Front Populaire du 25 octobre 2023.
Par Régis de Castelnau.
DISCUSSION – On ne fera pas de nous des parlementaristes, au sens des parlements qu’a conçus et généralement connus la démocratie idéologique et formelle à la française. Pas même par opposition à l’autoritarisme macronien ni au système politicien qu’il a mis en place pour s’emparer du Pouvoir et mettre en œuvre sa politique pour l’essentiel illusoire, détestable parce qu’antinationale, et par surcroît aujourd’hui faille. Tout cela, Régis de Castelnau le dit avec vigueur, cohérence et lucidité. Nous livrons son papier au jugement, éventuellement au débat, des lecteurs de JSF. Nous demeurons partisans, tout simplement, d’un autre régime et des opposants de plus en plus légitimes, nous semble-t-il, au régime en place, plongé dans la crise profonde décrite ici. Celui auquel nous pensons est certes imparfait, comme toutes choses humaines et sociales, comme l’est le corps politique que, déjà, Platon appelait « le gros animal ». C’est pourtant le régime et l’ordre social qui ont fait d’un petit royaume naissant la première puissance du monde et enfanté la civilisation franco-européenne dont nous nous émerveillons encore.
CONTRIBUTION / ANALYSE. L’exécutif de la seconde mandature Macron s’est fait une spécialité de dégainer l’article 49.3 pour couper court aux débats autour du vote de ses propositions de loi. Cependant, explique Régis de Castelnau, le problème ne réside pas dans l’article 49.3, création du général de Gaulle, mais dans l’incapacité des oppositions à s’entendre.
Depuis maintenant depuis un peu plus d’un an, c’est-à-dire depuis l’élection de l’Assemblée nationale consécutive à la réélection d’Emmanuel Macron au scrutin présidentiel de 2022, il se joue un drôle de ballet politique autour de l’article 49-3 de la Constitution. En voyant les résultats, qui ne lui accordaient cette fois-ci qu’une majorité relative et non absolue, le président aurait dit à son entourage : « on entre dans le bizarre ». Une manière de dire que le temps du système mis en place par Lionel Jospin en 2002, qui transforma le scrutin législatif en désignation d’une bande de godillots au service du chef de l’exécutif pour appliquer son programme, était mis entre parenthèses ? Le scénario n’était certes pas tout à fait le même qu’en 2017, où une majorité macroniste massive à base d’amateurs incompétents, méchamment (mais justement) caricaturés en « Playmobils », validaient tout ce que pouvait leur présenter l’exécutif, abolissant pour cinq années la séparation des pouvoirs. Mais en fait, avec un peu de recul, c’était la réélection finalement confortable d’un Emmanuel Macron pourtant détesté qui était « bizarre ».
Macron en force, comme d’habitude
Le scrutin parlementaire suivant envoya dans l’hémicycle une représentation plus conforme aux divisions de la société française. Privé de majorité absolue, on imaginait qu’Emmanuel Macron serait amené à composer et essayerait de constituer une nouvelle majorité moins monolithique que la précédente. Que nenni. Guidé par son narcissisme, son autoritarisme et son absence de véritable compétence politique, le président n’a rien changé. La méthode : conserver son personnel politique –probablement le plus faible de l’histoire de la République – ; piétiner allègrement les libertés publiques via l’action de ses ministres, hommes de main sans principe, et en demandant à une Première ministre consternante de médiocrité d’utiliser à foison l’article 49-3 de la Constitution pour faire passer ses textes.
