Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois d’octobre, l’annonce de la réédition de son roman Colette Baudoche, deuxième tome de la trilogie « Les bastions de l’est », paru en 1909, qui suit Au service de l’Allemagne (1907) et précède Le Génie du Rhin (1921).
Colette Baudoche, jeune femme de la petite-bourgeoisie, vit à Metz avec sa grand-mère. La ville lorraine est devenue allemande après la défaite face à la Prusse en 1870. Elle est la cousine d’Ehrmann, le héros d’Au service de l’Allemagne, premier roman de la série, qui, avant d’exercer sa profession de médecin, doit faire son service militaire pour le Reich.
Le roman tourne autour de la rencontre entre Colette et un jeune professeur allemand, M. le docteur Frédéric Asmus, à qui elle fait découvrir la culture française.
Le 8 décembre 1923, pour honorer la mémoire de Maurice Barrès qui venait de perdre la vie, Emmanuel Berl, signa l’article « La philosophie de Barrès » dans la revue Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques.
Ce fin lettré était un journaliste et écrivain issu de la haute-bourgeoisie juive qui avait été la plume du Maréchal Pétain lorsqu’il prit la tête de l’État français, lui soufflant la formule restée célèbre : « La terre, elle, ne ment pas ».
« Depuis que tout jeune, Maurice Barrès vit venir le Bonhomme Système sur la bourrique Pessimisme, il se garda des doctrines philosophiques. Et il y aurait quelque chose d’assez vain et d’assez pédant à vouloir enfermer la pensée baressienne en des cadras scolastiques. On l’a essayé souvent et toujours avec malheur.
Pourtant, je crois bien que nous perdons en Maurice Barrès, avec notre plus grand écrivain, notre penseur le plus authentique, je veux dire celui qui se faisait de l’Univers la vision la plus personnelle. Le propre de ces visions-là, c’est qu’inspirant les ouvrages vraiment beaux, elles demeurent toujours inexprimables ; c’est d’elles que vient l’expression qui ne saurait y retourner.
L’Univers barressien fut d’abord peuplé uniquement d’individus. Barrès ne crut pas beaucoup à l’existence du monde extérieur ni à celle de la matière. Le monde était pour lui une collection d’individus séparés les uns des autres et il ne pouvait connaître que son propre moi.
Mais, à force de regarder à travers son moi individuel la condition humaine, Barrès sentit que ce moi ne comportait guère plus de sécurité que le reste. Il se voyait « morcelé en un grand nombre d’âmes », et il pensa que l’unité personnelle, elle aussi, était factice.
Il alla donc quérir l’âme, en dehors des individus qu’elle anime et de la matière qui ne la possède pas. Religions, races patries, il contempla le mouvement de ces vastes réalités, génératrices des hommes, auxquelles il faut que les hommes sachent se subordonner.
Toutefois, ces réalités lui parurent quelque peu conceptuelles. On dirait que, dans la dernière partie de sa vie, Barrès les imaginait sous des espèces semblables à celles des fées. il crut aux génies et aux fées qu’il chanta dans « la grande pitié des Églises de France ». Et sa dernière œuvre, le Jardin sur l’Oronte, se meut dans le pays de la fantaisie. Il est probable que Barrès finit par regarder le monde comme un rêve et comme un jeu où l’esprit souffle, contraire à soi-même, parmi le néant qu’il anime. C’est ainsi que Barrès dépassait sa propre gravité, faisant miroiter devant soi, comme une collection de turquoises, les paysages qu’il avait créés.
Ayant renoncé, ‒ depuis toujours peut-être ? ‒ à imposer une unité factice à la multiplicité de l’Univers, il ne le regardait plus, que comme une série de morceaux magnifiques dont nul ne peut saisir l’ensemble et il ne garda son amour qu’aux expériences et aux chants.
Ainsi finit Gœthe. Et la sagesse de Barrès montre avec celle de Gœthe une similitude étonnante. Comme Gœthe, il exalte d’abord l’individu, ‒ puis, à travers « l’écorce individuelle », il retrouve des réalités plus générales « quand le rare s’épanouit dans l’universel » et il aboutit alors à une certaine discipline.
Mais cette discipline, il ne veut pas qu’elle vienne se plaquer toute faite sur un individu qui, à cause d’elle, se renoncerait. Il entend qu’elle surgisse naturellement de lui. Il continue de croire qu’il faut accorder « toute licence sauf contre l’amour ». L’ordre, pour Barrès, ne doit pas entraver mais bien sauvegarder la vie. Il faut organiser, discipliner la vie ; mais, d’abord, il faut l’aimer et l’enrichir. C’est ainsi que ses disciples étonnés voyaient soudain leur maître s’enfuir vers les régions des Mille et une Nuits.
Détester également le désordre et le pédantisme, vivre avec habileté l’instant qui toujours contient en germe l’éternel, regarder avec sympathie le beau spectacle qui se joue devant nous, y prendre courageusement sa part, ne pas croire trop à l’importance de la pensée pure ni de l’Univers brut. C’est dans ces dispositions que mourut Gœthe : « Tout ce qui passe, n’est que symbole. » C’est dans les mêmes dispositions que Barrès termina son admirable existence. Philosophie de grand artiste, la seule vraie sans doute. Quel Eckermann saura nous recueillir les propos de Maurice Barrès ? »
Emmanuel BERL.
Nombre de pages : 96.
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