Discussion – Une fois n’est pas coutume, nous laissons ici la place à l’excellent commentaire que Christophe Boutin a donné de cet entretien paru dans Le Figaro d’hier 24 octobre : « Remarquable article sur les dérives de notre société de surveillance. La « réserve citoyenne », selon le ministre, « regroupera les citoyens et les associations qui s’engagent quotidiennement pour pacifier internet et leur permettra d’accéder à certains dispositifs de l’État, notamment pour le recrutement de bénévoles ». On voit clairement qui seront ces « pacificateurs » payés par l’État… Conclusion sans appel de l’auteur, Cyrille Dalmont, « Emmanuel Macron a [… affirmé] que «nous devons vivre dans une société de vigilance» et que « jamais, dans un État de droit, il ne sera possible d’avoir un système où le risque terroriste est éradiqué totalement ». Si le risque zéro n’existe effectivement pas, de tels propos actent publiquement l’impuissance de l’État français à protéger ses propres citoyens au motif que l’État de droit l’en empêche. Autrement dit, les traités internationaux et communautaires associés aux hautes cours de justice empêchent l’action répressive de l’État envers les personnes susceptibles de porter préjudice à la sécurité des Français. Il ne reste donc plus au politique comme ressort d’action que « la société de vigilance », c’est-à-dire le contrôle de tous par tous, partout et tout le temps (vidéoprotection, reconnaissance faciale, passes numériques, drones de surveillances, réserve citoyenne du numérique, etc.) pour donner une illusion d’action et de sécurité. À force d’impuissance avec les forts (délinquants et terroristes), on enferme les faibles (citoyens) dans des prisons numériques à ciel ouvert en raison de l’incapacité de l’État à pouvoir les protéger. C’est effectivement une rupture civilisationnelle majeure puisque le respect du droit et des lois par les citoyens était jusqu’ici conditionné, dans notre tradition constitutionnelle, par l’obligation de l’État de protéger ses citoyens. » ■
Entretien par Ronan Planchon.
ENTRETIEN – Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du Numérique, a annoncé ce 18 octobre la création d’une «réserve citoyenne du numérique» pour «pacifier internet». Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More, s’inquiète des conséquences de cette décision pour les libertés publiques.
Cyrille Dalmont est spécialiste des enjeux éthiques du numérique et directeur de recherche à l’Institut Thomas More.
« À force d’impuissance avec les forts (délinquants et terroristes), on enferme les faibles (citoyens) dans des prisons numériques à ciel ouvert en raison de l’incapacité de l’État à pouvoir les protéger. »Cyrille Dalmont
LE FIGARO. – Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du Numérique, a annoncé, sur X (ex-Twitter) la création d’une «réserve citoyenne du numérique» qui «regroupera les citoyens et les associations qui s’engagent quotidiennement pour pacifier internet et leur permettra d’accéder à certains dispositifs de l’État, notamment pour le recrutement de bénévoles», a expliqué Jean-Noël Barrot sur X (ex-Twitter). Faut-il y voir une menaces pour nos libertés fondamentales ?
Cyrille DALMONT. – Nous sommes malheureusement les contemporains d’un processus entamé il y a plus de trente ans. Nous vivons en temps réel les conséquences de l’effondrement systémique d’un État qui, n’ayant plus les moyens de faire appliquer ses propres lois, tente de déléguer par tous les moyens ses missions à des opérateurs privés. Ce fut le cas avec la loi Avia, heureusement censurée par le Conseil constitutionnel en 2020, qui confiait en partie cette mission aux plateformes numériques. Ce principe a d’ailleurs été repris dans le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique qui a été adopté le 17 octobre dernier. Cette réserve citoyenne numérique n’est donc qu’un pas de plus, ou un outil de plus, vers une société de surveillance généralisée de tous par tous, dans laquelle l’État n’est plus qu’une plateforme parmi d’autres.
Le gouvernement ne cesse de critiquer l’anonymat sur les réseaux sociaux. Son interdiction est-elle une bonne solution ?
La réponse à cette question a été donnée par Jean-Noël Barrot lui-même ce 21 octobre sur son compte X (anciennement Twitter): «L’anonymat n’existe pas sur internet. Même derrière un pseudo ou un VPN, ceux qui commettent des délits en ligne peuvent être retrouvés, traduits devant la justice et condamnés lourdement». Encore une fois, les réseaux sociaux et l’anonymat sont des boucs émissaires utiles à dissimuler une réalité de plus en plus difficile à cacher sous le tapis : l’impuissance de l’État à faire appliquer ses propres lois sur son propre sol.
Ne voyons-nous pas la «violence» des réseaux sociaux à la lumière d’un nouveau rapport à l’altérité ?
Nous pourrions répondre à cette question en la reformulant de la manière suivante : les réseaux sociaux sont-ils cause ou conséquence de nos sociétés individualistes et communautaristes, fragmentées et multiculturelles, pleurnichardes et brutales, qui sont en train de s’imposer partout en Occident ? Ou ne sont-ils que les ombres de la caverne de Platon qui révèlent les conséquences de théories développées des années 1970 aux années 1990 (avant le développement d’internet donc) sur l’avènement du «village global» et de la «mondialisation heureuse» ?