La dernière occurrence de l’utilisation de cet article honni de notre Constitution, à l’occasion du vote du projet de loi de finances de la Sécurité sociale, a poussé la caricature jusqu’à une présentation d’un projet de loi qui a engagé, avant tout débat, la responsabilité du gouvernement par l’utilisation quasi-immédiate du 49-3 ! Et, comme d’habitude, « l’opposition » de pleurnicher, de se tordre les mains, et de vitupérer ce pouvoir antidémocratique qui refuse de dialoguer avec elle et la prive de sa mission constitutionnelle de contrôle de l’exécutif. Le problème, c’est que cette « opposition » se moque du monde. L’article 49-3 voulu par le général de Gaulle dans sa constitution du 4 octobre 1958 n’est pas, au contraire de ce que nous serine les ignorants, un outil antidémocratique. Et force est de constater que le petit ballet macronien des passages en force nécessite qu’il trouve des partenaires, et que la complaisance et la lâcheté des oppositions lui permet de prospérer.
Qu’est-ce que l’article 49-3 ?
Nous n’allons pas faire ici un cours de droit constitutionnel, mais simplement rappeler quelques éléments qui permettent d’éclairer la nature de cet article. Depuis Montesquieu, on sait qu’un pays qui n’a pas de séparation des pouvoirs « n’a point de Constitution ». Dans les régimes de démocratie représentative, il y a plusieurs systèmes qui organisent cette séparation et son équilibre. Le principal est celui où l’organe législatif contrôle le pouvoir exécutif, qui est responsable devant lui. Il y en a d’autres, comme celui des États-Unis par exemple, dans lequel le gouvernement procède du président élu, n’est pas responsable devant le Congrès et ne peut donc être renversé. La première République française à peu près stable fut la troisième : un système parlementaire où le chef de l’exécutif était le Président du conseil, et bénéficiait de la confiance de la Chambre. Le président de la République, quant à lui, inaugurait les chrysanthèmes.
Cahin-caha, ce système parlementaire arriva pu tenir pendant un peu moins de 70 ans avant d’être liquidé par Philippe Pétain en 1940. Après la Libération, les jeux parlementaires reprirent de plus belle, provoquant le départ de Charles de Gaulle en janvier 1946, et faisant adopter une constitution caricaturale, qui fit basculer le parlementarisme dans un régime d’Assemblée particulièrement instable dans lequel le pouvoir exécutif ne pesait quasiment pour rien. Ce système ayant amené la France au bord de la guerre civile, de Gaulle fut appelé en renfort pour l’éviter, et il imposa sa solution d’un régime mixte avec un président de la République élu au suffrage universel direct, et un gouvernement nommé par lui mais responsable devant l’Assemblée nationale. Ce fut un renforcement sans précédent du pouvoir exécutif, et la constitution de 1958 veilla soigneusement à rogner les ailes du Parlement, mais sans le priver de son pouvoir de contrôle sur le gouvernement et de la possibilité de le renverser.
Le paradoxe, c’est que l’article 49-3 n’est pas la mesure la plus contraignante du pouvoir législatif mise en place par la Constitution de 1958. Lorsqu’il présente un « projet » de loi, c’est-à-dire un texte à son initiative, qu’il a préparé, communiqué, soumis à l’avis de diverses institutions et rendu public, le gouvernement peut engager sa responsabilité et solliciter la confiance de l’Assemblée nationale. Il appartient alors à celle-ci de se prononcer soit en s’abstenant de refuser la confiance et le texte est dans ce cas-là considéré comme adopté, soit de voter une motion de censure et le gouvernement est alors renversé. Si une telle motion de censure est soumise au vote, celui-ci a lieu après un débat parlementaire.
Deux hypothèses se présentent alors au président de la République. Soit il nomme un nouveau Premier ministre qui compose un nouveau gouvernement qui devra de nouveau se présenter devant l’Assemblée et bénéficier de sa confiance. Soit il dissout l’Assemblée nationale et demande au peuple retournant aux urnes, d’arbitrer le différend entre l’exécutif et législatif. Le caractère antidémocratique de cette procédure, que l’on nous serine en permanence et sur tous les tons ne saute pas aux yeux.
