Par Pierre Builly.
L’avocat de la terreur de Barbet Schroeder (2007).
Le salaud lumineux.
Le personnage de Jacques Verges est si fascinant que le film, consciencieux, mais parcellaire de Barbet Schroeder m’a plutôt déçu, surtout son dernier tiers, trop constellé de témoignages de terroristes de l’extrême-gauche allemande ou de la mouvance palestinienne, alors qu’il s’agissait moins, me semble-t-il, de réaliser un documentaire sur des questions d’une grande complexité historique et politique que de mettre en valeur celui qui s’intitule lui-même, dans un livre d’entretiens, Le salaud lumineux.
Car la raison d’être du film m’aurait semblé devoir encore davantage braquer le plus vif des éclairages sur celui qui se prête naturellement, dans une ébouriffante autosatisfaction et avec un art consommé du cabotinage à une leçon de choses. Les bouffons les plus sanglants comme Idi Amin Dada, à qui Schroeder a consacré un de ses premiers films méritent qu’on aille avec eux jusqu’au bout pour qu’on se rende bien compte de l’étendue de leur folie.
Le parcours de Jacques Verges est évidemment plus tortueux et complexe que celui du dictateur ougandais ; mais une fois énoncée l’évidence apparente que toute l’activité de L’avocat de la terreur a été fondée sur une haine du colonialisme qui l’a fait s’acoquiner avec François Genoud, banquier suisse nazi (exécuteur testamentaire d’Hitler et de Goebbels), financier du FLN, Carlos, le tueur vénézuélien ou Pol Pot, l’un des plus effroyables génocidaires de tous les temps, que trouve-t-on à gratter ? Quelle est la part d’humanité, dévoyée, si l’on veut, mais réelle, qui sous-tend la cohérence essentielle d’actions apparemment incompréhensibles ?
Ce qui m’aurait intéressé vraiment, c’est le démontage d’un cheminement de détermination, détermination d’aller jusqu’au bout sans se laisser arrêter par rien, surtout pas par la mort, c’est-à-dire surtout pas par la moindre transcendance.
Lorsque les militants du FLN algérien ou du FPLP palestinien déposaient leurs bombes consciemment pour tuer des innocents – et frapper ainsi davantage l’opinion que par des frappes ciblées -, lorsque les Khmers rouges massacraient avec constance des catégories entières de population (les porteurs de lunettes qui sont forcément des intellectuels, donc des individus à détruire), on se rapproche de cette indifférence absolue de ce qui n’est pas le but. Et Jacques Verges avec son sourire de séducteur, ses cigares, sa capacité d’empathie, son courage physique attesté, m’ouvre de drôles de perspectives sur l’âme humaine… ■
DVD autour de 8 €
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Publié le 20.10.2019 – Actualisé le 30.09.2023
Pour l’anecdote, Jacques Vergès avait participé à une « reconstitution » du procès de Louis XVI, en 1993, où il assurait la défense du roi (contre Gilbert Collard). On trouve facilement ce procès sur YouTube.