Par Henri Bec.
Intervention à Roquevaire devant le caveau familial de Charles Maurras.
Chers amis,
Nous venons, comme chaque année, à l’initiative de l’Union royaliste provençale, nous recueillir sur la tombe de Charles Maurras à qui nous devons tant. Ses analyses lumineuses, ses démonstrations implacables, ses conclusions définitives nourrissent toujours nos réflexions. Ses adversaires se sont constamment heurtés à sa logique impitoyable. Beaucoup le connaissent encore mais évitent de se heurter à la solidité de sa pensée. Ils savent qu’ils n’en sortiraient pas indemnes.
Aujourd’hui, en ce lieu, distrayons nos pensées des affrontements politiques qui ont jalonné sa vie et restons dans cette Provence qu’il n’a jamais oubliée. C’est par là qu’il a commencé. C’est de là que sa pensée s’est insensiblement rapprochée de la voie décisive et des principes auxquels il consacrera toutes ses forces.
Dès 1886, quand il s’établit à Paris avec sa mère et son frère, ses premières préoccupations et activités sont tournées vers les périodiques méridionaux pour la plupart au service de l’enseignement de Mistral, La Revue félibréenne, l’Aïoli, la Cigale, etc…
Son éloge du poète Théodore Aubanel, fondateur du Félibrige, couronne son action au sein de la Société des Félibres de Paris le 1er mai 1888. La rencontre avec Mistral quelques semaine plus tard lui fait découvrir la vacuité de discussions insipides et de palabres souvent vaniteuses de cette Société. Elle compte dans son sein des personnalités inconsistantes et timorées, et se perd dans de futiles mondanités. L’idée fédéraliste soutenue par Mistral s’est peu à peu éloignée. Maurras et ses amis estiment alors nécessaire de relancer l’idée avec vigueur. Écrite par Maurras, la Déclaration des Jeunes Félibres Fédéralistes est lue le 22 février 1892 lors d’une grande réunion du Félibrige de Paris. Elle estime notamment nécessaire le rétablissement des libertés communales, le remplacement des départements par les provinces, les liens nécessaires avec les autres groupes fédéralistes de France. Plusieurs participants sont, fort heureusement, scandalisés et l’affaire prend une importance considérable, à Paris, puis dans tout le Midi, jusqu’en Catalogne.
Son ami Marius André lui écrit : « laisse-moi te féliciter – et Amouretti aussi – de cette vibrante proclamation. Mistral qui était hier ici en était enchanté ; tu as vu dans l’Aïoli comme il en parle et votre manifeste sera en tête du prochain numéro. Il s’est beaucoup amusé en pensant à l’air ahuri qu’ont dû prendre tous les fonctionnaires qui vous entouraient et dont il connaît l’esprit si peu, oh ! si peu aventureux. »
Maurras considéra jusqu’à la fin de sa vie que la Déclaration des Jeunes Félibres marquait l’expression essentielle de son fédéralisme. Il l’a faite rééditer en 1915 puis en 1951. Un an avant sa mort, il en fit un commentaire dans Jarre de Biot : « Tel que me voilà, vous avez devant vous probablement le plus ancien fédéraliste de France. Le premier manifeste fédéral est sorti de cette pauvre plume en un mois de février 1892, qui tient à ma vingt‑cinquième année. Cette Déclaration des Jeunes Félibres … parlait de dépêtrer la France des usurpations du pouvoir central, d’alléger le pouvoir, de tirer l’État de l’Étatisme mais non de diminuer ni d’affaiblir cet État : tout au contraire. Ah ! non, nous n’étions pas « séparatiste » »
Mistral lui écrit : « Votre largeur d’esprit, votre tact de Provençal parisien, votre absolu désintéressement et votre générosité vous désignaient à faire pour le vieux félibre timoré et dérouté l’elucidari [éclaircissement] exigé par les circonstances. »
Inspiré par sa Provence, La Déclaration Des Jeune Félibres, peut être considéré comme le premier texte politique de Maurras. Il est passé à la solution royale par le fédéralisme. Elle ouvre soixante ans de combats que nous avons le devoir de poursuivre.
Ici, à Roquevaire, berceau de sa famille paternelle où il repose, nous devions rappeler que sa Politique est d’abord un enracinement, qu’elle est bâtie sur le socle de la terre qui l’a vu naître, matrice de son enseignement de salut public, cette terre qu’il a tant aimée :
– De quoi, je vous prie, se compose ce qui fait la joie de nos yeux dans cet admirable pays, écrit-il dans l’Étang de Berre ?
… Enfin, de la haute et splendide clarté du soleil provençal, rayonnant au-dessus du prisme aérien dans lequel il opère ses jeux délicats.
Les termes d’un autre texte résument, si l’on pèse chaque mot, ce combat qu’il a livré sans merci et les leçons qu’il nous a laissés. Maurras le provençal, Maurras le politique, Maurras le religieux, Maurras le philosophe, Maurras le lutteur, Maurras le poète se retrouvent résumés dans sa magnifique prière de la fin qui vient clore cet hommage :
La prière de la fin
Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Ce vieux cœur de soldat n’a point connu la haine
Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour.
Le combat qu’il soutint fut pour une Patrie,
Pour un Roi, les plus beaux qu’on ait vus sous le ciel,
La France des Bourbons, de Mesdames Marie,
Jeanne d’Arc et Thérèse et Monsieur Saint Michel.
Notre Paris jamais ne rompit avec Rome.
Rome d’Athènes en fleur a récolté le fruit,
Beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme,
Les visages divins qui sortent de ma nuit :
Car, Seigneur, je ne sais qui vous êtes. J’ignore
Quel est cet artisan du vivre et du mourir,
Au cœur appelé mien quelles ondes sonores
Ont dit ou contredit son éternel désir
Et je ne comprends rien à l’être de mon être,
Tant de Dieux ennemis se le sont disputé!
Mes os vont soulever la dalle des ancêtres,
Je cherche en y tombant la même vérité.
Écoutez ce besoin de comprendre pour croire !
Est-il un sens aux mots que je profère ? Est-il,
Outre leur labyrinthe, une porte de gloire ?
Ariane me manque et je n’ai pas son fil.
Comment croire, Seigneur, pour une âme que traîne
Son obscur appétit des lumières du jour ?
Seigneur, endormez-la dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Charles Maurras,
Clairvaux, juin 1950. ■