Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois d’octobre, l’annonce de la réédition de son roman Colette Baudoche, deuxième tome de la trilogie « Les bastions de l’est ».
Paul Bourget mentionna ce roman lorsqu’il eût à réagir à l’annonce du décès de Maurice Barrès auprès de l’équipe des Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques (cf. n° du 8 décembre 1923, « Notre douleur ») :
Nous rappelant la longue amitié qui unissait M. Maurice Barrès à M. Paul Bourget, nous sommes allés lui demander de dire aux Nouvelles littéraires un adieu à son ami. Nous l’avons trouvé si bouleversé par celle nouvelle, que nous n’avons pas voulu insister devant sa visible difficulté à mous répondre. Il nous pardonnera de rapporter ici les quelques paroles qu’il nous a dites et qui sont un témoignage de l’affection et de l’admiration qu’il portait à son grand confrère.
— Pensez donc que j’étais lié intimement avec Maurice Barrès depuis ses très lointains débuts. Il aimait à me dire que je l’avais découvert. En réalité, il était déjà connu dans les cénacles du Quartier Latin pour un esprit du plus,bel avenir, quand il publia, en 1888, son premier volume, Sous l’œil des barbares. Son aîné de dix ans, j’étais alors rédacteur au Journal des Débats ; je consacrai à ce livre une longue « Variété » que vous retrouveriez dans mes Essais de Psychologie, en appendice à une étude sur Tourgueniev. C’était, je crois, bien, le premier article d’importance qui était consacra à Barrès. Il a eu la gentillesse, qui prouve combien sa sensibilité était vive et profonde sous le masque d’ironie derrière lequel il la cachait souvent (pareil en cela à notre maître commun, à ce Stendhal que nous aimions tous deux également), de m’en remercier souvent. — Vous vous rappelez ce que disait Beyle : « Les moindres choses continuent à me faire saigner jusqu’au sang et j’ai appris à cacher tout cela sous de l’ironie imperceptible au vulgaire ». Cette sensibilité unie au plus ardent intellectualisme me paraît être la caractéristique du génie et de l’art de Barrès. Les premiers romans témoignent, aussi bien que le dernier ouvrage qu’il aura publié, son Enquête aux pays du Levant. Je ne me lasse pas d’admirer cette sorte d’ardeur idéologique dont il fut consumé jusqu’à la fin. C’est la raison pour laquelle il s’appliqua toute sa vie à la recherche d’une doctrine qui conciliât cette double tendance également portée chez lui vers l’émotion et vers la pensée abstraite.
Il crut trouver cette doctrine dans un traditionalisme qui l’associait suivant une de ses formules favorites à sa terre et à ses morts. Il était né Lorrain ; tout son effort s’est employé à sentir à la fois et à penser sa province. Il la considéra comme notre Marche intellectuelle de l’Est, si l’on peut dire ; une barrière parce qu’elle est un pays de formation française par la langue, par les mœurs, par l’arrivée jusqu’à elle de ce grand courant méditerranéen dont notre civilisation est comme le résidu ; un philtre, car si près du Rhin, elle laisse arriver jusqu’à elle les quelques éléments du génie allemand qui nous sont assimilables, qui peuvent nous être salutaires.
Dans Colette Baudoche, en particulier et dans La Colline inspirée, vous trouverez des exemples accomplis de cette conception barrésienne. Vous trouverez aussi dans ses notes sur l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Orient, la trace du souci qu’il avait de ne pas perdre contact avec le monde latin réalisant ainsi en lui-même cette fusion vivante qu’il considérait comme l’œuvre propre de sa terre d’origine.
Et c’est là une partie seulement de l’œuvre de Barrés. Il en est une autre incomparable, celle que nous devons à l’historien de la France contemporaine, le Saint Simon du monde des politiciens d’abord. Rappelez-vous Leurs Figures, l’Appel au Soldat et surtout ce prodigieux morceau, Dans le Cloaque, son chef-d’œuvre peut-être dans ce domaine-là. Rappelez-vous aussi cette Chronique de la Grande Guerre, celui de ses livres auquel il tenait peut-être davantage. Le patriotisme passionné qui était en lui avait à tout prix voulu servir. Il avait donné son fils à la France. Vous savez avec quel courage cet enfant s’est battu et comme il a été blessé.
Lui-même s’était donné sans mesure à sa tâche de « sonneur de clairon ». Durant les quatre années qu’a duré l’affreuse tourmente, il n’a respiré, il n’a vécu que pour ces pages de l’Écho de ’Paris sur lesquelles il aurait pu rendre le même témoignage que notre commun ami A. de Mun qui disait, éveille de sa mort : « Je donne ma vie comme je peux ».
Barrès donnait son génie et peut-être sa vie aussi, car devant cette fin prématurée, je ne peux pas me retenir de songer que cet effrayant travail prolongé, de 1914 à 1918. à travers les émotions d’une lutte dont dépendait l’existence même du pays a épuisé les réserves profondes de sa vitalité.
Et pourtant il semblait si jeune, et d’allure et d’intelligence et de cœur, que je reste étonné et pouvant à peine croire, devant cette tragique et soudaine interruption d’une destinée qui semblait promettre la féconde vieillesse d’un Gœthe ou d’un Carlyle.
Mais n’en avait-il pas le pressentiment, quand, dans la préface des Souvenirs de son Grand-Père, il écrivait, et M. Bourget nous relit ce passage :
J’ai achevé ma matinée en allant au cimetière causer avec mes parents. Les inscriptions de leurs tombes me rappellent que mon grand-père est mort à soixante-deux ans et tous les miens en moyenne à cet âge : elles m’avertissent qu’il est temps que je règle mes affaires. « Que nous serons bien lit ! » disait avec bon sens ce charmant fol de Jules Soury, quand il allait à Montparnasse visiter la tombe de sa mère. Mais ce profond. repos ne sourit pleinement qu’à ceux qui ont rempli toute leur tâche et exécuté leur programme. Or, je commence à me sentir un peu pressé par le temps… »
Paul BOURGET,
de l’Académie Française.
Nombre de pages : 96.
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