Ce long débat entre personnalités expertes dans leurs domaines respectifs nous semble particulièrement vigoureux et lucide. Il a été publié le 27 de ce mois sur Atlantico. Bonne lecture !
La Première ministre s’est exprimée ce jeudi devant des maires pour présenter des mesures destinées à répondre aux violences urbaines de cet été. Ce plan n’arrive-t-il pas un peu tard alors qu’un conflit identitaire voire civilisationnel plane au-dessus de la République ?
Atlantico : Elisabeth Borne a présenté son plan banlieue en réponse aux émeutes de juin. Possibilité d’encadrer des jeunes délinquants par des militaires, sage de responsabilité parentale, possibilité aux polices municipales d’accomplir certains actes de police judiciaire… Est-ce que ce plan n’arrive pas un peu tard alors qu’aujourd’hui c’est un conflit identitaire voire civilisationnel qui plane au-dessus de la République ?
Arnaud Lachaize : Cen’est pas tellement qu’il arrive un peu tard mais son contenu qui est nettement inadapté aux enjeux actuels. La plupart des mesures annoncées sont dérisoires ou font office de gadget. Par exemple on crée une « force d’action républicaine ». La formule sonne bien, elle fait très commando renvoyant à la « force d’action rapide » comme outil militaire. Jolie trouvaille des communicants ! Mais il n’y a rien derrière. Le plan prévoir une amende de 750 € pour « non respect du couvre-feu ». Quel couvre-feu, et qui va les payer ? Des gamins de 15 ans qui ne travaillent pas ? Et des sanctions contre les parents défaillants : à qui va-t-on s’en prendre, aux mères de familles isolées qui ne tiennent plus leurs rejetons ? Il y a un côté déconnexion totale dans ce plan…
Xavier Raufer : Encore de la communication – et pas de la bonne. Quatre mois pour accoucher de ça ! Voyons ça en détail. Depuis vingt-cinq siècles et Aristote, on sait que « Le mot ‘chien’ ne mord pas » ; que face à des individus immatures, très souvent mineurs lors des dernières émeutes, il faut que les paroles (ici, les propos de Mme Borne) soient suivies d’effet, sinon, ces jeunes s’en tapent ; pire encore, en ressentent une ivresse d’impunité – on a tout cassé et ensuite, on n’a pas été punis. Les parents seront sanctionnés dit Mme Borne, en mode « demain, on rase gratis ». Mais pourquoi attendre quand on le peut déjà ? Que le lecteur soit attentif : ce qui suit prouve le côté absolument factice des menaces en l’air de la Première ministre.
Il existe depuis belle lurette, dans notre code pénal, un article 227-17 que voici dans son intégralité : « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ». S’applique-t-il aux parents de mineurs vendant, bien après minuit, de la drogue aux passants, incendiant des voitures ou tirant des mortiers sur la police ? Pleinement. Or en France aujourd’hui, cet article n’est JAMAIS employé, nulle part, dans aucun tribunal. Il n’y a pas en France un père ou une mère ayant dû payer une amende – ne parlons pas même d’avoir passé une nuit en prison. Eh bien demain, les mesures de Mme Borne formeront une couche de plus sur la litière des innombrables lois de circonstance empilées depuis des décennies, inutilisées et ne servant à rien. J’ajoute que la baudruche Dupond-Moretti, Garde des sceaux par hypothèse chargé de leur application, lui-même bel et bien mis en examen, fait hurler de rire toute la France suburbaine, en mode « Dupond, c’est un bouffon ».
Que ce plan arrive tôt ou tard importerait si tout cela était destiné à quelque mise en vigueur, mais tel n’est bien sûr pas le cas. Encore un exemple. Mme Borne, jouant à la maîtresse sévère, nous parle d’un éventuel « encadrement par l’armée » des mineurs délinquants. J’ai écrit mon premier livre sur la délinquance, les banlieues, etc., voilà exactement QUARANTE ANS ; son titre était « Sur la violence sociale ». Il était déjà question d’un tel « encadrement par l’armée » et depuis (cela fait 14 600 jours…) RIEN DU TOUT n’a été fait dans le registre du réel. C’est un coup de pub’ : prononcer le mot « armée » rassure l’électeur de droite ; voilà tout. « Conflit identitaire et civilisationnel » sont par ailleurs de bien grands mots : il s’agit tout bêtement de maintien de l’ordre dans quelque 700 zones de la métropole, que le Renseignement territorial lui-même qualifie lui-même de « quartiers de non-droit ».
