufrage de conscience, celui de céder à la tentation de « l’indifférence » et de « fermer nos cœurs » – c’est-à-dire, concrètement, nos frontières – à tous les migrants qui se pressent aux portes de l’Europe. « La fermeture » serait « une inversion de marche sur le chemin de l’histoire » ; il faut donc assurer « un grand nombre d’entrées légales et régulières » pour éviter ce « naufrage de civilisation » – le pape ne reculant pas devant le sophisme selon lequel refuser d’ouvrir davantage les frontières serait consentir aux milliers de morts de migrants en Méditerranée, comme si les sauver en mer nous obligeait à les accueillir chez nous.
Pour nombre d’Européens, ce risque est celui que l’accueil de centaines de milliers de personnes par an, issues de cultures radicalement différentes de la nôtre, aboutisse à un effondrement civilisationnel radical, à la dissolution de nos cultures et de nos identités dans une marée migratoire sans précédent dans l’histoire – sans profit pour personne : « Le jour où la misère de tous saisit la richesse de quelques-uns, la nuit se fait, il n’y a plus rien. Plus rien pour personne » (Victor Hugo).
À ceux-là, il apparaît que le pape François, bien loin de nous prémunir contre ce « naufrage de civilisation », en est aujourd’hui l’un des plus influents accélérateurs, ajoutant par chacun de ses discours à cette « léthargie des Européens qui semblent consentir à leur propre disparition » dont parle Pierre Manent. En 2017, j’avais donné comme sous-titre à mon livre Église et immigration. Le grand malaise : « Le pape et le suicide de la civilisation européenne ». Lui qui a eu une nouvelle fois, à l’occasion de ce voyage à Marseille, des mots forts contre l’euthanasie et tous les néologismes dont on peut maquiller le suicide assisté, persiste pourtant à inciter nos sociétés à ce qui s’apparente bel et bien à un suicide.
Ce qui frappe une nouvelle fois dans les discours du pape, c’est une forme de cécité aux conséquences sociales, économiques, culturelles et même religieuses de ces migrations de masse. S’il les évoque, c’est d’une phrase vague : « Certes, les difficultés d’accueil sont sous les yeux de tous », aussitôt résolues par une vision idyllique : « Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons. » Comme si tout était question de regard, et que les réalités objectives n’existaient pas. Évacué, donc, le poids de l’immigration sur le chômage, sur les bas salaires, sur la crise de l’école, sur la condition des femmes ; évacués, la criminalité et le terrorisme islamique, comme l’islamisation progressive du Vieux Continent. Si François évoque la constitution de ghettos, c’est pour les attribuer à ces politiques d’assimilation qu’il condamne, alors qu’elles seraient le seul moyen de lutter contre la communautarisation des immigrés. En affirmant que « Marseille est un modèle d’intégration », le pape révèle d’ailleurs à quel point sa vision est idéologique et déconnectée des réalités vécues.
Il est une autre indifférence qui frappe dans les discours du pape : celle qu’il manifeste à la mise en danger des identités des peuples qu’il presse à l’accueil des migrants. « L’Europe a besoin de main-d’œuvre », a-t-il plaidé, comme si l’intégration n’était qu’une question économique. Un peu plus tôt, il évoquait les « villages vides » qui devraient « faire un effort » pour intégrer des migrants. Nous sommes là au cœur de cette vision désincarnée de l’humanité qui, au nom d’une lecture mondialiste et hors-sol de la fraternité universelle, voit les hommes comme des entités interchangeables, qu’on pourrait transférer d’un pays à l’autre sans aucune conséquence, comme on transvaserait de l’eau d’un récipient à un autre.
Dans son obsession à ouvrir les frontières de l’Europe, François ne veut pas voir que les civilisations sont des constructions patientes, précieuses et fragiles, fruits de siècles d’expériences vécues en commun, de sacrifices offerts, d’idéaux et de foi partagés. Il veut ignorer que, comme Mathieu Bock-Côté l’écrivait il y a peu dans ces colonnes, « un pays qui change de population change d’identité ». Il ne voit pas qu’une immigration incontrôlée, qui dépasse déjà largement les capacités d’intégration des pays européens, soumet nos modes de vie, nos cultures, notre rapport à la vie et aux femmes, à une pression si forte qu’elle donne à beaucoup d’Européens le sentiment d’être dépossédés de leur propre pays, de devenir des exilés de l’intérieur.
L’auteur de Laudato si’, si attaché pourtant à la défense de la biodiversité qu’il a encore défendue à Marseille, ne voit pas que la société « multiethnique et multiculturelle » qu’il promeut met en péril la biodiversité culturelle et prive les peuples d’Europe de leur droit à la continuité historique, et prive ainsi le monde de la note unique que chaque culture est à même de faire entendre, en fonction de la vocation spirituelle qui lui est propre. Il est aveugle, surtout, à la menace que cette mutation fait peser sur le christianisme lui-même : non seulement en faisant de son berceau historique, l’Europe, une zone où il menace de devenir minoritaire par rapport à l’islam ; mais aussi en accentuant le divorce entre les peuples européens et une Église qu’ils ont, des siècles durant, considéré comme leur âme même, et qu’ils tendent à voir aujourd’hui comme le complice de leur disparition programmée. ■
Rédacteur en chef à « Valeurs actuelles », Laurent Dandrieu est notamment l’auteur d’« Église et immigration. Le grand malaise » (Presses de la Renaissance, 2017) et de « Rome ou Babel. Pour un christianisme universaliste et enraciné » (Artège, 2022).
Je me permets de rappeler -ce que vous n’ignorez pas- que « catholique » signifie « universel ».
Par ailleurs, les textes de la Messe d’aujourd’hui 30 septembre lisent Zacharie: « ce jour-là, des nations nombreuses s’attacheront au Seigneur; elle seront pour moi un peuple, et j’habiterai au milieu de toi ». Quelques versets avant a été proclamé: « Jérusalem doit rester une ville ouverte, à cause de la quantité d’hommes et de bétail qui la peupleront. »
L’Eglise doit-elle interdire la lecture de ce prophète ancien?