Par Aristide Ankou.
Emmanuel Macron a déclaré dimanche dernier qu’un projet de loi constitutionnelle visant à inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution sera envoyé au Conseil d’État cette semaine.
La constitutionnalisation de l’avortement est donc en marche et tout porte à croire que rien ne l’arrêtera. Rien ne l’arrêtera car aucun acteur politique de quelque importance ne semble avoir conscience de ce qui est en train de se jouer à cette occasion ; ou ne semble prêt à expliquer publiquement ce qui est en train de se jouer, ce qui en pratique revient au même.
La réaction à peu près unanime de « l’opposition » (qui ici doit s’écrire avec des guillemets) a été, d’une part, d’expliquer que cette constitutionnalisation de l’avortement était inutile puisqu’aucune force politique qui dépasse le niveau de l’insignifiance ne s’oppose au « droit à l’IVG » en France, et, d’autre part, de dénoncer une basse manœuvre politique d’Emmanuel Macron, qui cherche à se donner à bon compte un brevet de progressisme en terrassant un adversaire aussi mort que le fameux « patriarcat », que les féministes ne cessent de voir partout à l’œuvre alors que son cadavre depuis longtemps décomposé s’est déjà transformé en poussière – du moins sous nos latitudes.
Le second point est bien sûr incontestable, et tellement évident qu’il ne sert à rien de s’y attarder.
Le premier point est partiellement vrai : il est exact qu’en France le « droit à l’IVG » semble devenu aussi sacré que le droit aux congés payés, et donc aussi intouchable. A échéance prévisible rien, absolument rien, ne menace la liberté d’avorter dans notre cher et vieux pays.
Pour autant il serait faux d’en déduire que la constitutionnalisation de l’avortement voulue par les féministes serait sans conséquences.
Celles-ci ne poursuivent pas un fantôme, contrairement à ce que leurs mols contradicteurs voudraient croire (car personne, en France, ne s’oppose plus que très mollement au féminisme s’il veut avoir accès aux honneurs et aux fonctions publiques).
Ce que recherchent les féministes est très exactement ce que recherchaient les Etats du sud des Etats-Unis à la veille de la guerre civile et, pour l’expliquer, je ne saurais faire beaucoup mieux que de citer Abraham Lincoln.
Constatant qu’aucun compromis, aucune concession, aucune réassurance, n’avaient pu apaiser les Etats esclavagistes du sud qui, plus que jamais, agitaient la menace de la sécession et dénonçaient avec véhémence les agissements du nord, Lincoln pose la question : Qu’est-ce donc qui pourrait convaincre les Etats du sud que ceux du nord n’ont aucunement l’intention d’interférer avec leur « institution particulière » (à savoir l’esclavage) ?
Et Lincoln répond :
« Ceci, et ceci seulement : cesser de qualifier l’esclavage de mauvais et se joindre à eux pour le qualifier de bon. Et cela doit être fait sans aucune réserve, en actes comme en paroles. Le silence ne sera pas toléré – nous devons nous placer ouvertement à leurs côtés. La nouvelle loi sur la sédition du sénateur Douglas doit être promulguée et appliquée, supprimant toutes les déclarations selon lesquelles l’esclavage est mauvais, qu’elles soient faites en politique, dans la presse, en chaire ou en privé. (…) L’atmosphère entière doit être désinfectée de toute trace d’opposition à l’esclavage, avant qu’ils cessent de croire que tous leurs problèmes viennent de nous. (…)
Considérant, comme ils le font, que l’esclavage est moralement juste et qu’il élève la société, ils ne peuvent cesser d’exiger qu’il soit pleinement reconnu au niveau national comme un droit légal et un bienfait social. »
Remplacez « esclavage » par « avortement », et vous avez l’explication parfaite de ce que demandent réellement les féministes. Que l’accès pratique à l’avortement ne soit menacé par personne et que l’inscription dans la Constitution du « droit à l’IVG » ne change rien à cela, elles le savent parfaitement. Mais elles s’en moquent, car ce qu’elles demandent, et la seule chose qui pourra peut-être les satisfaire, est que l’avortement soit publiquement reconnu comme un « un bienfait social » et que « l’atmosphère entière soit désinfectée de toute trace d’opposition à l’avortement ».