Aucun acte ne doit rester impuni, a dit Elisabeth Borne. Le gouvernement fait preuve de fermeté ?
Arnaud Lachaize : D’abord, ce n’est pas l’exécutif qui sanctionne, ce sont les juges… Alors, si le pouvoir voulait vraiment prendre des mesures de fermeté, il le pourrait : remise en vigueur des peines planchers créées par Nicolas Sarkozy et abrogées par la gauche au pouvoir en 2012, durcissement du régime pénal des mineurs, etc… Mais il n’en est pas question. La doctrine officielle, celle de M. Dupond-Moretti, c’est que le sentiment d’insécurité est plus grave que l’insécurité et le gouvernement ne fait absolument rien de solide dans ce domaine.
Xavier Raufer : Fermeté à la télé, dans les interviews, etc. Mais en fait ni M. Macron, ni Mme Borne, ni le tandem Darmanin – Dupond-Moretti ne sont capable de la plus minime autorité, de la moindre fermeté sur le terrain. Le fait qu’ils veuillent se désengager dudit terrain et refiler la patate chaude du maintien de l’ordre dans les zones hors-contrôle aux polices municipales, en dit long sur la frousse qui les habite tous. Dès qu’il s’agit de maintenir ou restaurer l’ordre, ils partent battus d’avance, plongés qu’ils sont dans la hantise d’une autre émeute, voire de la guerre civile. On l’a vu fin juin – début juillet passé : les forces de l’ordre se sont bien gardées de reprendre le contrôle, une bonne fois pour toutes, des banlieues d’où provenaient l’essentiel des émeutiers. Elles en sont restées à distance.
Est-on dans une période de dé-civilisation comme Emmanuel Macron le signifiait en mai dernier ou bascule-t-on dans une atmosphère de guerre civile ? A force de vivre côte à côte, on va finir par être face-à-face ?
Arnaud Lachaize : Oui, c’est la fameuse déclaration de Gérard Colomb en 2018, lors de son départ du ministère de l’Intérieur : « Aujourd’hui, on vit côte à côte, je crains que demain on puisse vivre face-à-face». Elle a le mérite de la lucidité. Les dirigeants politiques ont l’impression que la puissance des mots se substitue à l’action. M. Darmanin a parlé d’ensauvagement, M. Macron de dé-civilisation. Il n’est pas allé jusqu’à parler de barbarie, ce qui signifie la même chose. Ils pensent que le fait de choquer par les formules vaut décision et résultat. On est en permanence dans l’illusionnisme.
Xavier Raufer : Rien de ça. Les lascars des banlieues ne sont forts que de l’insigne faiblesse de l’État. Ce sont des âmes simples : l’État régalien recule ? Ils avancent. Eux savent mieux que personne que M. Darmanin ment, simule, mais que derrière ses rodomontades, il n’y a rien de sérieux. Les dealers voient mieux que quiconque l’ineptie du « pilonnage » des supermarchés de la drogue, vantés par M. Darmanin et sa pauvre préfète de Marseille. Caïds et dealers savent Ô combien, que si désormais, ils vendent leur cocaïne 60, voire 50, euros le gramme, au lieu de 80 euros quand M. Darmanin est arrivé à l’Intérieur, c’est parce que cette drogue inonde le marché tant et si bien que son prix baisse, par simple effet de la loi de l’offre et de la demande.
Bertrand Vergely : Quand on analyse la situation sociale en France, il existe une fâcheuse tendance à, non pas penser le présent mais à faire des prophéties à propos de l’avenir. Ces prophéties relevant de la crainte, on finit par prendre celle-ci pour la réalité.
La guerre civile est, avec la guerre, l’un des pires fléaux que l’humanité ait à subir. Quant à l’effondrement de la civilisation, débouchant sur la barbarie, elle est un fléau non plus simplement intérieur à une société mais intérieur à la notion même d’humanité. Le monde dans lequel nous vivons connaît un certain nombre de problèmes tant sur le plan intérieur de la société que sur le plan même de son humanité. Si on veut pouvoir s’en sortir, il importe de savoir nommer correctement les problèmes qui se posent avant de voir comment les surmonter.