Les réseaux sociaux sont-ils un catalyseur de la violence ou un amplificateur ?
Ils jouent assurément un rôle en hystérisant le débat et en créant et entretenant les fameuses «bulles informationnelles» dans lesquelles chacun s’enferme selon une logique communautaire qui éloigne leurs utilisateurs des idées qui ne leur conviennent pas, les dérangent ou remettent en cause leurs convictions.
Néanmoins, ils sont moins catalyseurs et amplificateurs que révélateurs de la violence systémique qui ronge les sociétés multiculturelles. En effet, si les réseaux sociaux peuvent être accusés de bien de maux, ils sont plus certainement le miroir de nos sociétés liquides et atomisées, qui sont passées en quelques décennies d’une communauté de destins à une sorte de collocation de populations qui se subissent et se comportent en tribus rivales sur des territoires disputés, que les matrices de gestation de ces phénomènes.
La création même des États-nation trouve son fondement idéologique dans la volonté de lutter contre la violence féodale. L’effondrement des États-nation en Occident s’accompagne donc naturellement d’un retour de cette violence communautaire véhiculé par les nouvelles idéologies à visée globale (islamisme, écologisme, wokisme, théorie du genre, etc.).
La manipulation de l’information à l’échelle mondiale de l’organisation terroriste Hamas, qui a berné les médias du monde entier en accusant Israël d’avoir volontairement «bombardé un hôpital à Gaza provoquant la mort de centaines de personnes», en est la parfaite illustration. Cette manipulation, diffusée par les comptes de propagande du Hamas, a été relayée par des médias traditionnels et s’est répandue sur les réseaux sociaux. Mais c’est également sur les réseaux sociaux que les premières preuves de cette manipulation sont apparues, le soir même du 17 octobre. Ce que semblent confirmer aujourd’hui l’ensemble des services de renseignements occidentaux : à savoir que l’hypothèse la plus probable est qu’une roquette palestinienne a explosé sur le parking de l’hôpital Ahli Arab à Gaza.
Avec ce type de mesures, peut-on aller jusqu’à parler de basculement civilisationnel pour nos sociétés libérales ? Craignez-vous que l’on bascule dans une société de contrôle ?
Emmanuel Macron a apporté lui-même la réponse à cette question dans son intervention du 17 octobre en affirmant que «nous devons vivre dans une société de vigilance» et que «jamais, dans un État de droit, il ne sera possible d’avoir un système où le risque terroriste est éradiqué totalement». Si le risque zéro n’existe effectivement pas, de tels propos actent publiquement l’impuissance de l’État français à protéger ses propres citoyens au motif que l’État de droit l’en empêche. Autrement dit, les traités internationaux et communautaires associés aux hautes cours de justice empêchent l’action répressive de l’État envers les personnes susceptibles de porter préjudice à la sécurité des Français.
Il ne reste donc plus au politique comme ressort d’action que «la société de vigilance», c’est-à-dire le contrôle de tous par tous, partout et tout le temps (vidéoprotection, reconnaissance faciale, passes numériques, drones de surveillances, réserve citoyenne du numérique, etc.) pour donner une illusion d’action et de sécurité. À force d’impuissance avec les forts (délinquants et terroristes), on enferme les faibles (citoyens) dans des prisons numériques à ciel ouvert en raison de l’incapacité de l’État à pouvoir les protéger. C’est effectivement une rupture civilisationnelle majeure puisque le respect du droit et des lois par les citoyens était jusqu’ici conditionné, dans notre tradition constitutionnelle, par l’obligation de l’État de protéger ses citoyens. ■
Deux brèves remarques:
1) « Réserve citoyenne du numérique »: une vessie à la macron-le -jeunot qui se videra sans difficulté. Rétablissons d’abord la distinction essentielle entre dénonciation et délation. La première, faite nommément, est aussi vénérable que l’assistance à personne en danger. Elle est même, de par la loi, obligatoire, du moins pour les fonctionnaires. C’est dire ! Depuis des années pourtant cette respectable dénonciation est assimilée par les media – donc par l’opinion- à la délation, entendue comme l’œuvre de corbeaux anonymes, méprisables, frustrés et, bien sûr, très « sombres ». Une manœuvre de plus pour faire de nous des moutons idiots, passifs, irresponsables, démissionnaires et abstentionnistes.
2) Dans l’item ci-dessus, l’expression « l’incapacité de l’État à pouvoir les protéger. » apparait deux fois. On ne compte plus, en effet, dans la langue courante, ce type d’expressions. La « permission (ou la possibilité) de pouvoir faire… » sont des classiques du genre. C’est ignare, lourd, inélégant. Naguère on riait de ces « excusez-moi de vous demander pardon ». Si on peut, on est capable ou, suivant le contexte, on a la permission ou le droit, bon sang !. Et vice-versa ! Il y a aussi de la veulerie, de la lâcheté et de la confusion dans ce français-là.
Comme dans mon numéro 1) !