Par Jean-Marie Rouart, de l’Académie française.
TRIBUNE – Emmanuel Macron inaugure ce lundi la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. Une initiative, écrit Jean-Marie Rouart dans Le Figaro du 23 octobre, qui aurait pu être saluée si elle n’actait pas la muséification d’une langue que le président n’a fait que malmener, selon l’auteur, écrivain et académicien français. Les compliments d’usage dispensés au Chef de l’État, fort discutables dans le détail, mais ils sont quasiment de règle et, en l’occurrence de pure politesse, n’atténuent en aucune façon la charge plutôt féroce menée contre le même Emmanuel Macron s’agissant de sa politique ou absence de politique et mauvais traitements envers la langue française. C’est un enjeu national et, comme on aime trop souvent à dire ces temps-ci, existentiel. ■
Si décrié soit-il parfois, le président Macron a d’indéniables qualités. On ne peut pas lui nier une intelligence rationnelle de première grandeur, une ductilité verbale dont il use et abuse – certes au détriment de la concision – comme s’il était grisé par le charme ensorceleur de sa propre voix. Ce qui le distingue de ses prédécesseurs, c’est le flou que dissimule une pensée brillante. Ce flou qui fait l’originalité des tableaux d’Eugène Carrière, mais qui, en politique, risque de donner des résultats moins concluants. Néanmoins, oublions ses déclarations oiseuses dans lesquelles il niait l’existence d’une culture française, sa naïveté politique en décidant d’ouvrir grand la boîte de pandore des archives de la guerre d’Algérie, et retenons à son crédit son retournement sur les centrales nucléaires, sa restauration de l’enseignement professionnel, sa prise de conscience sur les dangers de l’artificialisation des sols. Là, bravo ! En outre pour autant que je le connaisse, l’homme est séduisant et son épouse charmante. Fin des compliments.
Macron et la défense de la langue française
En revanche, s’il est un domaine dans lequel il est loin de briller : c’est dans la défense de la langue française. Il faut chercher loin dans l’histoire de France pour trouver un responsable politique qui lui aura autant nui. Une défaillance d’autant plus surprenante que cette mission allait pourtant de soi. N’est ce pas vertigineux d’avoir accédé à la magistrature suprême d’un pays qui a pour fabuleuse originalité d’avoir été construit par ses écrivains et dont la langue fait depuis toujours l’admiration des peuples et des élites intellectuelles du monde entier ?
Comme s’il était subitement pris d’un remords, comme si soudain, à l’instar de saint Paul sur le chemin de Damas, il était tombé de son cheval sous le coup d’une révélation divine, il se lance (à grands frais, c’est peu de le dire) dans la restauration d’une ruine, certes en mauvais état, mais à tout prendre moins en ruine que la malheureuse langue française elle-même. C’est dans ce château de Villers-Cotterêts que François Ier a signé l’édit qui proclamait la naissance de la langue française et sa suprématie sur le latin. On peut relever des pierres on ne relève pas une langue d’une si longue maltraitance et d’une malveillance aussi obstinée. Aussitôt se pose une question brûlante : pourquoi sanctifier un symbole dans le même temps où l’on abandonne la langue française à une inéluctable détérioration qui la condamne à devenir une langue morte remplacée peu à peu par un sabir franco-anglais. Il suffisait de suivre l’exemple des Canadiens qui, eux, résistent courageusement, et se désolent de notre laxisme.
Restaurer un vieux château chargé d’Histoire, qui s’en plaindra ? Louable entreprise, certes coûteuse (209 millions d’euros) et d’autant plus coûteuse qu’elle risque de n’être qu’un château d’illusions. Sans parler des frais de fonctionnement. Est-ce vraiment un service à rendre à la langue française que d’inaugurer en grande pompe un lieu de réflexions platoniques qui risque de tenir le pompon dans la vaste farandole des comités Théodule et des usines à gaz bureaucratiques si vaines sur le plan pratique mais si utiles pour recaser les recalés des officines politiques dont on ne sait plus que faire. Usine à colloques, couveuse de symposiums, grande pondeuse d’acronymes, il offrira un véritable paradis pour les linguistes qui se livreront avec ivresse à leurs absconses turlutaines sémantiques. Beaucoup sont à la langue française ce que le pédagogisme est à l’éducation.
À quoi servira ce « laboratoire de la francophonie » situé à une heure de Paris et baptisé « Cité internationale de la langue française » ? Oui, à quoi servira ce joujou présidentiel ? Rien n’est plus flou que sa mission. Une mission qui, telle que la définit Paul Rondin, le nouveau directeur, ancien président du Festival d’Avignon, cofondateur de la French Tech Culture (non, cher lecteur, ce n’est pas une blague) laisse rêveur : « La langue est un nuage qui se défait, qui se refait, et qui crée des formes nouvelles à chaque fois. » Avec une telle déclaration, nous voilà bien armés pour lutter contre la détérioration de notre langue. Ce qu’on sait dans ce brouillard d’intentions, c’est qu’il sera beaucoup question de francophonie : le soutien du président qui a contribué à placer à sa tête de cette organisation une ancienne ministre rwandaise de Paul Kagamé, connue pour avoir promu dans son pays l’anglais au détriment du français, accroît notre perplexité.