Contrairement à ce que croyait, peut-être, naïvement Simone Veil et contrairement à ce que continuent à croire naïvement trop de gens, il n’est pas possible de satisfaire les exigences féministes en se contentant de tolérer l’IVG, de la légaliser pour « la contrôler et autant que possible en dissuader la femme », comme l’expliquait Simone Veil en 1974. Une telle position est simplement anathème, car le dogme féministe affirme que l’avortement est la condition de la « libération » de la femme. Or la « libération » des femmes est un bien sans mélange, par conséquent les moyens de cette libération ne sauraient être moralement ambivalents. Affirmer que l’avortement est un acte « grave » revient à donner mauvaise conscience aux femmes qui voudraient y avoir recours, ou au moins à certaines d’entre elles, et par conséquent à dissuader une fraction d’entre elles, même minime, d’y recourir.
Dire que l’avortement est un mal parfois nécessaire revient à dire que, pour une femme, la « liberté » a un coût qu’il peut être légitime de ne pas vouloir payer. Autrement dit, toute réserve morale vis-à-vis de l’avortement revient à perpétuer la « domination » dont souffrent les femmes, ou à tout le moins à retarder leur « libération ». C’est inacceptable.
L’avortement ne doit donc pas seulement être légalement possible, il doit être publiquement approuvé et tous ceux qui ont des réserves vis-à-vis de l’avortement doivent être empêchés de les exprimer. C’est précisément ce que vise la constitutionnalisation du « droit à l’IVG » car un droit, et particulièrement un droit protégé par la Constitution, est inséparablement quelque chose de légal et de moral. Affirmer que l’on a le « droit » de faire quelque chose, ce n’est pas seulement dire que la loi ne punit pas l’action en question – ce qui est une simple constatation – mais aussi que l’action en question est bonne ou, au pire, indifférente. Bref, que l’on n’est pas critiquable lorsque l’on fait usage de la liberté que vous laisse la loi. C’est une revendication morale.
Et derrière la « liberté des femmes » protégée par la Constitution viendra le « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », car assurément si l’avortement est incorporé à la Constitution c’est qu’il doit être un des fondements de notre régime républicain et, par conséquent, questionner la légitimité de l’avortement revient, même implicitement, à mettre en question la République.
La prochaine étape sera donc de faire de la critique de l’avortement l’équivalent de « l’incitation à la haine et à la discrimination » qui permet déjà de criminaliser quantité de propos, ce qui ne devrait pas être trop compliqué : nous sommes tellement accoutumés, désormais, à ce que les pouvoirs publics nous disent ce que nous sommes autorisés à penser et ressentir, qu’une interdiction de plus ou de moins…
Si vous pensez que j’exagère, considérez seulement la justification donnée par l’Elysée (telle que citée par Le Figaro) pour faire passer la réforme constitutionnelle par la voie du Congrès et pas par celle du référendum : « Un référendum aurait abouti à un débat inutile “pour” ou “contre” l’IVG. Lors d’un référendum, le temps de parole étant égalitaire, cela aurait donné aux opposants au texte une tribune disproportionnée. »
Vous voyez ? Ils ne se cachent même pas.
Cette victoire prochaine du féminisme sera cependant une victoire à la Pyrrhus. Mais de cela je vous parlerai une autre fois. ■
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (30 octobre 2023).
Il ne manque que cela pour chifonner définitivement la Constitution de la Vème.
Cela revient à E .Macron (encore lui ) lequel « salit tout ce qu’il touche ».
Une constitution, çà se modifie. La preuve…
Et çà meure, aussi…
Un jour, le débat sur l' »identité » du foetus, deviendra inévitable. Et la science sera peut-être notre alliée.
Terrifiante et superbe description d’un naufrage. France, mère des arts, des armes et des lois… Vous avez vraiment dit « mère », maman ?
L’avortement est une industrie : les fœtus « en bon état » sont vendus à des entreprises pharmaco-chimiques, pour des essais (pommades, rouge à lèvres, etc) interdits sur les animaux.
Il est curieux que l’avortement ne soit jamais envisagé sous son aspect social et politique, comme s’il concernait exclusivement la femme concernée ; aussi bien le slogan « mon corps, mon choix » est-il typiquement libéral, pour ne pas dire solipsiste. Peut-être le mouvement pro-vie gagnerait-il à attaquer l’avortement de ce côté-ci, en expliquant qu’il concerne d’abord la société et non l’individu. Concrètement, cela reviendrait à soumettre le « droit » d’avorter à des cas extrêmes en l’interdisant pour le reste. Cette voie ne va cependant pas sans poser quelques problèmes, je ne l’avance donc pas sans prudence.
Ankou analyse superbement les arrières-pensées des promoteurs de cette constitutionnalisation de l’IVG. Il ne reste plus qu’à mettre définitivement les pieds dans le plat : c’est la légalisation, sous-des faux semblants « scientifiques » (notion dont on constate l’abus généralisé), du massacre des innocents. N’y a-t-il pas un mot commençant par H pour ça ?