Lorsque l’on a affaire à une population immigrée en nombre dans un quartier, lorsqu’elle fait des enfants en masse, lorsque cette population ne parle pas français, lorsqu’elle ne s’habille pas à la mode européenne, lorsqu’elle fait de la question religieuse un abcès de fixation, lorsqu’enfin des jeunes prennent un certain plaisir à narguer et à faire peur, lorsque certaines jeunes filles brandissent leur voile censé être religieux comme un étendard, lorsque des attentats ou des meurtres sont commis au nom de la religion ou bien encore de l’identité communautaire, lorsque ce problème ne peut pas être soulevé sans que celui ou celle qui le soulève soit assimilé à un extrémiste de droite en voie de fascisation, la réaction immédiate consiste à se sentir envahi en ajoutant que « si cela continue comme ça, cela va très mal se terminer ». Face à ce phénomène, il existe des réponses.
Arrêter le chaos provoqué par une immigration illégale, faire respecter les lois, veiller à ce que l’on parle français et que l’on connaisse la civilisation française, encadrer la population au lieu de la livrer à elle-même, ne pas avoir peur de défendre ces mesures en résistant à l’intimidation criant à l’extrême droite et au fascisme. Toutefois, les réponses ne concernent pas que les autres. Elles nous concernent aussi nous-mêmes.
Il faut être lucide, l’immigration s’inscrit dans le brassage des peuples qui est la réalité même de la condition planétaire. À l’occasion de ce brassage, il importe d’être honnête en reconnaissant tout le profit économique que l’on en tire grâce à ceux et celles qui viennent apporter leur force de travail et leurs compétences, tout ce que l’on aime en elle, notamment dans le domaine culturel ou bien encore culinaire, tout ce qui se passe bien et parfois, souvent même mieux que bien parce que des liens d’amitié ou d’amour se nouent.
Pour aborder la question de l’immigration, quand on est un spectateur passif face au monde, on a le sentiment d’être envahi en oubliant qu’il y a quantité de choses que l’on peut faire et que l’on peut être. Quant à la question de la civilisation, elle concerne non plus l’immigration mais la modernité.
Nous vivons dans un monde démocratique qui repose sur la liberté. Dans ce monde, on n’est pas sans arrêt derrière les individus afin de les surveiller, de les gendarmer en leur disant ce qu’il faut faire, ce qu’il faut vivre et comment penser. On avance que c’est à l’individu de se prendre en charge. Quand la liberté n’est pas assortie d’une culture morale donnée par l’éducation, l’instruction et l’enseignement, étant un espace vide, elle devient l’occasion pour les tyrannies individuelles d’abuser des droits qui lui sont donnés.
Il en va de la civilisation comme de la violence. Ce n’est pas simplement aux autres de refouler leur violence et de se civiliser. C’est à tout le monde de le faire en permanence. On parle de l’éducation pour nous civiliser. On oublie l’instruction et l’enseignement. C’est en bâtissant un monde où l’on respecte les règles de bonne conduite en société (éducation), en maîtrisant les savoirs fondamentaux et d’abord la langue (instruction) et en recevant le sens de la vie morale au sein d’une relation personnelle (enseignement) que se bâtit une civilisation. Nous avons tous les moyens de faire vivre ces trois aspects qui civilisent. À nous d’en user.
Qu’est-ce qui fait qu’on bascule dans une atmosphère de guerre civile ? Notre incapacité à maintenir un espace commun ?
Arnaud Lachaize : C’est avant tout le résultat de la fragmentation de la France, due à soixante ans de flux migratoires mal maîtrisés qui se traduisent par des phénomènes de ghettoïsation urbaine. Nous avons face à face une France d’origine européenne, de source chrétienne ou sans religion, dont les enfants sont scolarisés, les parents travaillent, respectent les lois et vivent « bourgeoisement » et en face une France issue de l’immigration Sud-Nord depuis au moins trois génération, minée par l’échec scolaire, le chômage, la criminalité ou l’islamisme radical comme échappatoire. Et en dehors de situations individuelles, ces deux France ne se parlent plus. Pour l’instant, il n’y a pas de guerre civile au sens d’un combat frontal et meurtrier comme en Espagne entre 1936 et 1939, mais une situation de chaos, de violence permanente, d’agressions, de haine qui mine la cohésion sociale. Les événements d’octobre 2005 comme ceux de juin 2023 marquent le paroxysme de ce conflit à caractère ethnique. Si rien n’est fait et si les tensions continuent de s’aggraver, à l’horizon de quelques décennies la situation peut prendre un tour incontrôlable et alors, basculer dans quelque chose qui ressemblera à une vraie guerre civile avec des affrontements et des morts.
