Par Richard de Seze.
Laurent Dandrieu a vu quelques milliers de films, et continue d’en voir.
l faudra un jour chanter les grandeurs et les misères des critiques condamnés à tamiser sans fin les eaux boueuses de leurs arts favoris. Acheronte movebo. Mais pour l’heure, remercions-le d’avoir extrait un peu plus de sept cents films sur la base d’un critère essentiel : peut-on les regarder en famille ? Éliminons tout de suite une possible et légitime critique : « Mais pourquoi diable n’y a-t-il pas mon film préféré que je montre à tous nos enfants dès qu’ils ont huit ans et que nous regardons chaque été ?! » D’une part, si votre film préféré n’est ni Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993, p. 185, à partir de 11 ans) ni Whisky à gogo (Alexander Mackendrick, 1948, p. 61, à partir de 11 ans), il faut que vous révisiez vos goûts. D’autre part, tant mieux : celui-là, vous le connaissez déjà, découvrez les autres !
Car au bout du compte, ces sept cents films sont à la fois un guide réfléchi et une méthode sélective. Un guide réfléchi car l’auteur, outre son propre goût et sa prudence éclairée par le catholicisme, a travaillé avec une batterie de parents et même d’enfants, sollicités pour donner leur avis sur l’âge idéal pour voir The Queen (c’est 13 ans ; Stephen Frears, 2006, p. 214) ou Le Parrain (16 ans ; Coppola, 1971, p. 174). Une méthode sélective car chaque notice nous dit pourquoi le film peut être vu en famille : Le Pont de la Rivière Kwaï (David Lean, 1957) ? « Un récit captivant de bout en bout, spectacle magistral qui offre aussi une réflexion passionnante sur l’absurdité d’un amour de la règle poussé jusqu’à une sorte de folie raisonnante. » Quant à Boulevard du Crépuscule (Billy Wilder, 1950), « Brillantissime mise en abyme par Hollywood de ses névroses, cet absolu chef-d’œuvre ne se cantonne pas à la satire mais offre également une poignante fable sur l’illusion et le vieillissement, l’arrivisme et le dévouement, la gloire et l’oubli. » On le voit, chaque notice, brève et dense, juxtapose à la description de l’intrigue un commentaire qui souligne les aspects moraux de l’œuvre et donc permet d’engager la discussion. Parcourir cette Cinémathèque idéale en ne s’attachant qu’aux âges ou aux E et V, signalant bien sûr la violence ou l’érotisme explicites, serait passer à côté du propos même du livre : provoquer l’échange entre parents et enfants, éduquer l’âme en même temps que le regard, ne pas rester passif devant les séductions de l’image, comprendre ce que cet art incarné peut avoir de pédagogique, versant lumineux de sa nocivité possible. Et James Bond ? « Si le mode de vie de James Bond n’est évidemment pas un exemple à proposer à nos chères têtes blondes, il n’en est pas moins un savoureux pied de nez au moralisme d’une époque qui ne comprend plus la galéjade ni le second degré et à son hygiénisme cafardeux. » Et voilà pourquoi vous regarderez Demain ne meurt jamais (R. Spottiswoode, 1997) avec vos adolescents de 14 ans. ■
Laurent Dandrieu, Une cinémathèque idéale. Que regarder en famille de 5 à 16 ans ? Critérion, 2023, 256 p., 17,90 €.
Article paru dans Politique magazine.
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