Le plurilinguisme
La grande idée du règne en matière de français, c’est le plurilinguisme. Derrière ce vocable pompeux qui dissimule une véritable abdication au nom du relativisme, il y a la volonté de ne plus affirmer la priorité du français. On considère que la véritable langue française se fait hors de France et que, puisque cette langue a accueilli tout au long de son histoire des vocables étrangers (arabes, allemands, anglais, etc.) il faut non pas stopper la gangrène du franglais mais au contraire l’encourager. Enfin pour parachever la visite de ce château par une note comique, il paraît que sous la verrière flotteront suspendus au plafond des mots désuets employés par le président « saperlipopette », « carabistouille », ce qui prouve que les organisateurs ont trouvé leur inspiration chez Kim Jong-il junior, autocrate d’un pays où l’on a porté la flagornerie au niveau d’un art.
Tout cela prêterait à sourire si le président lui-même ne s’était pas rendu coupable des plus graves entorses à la langue française. Ce qui lui a valu en compagnie de Guillaume Pepy (Ouigo) d’obtenir le prix de la Carpette anglaise, donné par une académie parodique à ceux qui se soumettent éperdument au franglais. Après avoir posé avec un sourire réjoui lors du « One Planet Summit » à Paris, tenant une pancarte « Make our planet great again » : il nous a asséné un « Choose France » à Versailles, « une start-up nation » et il a fait école : Olivier Véran, pendant qu’il nous bassinait avec des conseils d’hygiène élémentaire pendant le Covid, n’a pas pu trouver un autre mot que « cluster ».
Un rapport de l’Académie française a relevé tous les manquements qui contreviennent à la loi Toubon de la part des responsables des institutions de la République. De la carte d’identité traduite en anglais, de « Sorbonne université » à « Lorraine aéroport » (syntaxe anglaise) aux niaiseries régionales « Sarthe Me Up », « Oh My Lot », c’est un accablant florilège de notre soumission au franglais. Une abdication qui nous mène tout droit, si on ne réagit pas (je crains hélas qu’il ne soit trop tard) à devenir, comme tant d’autres pays sous-développés, une province « gallo-ricaine » pour employer la si juste expression de Régis Debray. Désastre d’une langue qui aura pour corollaire la fin de la civilisation française puisque leurs destins sont liés.
Le général de Gaulle doit bouillir dans sa tombe lui qui, déjà, se désespérait en 1962 de cette corruption galopante, écrivant à son ministre des Armées, Pierre Messmer, de veiller dans les services de l’État « à éviter un emploi excessif de la terminologie anglo-saxonne chaque fois qu’un vocable français peut être employé, (et il soulignait) c’est-à-dire dans tous les cas ». Quelques années plus tard, le philosophe Cioran, roumain converti au français, s’exclamait, désespéré : « Aujourd’hui que cette langue est en plein déclin, ce qui m’attriste le plus, c’est de constater que les Français n’ont pas l’air d’en souffrir. Et c’est moi, rebut des Balkans, qui me désole de la voir sombrer. Eh bien, je coulerai, inconsolable, avec elle. »
Belle initiative, digne de Tartuffe, de mettre la langue française dans un musée pour ne pas avoir à se préoccuper de sa lente destruction à laquelle on a soi-même participé. ■
Dernier ouvrage paru : « Augustin Rouart. Entre père et fils », Gallimard, 2023, 112 p., 26 €.
L’ancien professeur de Françaix que je suis ne peut qu’être d’accord. Reste qu’une langue vivante évolue avec les vivants qui la parlent..: c’est « le nuage qui crée des formes nouvelles à chaque fois ». Il serait sans doute souhaitable que l’on s’inspire du Québec, des racines latines et grecques pour nommer les nouvelles réalités avec « des formes nouvelles » issues du génie de notre langue, de sa longue histoire. On ne peut en rester au français de François 1er; déjà nos écrivains classiques ne le parlaient, ni ne l’écrivaient plus. Imitons- les tout en refusant le franco-anglais: au premier Magistrat de donner l’exemple -il en est capable-: Villers-Cotterêts pourrait devenir un très beau symbole vraiment royal!
Objection : …il serait sans doute souhaitable que l’on s’inspirât…
Concordance des temps de conjugaison ???
Nouvel exemple d’une évolution qui me chagrine: la France des paysages harmonieux, des monuments ou ensembles urbains somptueux, des humbles trésors villageois s se couvre chaque jours de nouvelles horreurs et se donne bonne conscience en embastillant la beauté dans des musées ou des mémoriaux. Des cimetières le plus souvent , d’ailleurs. C’est le destin tout tracé pour Villers-Cotterêt. Tombeau à l’écart pour une langue que la télé, la pub, les institutions, les puissants… massacrent à tour de bras.
Oui , bien entendu ; d’accord avec le commentaire de Marc Vergier .
C’est là encore une prostitution inutile à laquelle livre Macron , mais également son maire, le château de cette ville .
A la télé ( la bouche d’ égout à domicile) , un
sobre intitulé sur une chaîne d’information : » le château d’ Emanuel Macron «
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(A Trudelle, et à quelques autres)
Il aurait été souhaitable qu’on s’inspirât : d’acord.
Mais, il serait (conditionnel PRESENT) souhaitable, qu’on s’inspire : c’est là la bonne concordance.