Bertrand Vergely : La guerre civile n’apparaît pas parce que, dans une société, on ne s’entend pas. Elle apparaît quand, se saisissant de certains phénomènes d’inimitié et de rejet réciproque, les politiques les utilisent afin de créer une guerre dont ils deviennent les chefs. Dans une société, des conflits, il en existe toujours. De l’inimitié, du rejet réciproque, de la rivalité, de la jalousie, des frustrations, il en existe toujours. L‘incapacité de créer un espace commun, il en existe toujours. Ce n’est pas pour cela qu’une société bascule dans la guerre civile. Cela se voit dans les discours qui sont tenus. Le ressentiment entre êtres humains est courant. Pour différentes raisons, ceux-ci s’en veulent entre eux. Les choses deviennent dangereuses quand ce ressentiment se politise. Étant systématique, il cesse d’être du ressentiment pour devenir de la haine.
On parle d’espace commun en voyant en lui la clef de la pacification sociale. On n’a pas tort. Il est vrai que c’est en apprenant à se côtoyer que l’on fait tomber les préjugés. Quand on ne se voit pas et qu’on ne se parle pas, ne se connaissant pas, on imagine. On fantasme. Parfois, on délire. Quand on se voit, que l’on se parle, apprenant à se connaître, on arrête d’imaginer, de fantasmer, de délirer. Il revient aux politiques de savoir créer des espaces, des temps et des événements au cours desquels, vivant ensemble en apprenant à se connaître, on fait tomber les préjugés qui séparent et divisent. Toutefois, ne rêvons pas. Il en va de l’humanité comme du couple. C’est dans la relation et non dans la fusion qu’elle se trouve. On ne peut pas avoir des intérêts en commun avec tout le monde ni à propos de tout. Cela ne doit pas empêcher de vivre dans le même monde en participant à la même société. Ainsi, on reconnaît une société adulte au fait, non pas que tout soit commun, mais que ne rien avoir de commun n’empêche jamais l’existence de l’espace commun.
Ce plan banlieue, est-ce qu’il répond à la problématique alors qu’une partie de la population ne comprend que le rapport de force ?
Arnaud Lachaize : Non pas du tout, on l’a dit, c’est un catalogue de gadgets inapplicables qui est davantage destiné à réduire le « sentiment d’insécurité » que l’insécurité. Il s’adresse bien davantage à la France d’origine Européenne, pour la rassurer, qu’à celle des territoires perdus de la République. Il faudrait des mesures d’une toute autre ampleur pour parvenir à contenir la révolte montante et des sanctions à la hauteur des destructions commises. Hélas on retombe toujours sur le même constat : l’impunité des mineurs, aussitôt interpellés et relâchés aussitôt. Evidemment, à la suite des émeutes de juin, le gouvernement a présenté des chiffres montrant que de nombreux émeutiers ont été sanctionnés de peine de prison. Peut-être, mais l’immunité est générale et quotidienne : insultes, agressions y compris contre des policiers, destructions de biens, absentéisme scolaire, qui ne donnent lieu à aucune sanction mais à un simple rappel à la loi. Le plan actuel ne comporte rien qui réponde à ce climat de laxisme permanent et généralisé. Qui oserait s’en prendre au sacro-saint régime pénal protecteur des mineurs ?
Xavier Raufer : Le milieu criminel n’est pas peuplé de docteurs en physique nucléaire, mais d’individus bornés, rusés, cruels, réagissant à un stimulus basique, la logique coût-bénéfice, par une immuable pratique, l’effet de déplacement. Quand « ça craint » trop, j’attends plus tard ou je vais (vendre de la drogue… tuer un concurrent…), ailleurs. Si aujourd’hui ils s’entretuent sans vergogne et toujours plus, s’ils vendent leurs stupéfiants au nez et à la barbe de forces de l’ordre réduites à l’impuissance, c’est que les instances de répression ne les impressionnent plus. Ces malfaiteurs doivent donc être matés – dans le strict respect du code pénal – mais matés. Penser que MM. Macron, Darmanin, Dupond-Moretti et la si terne Me Borne, sont capables de ça, est une sinistre farce.