Du mauvais usage de la motion de censure
Depuis cette nouvelle législature, il y a eu une collection de motions de censure dont aucune n’a été adoptée, ce qui peut paraître surprenant lorsque l’on sait que le groupe macroniste est minoritaire. Emmanuel Macron est donc tranquille, il sait pertinemment qu’il peut compter sur l’inconséquence et la lâcheté d’un personnel politique qui se prétend d’opposition mais qui se garde bien d’utiliser les armes constitutionnelles à sa disposition.
Tous les prétextes sont bons pour ne pas prendre ses responsabilités. La Nupes nous dit qu’elle ne veut pas mélanger ses voix aux horribles nazis qui siègent sur les bancs du RN, et qu’elle tient à conserver sa pureté. Quitte à laisser complètement les mains libres à Macron pour emmener la France à la catastrophe. Le RN quant à lui finasse, en dit et en fait le moins possible, le regard obstinément fixé sur 2027. Le parti de Marine Le Pen se réjouit des sondages sur les européennes de juin 2024 où la liste pilotée par son jeune premier est pour le moment annoncée à 28 % par les instituts de sondage. Peu importe que ce score soit celui du Front National en 2015 – on connaît la suite –, peu importe que cette élection n’intéresse qu’à la marge le grand public, peu importe qu’elle soit largement inutile puisque l’Europe est commandée par l’agent américain von der Leyen, qui n’est élue par personne.
Les pires sont peut-être les parlementaires LR, conduits par l’ineffable Éric Ciotti, qui refusent de voter la censure faute d’avoir un gouvernement de rechange à proposer ! Une mention particulière pour Olivier Marleix, dénonciateur furieux des fossoyeurs des capacités industrielles de la France et de la corruption du système macroniste. L’intéressé en a même fait un livre intitulé, excusez du peu, Les liquidateurs : Ce que le marcronisme inflige à la France et comment en sortir. Il aurait pu l’offrir à Ciotti pour son gouvernement de rechange. Marleix veillera cependant à préserver soigneusement Emmanuel Macron et à ne pas lui faire subir une défaite politique majeure. Citons également la députée Véronique Louwagie, auteur de cette perle : « Les députés Les Républicains ne voteront pas ces motions de censure. Pour autant ils ne donnent aucun blanc-seing au gouvernement ». Eh bien si, justement, madame, c’est exactement ce que vous faites. Avec de tels opposants, Elisabeth Borne peut dormir tranquille.
Rappelons qu’au moment de la loi sur les retraites, il n’a manqué que neuf voix à la motion de censure, pour l’infliger au locataire de l’Élysée. La volonté de placer son confort politique avant les intérêts de la France doit elle aussi jouer son rôle. On peut malheureusement imaginer que la préservation des intérêts matériels dissuade de courir le risque d’un retour devant les électeurs. Ce triste constat en dit long sur un pays dirigé par un narcisse incompétent, complètement déconsidéré et dépassé face à la crise mondiale. Accompagné d’un personnel politique, majorité ou opposition confondues, où l’impuissance assumée le dispute à la lâcheté. ■
Source
* Lire du même auteur (dans JSF)
Iceberg droit devant pour le Titanic américain
Excellent article, merci vraiment !
Une précision :
Dans sa première mouture la Constitution ne prévoit pas l’élection présidentielle par les citoyens (de Gaulle a été élu en 1958 par le Congrès réuni à Versailles haut lieu de la République comme l’on sait…)
C’est en 1962 que cette élection présidentielle a été organisée au suffrage universel direct, au grand dam du Président du Sénat d’alors Gaston Monerville
Excellent article. Je suis plus circonspect sur le chapô de JSF ; à vrai dire, j’ai toujours été sceptique sur l’antiparlementarisme de l’Action française en général. Que signifie-t-il ? Un Etat sans parlement, comme en Arabie séoudite ?
Donnant raison à Castelnau, ce surprenant Candide Tahitien… Et Mme Borne rigole, rigole
https://www.youtube.com/watch?v=26Le5zcyLys
Qui rira le dernier ?