Une partie de la population issue de l’immigration vit ses difficultés d’intégration comme une humiliation infligée par la société française. Il est là le terreau du conflit identitaire et civilisationnel ?
Arnaud Lachaize : En effet, il me semble que le sentiment de révolte et de haine de la France et des Français se répand comme une traînée de poudre. On voit bien comment à l’heure actuelle les régimes des pays africains ou l’Algérie ont tendance à prendre la France comme bouc émissaire de toutes leurs difficultés. Le même phénomène se produit au niveau des populations issues de l’immigration en France. Le cumul des difficultés, échec scolaire, chômage, ghettoïsation favorise le rejet de la France et la haine des « Français ». Le contexte post colonial joue beaucoup. En outre, l’esprit de repentance (notamment coloniale) qui domine les médias, une partie des intellectuels et même l’éducation nationale est propice à cette haine de la France. A l’école, on enseigne davantage les échecs et les hontes que les gloires et les réussites de notre pays. Cela contribue fortement a le faire haïr.
Bertrand Vergely : Il en va du conflit identitaire comme il en va de la guerre civile. Celui-ci apparaît quand la difficulté d’intégration est instrumentalisée par certains politiques avides de s’en servir comme levier de pouvoir. Si on prend la communauté musulmane, c’est bien ce à quoi on assiste.
La plus grande partie des musulmans en France ne sont nullement fanatisés ou bien encore radicalisés. Dans les difficultés qu’ils rencontrent, y compris les difficultés d’intégration, il ne leur vient pas à l’idée de politiser leur situation. Et quand des prédicateurs tentent de les convaincre de se politiser voire de se radicaliser, ils s’en écartent en voyant en eux de faux amis les poussant à la violence afin de faire d’eux des pions que l’on manipule dans un projet de conquête du pouvoir.
Le mouvement des frères musulmans est né en Égypte au début du 20ème siècle quand des religieux se sont mis à instrumentaliser politiquement les difficultés des jeunes face à la société et à la modernité. Aujourd’hui, ceux qui veulent pousser au conflit utilisent l’argument du colonialisme. Bien que la colonisation soit finie, il existe tout un discours faisant de la France un colonisateur invétéré. La colonisation n’aurait pas cessé et tout ce que fait la France continuerait à être du colonialisme. Permettant au ressentiment de prendre forme de façon efficace et ainsi d’avoir une légitimité, ce discours a une forte audience. Il n’en demeure pas moins qu’il est un faux ami en empêchant ce qui pourrait permettre au monde musulman, africain et nord-africain d’accéder à la liberté à laquelle il aspire.
On progresse quand on fait son autocritique en devenant responsable de ses propres erreurs au lieu d’accuser un autre d’en être la cause. L’Occident a progressé à chaque fois qu’il a pratiqué une autocritique en devenant responsable de ses propres erreurs au lieu d’en accuser les autres. Aujourd’hui, la question de l’autocritique est le problème majeur auquel sont confrontés tant l’Islam, que les africains et les nord-africains.
Sur un plan religieux, l’islam bute sur la question de l’interprétation. Toute religion repose sur une parole transcendante qui ne peut s’exprimer que symboliquement. Pour accéder à cette parole, un travail intérieur s’impose de façon à passer de la lettre à l’esprit, la lettre tuant alors que l’esprit vivifie. Si le soufisme a le sens de l’interprétation intérieure et symbolique, une grande partie de l’islam est maintenue dans un état de stagnation voire d’arriération spirituelle, le Coran étant uniquement envisagé comme un code de bonne conduite alors qu’il délivre, quand il est bien interprété, un haut enseignement.
Par ailleurs, l’Afrique et les africains se font du mal et s’empêchent de progresser quand, sur le mode d’une litanie revenant en boucle, le racisme de l’Occident est incriminé afin d’expliquer les échecs rencontrés. Pascal Bruckner a parlé des sanglots de l’homme blanc et de la tyrannie de la pénitence pour qualifier la stupéfiante culpabilité dans laquelle l’Occident tend à s’enfermer parce que tout un discours dit de libération s’emploie à l’y enfermer savamment. On ne fait rien dans la culpabilité sinon culpabiliser le monde entier parce que l’on se culpabilise. Tant que l’Occident continuera d’être le bouc émissaire de tous les ressentiments et de toutes les frustrations, faute d’une révolution culturelle indispensable, le monde africain qui aspire à se libérer n’y parviendra pas. N’y parvenant pas, il approfondira son propre malheur en accusant une fois de plus l’Occident d’en être le responsable. Bien sûr, convient il d’ajouter, ce passage à la responsabilité ne pourra se produire que si, de son côté, l’Occident n’instrumentalise pas cette autocritique en s’en servant pour sa propre gloire de façon méprisante.
Aujourd’hui, les gens qu’on peut qualifier de raisonnables ne veulent plus prendre la parole dans l’espace public. Les politiques comme Jean-Luc Mélenchon, qui font campagne sur les bas instincts, font-ils monter le coût social de la protestation ?
Arnaud Lachaize : En effet, certains sujets sont toujours aussi tabous. Parler du lien entre le chaos social et l’immigration, en tout cas telle qu’elle s’est déroulée depuis 60 ans, mal maîtrisée, sans les politiques d’intégration nécessaires et exigence d’assimilation, expose à se faire insulter et traiter de raciste ou xénophobe. Le discours des bons sentiments est autrement facile, à l’image non seulement de Mélenchon mais du pape François : l’ouverture, l’accueil doivent être inconditionnels. C’est facile de s’habiller de bons sentiments, au mépris de la réalité. Le gouvernement lui-même, tout en jouant du muscle, refuse de voir ou d’exprimer cette réalité. Car il y a pire que Mélenchon : ceux qui font semblant de vouloir être fermes et battent tous les records de laxisme. Les entrées en France ont battu tous les records historiques en 2023 avec 315 000 premiers titres de séjour et 150 000 demandeurs d’asile. Comment imaginer un instant de pouvoir intégrer correctement cette masse considérable de population qui se rajoute eux difficultés actuelles ?
Bertrand Vergely : Jean-Luc Mélenchon n’utilise pas les bas instincts. Il clive. Ce qui n’est pas la même chose. S’il utilisait les bas instincts, comme cela est bête et grossier, il n’y aurait pas de quoi s’inquiéter. Quand on s’adonne à ce jeu, on ne va jamais bien loin. En revanche, lorsque l’on clive, comme il s’agit là d’une manipulation rusée du conflit, il y a de quoi s’inquiéter.
On clive quand, de façon malhonnête, dans un débat, on durcit une position en utilisant toutes sortes de sophismes, d’arguments fallacieux, de provocations, de manipulations des mots et des idées, le tout sur fond de mauvaise foi éhontée. Ne perdons jamais de vue que qui clive n’a jamais tort. Une critique surgit elle ? Elle est immédiatement anéantie par un art consommé de tout justifier.
Jean-Luc Mélenchon a compris que, la politique consistant à prendre le pouvoir, on s’empare de celui-ci en déclenchant une guerre. Concrètement, on en mesure les effets. Quand un politique comme Jean-Luc Mélenchon devient un chef de guerre, il faisant naître des adversaires contre lui, il fait aussi naître des sympathisants et, parmi eux, des futurs militants prêts à s’engager afin de le porter au pouvoir.
La guerre coûte toujours cher. La société étant paralysée, ce sont les plus pauvres qui en paient le prix. C’est aussi tout le monde, la politique n’ayant rien à gagner de voir la violence verbale et idéologique s’installer.Certes, elle est un combat. Une idée, cela se défend. Il y a toutefois manière et manière de défendre ce que l’on pense. La seule qui ne lèse personne consiste à mettre non pas l’idée au service du combat mais le combat au service de l’idée. ■
Il n’y aura pas de guerre civile pour la même raison qui a mis fin aux émeutes de juin dernier : les trafiquants de drogue ont sifflé la fin de la partie dans la mesure où les émeutes gènent leurs trafics. Il y aura tout au plus de nouvelles émeutes.
Édifiant cet article
Remontons à la source: Jean-Luc Mélenchon clive » dit un intervenant. Oui, mais quel est le régime qui s’est fondé sur la volonté de cliver en France conduisant à sur une guerre civile larvée ou non? J.L. Mélenchon en est le digne héritier. Le combattre au nom de ces valeurs est un oxymore ou une confusion. Nous s ne voulons pas de clivage , nous voulons la légitimité qui nous réunira.