Le professeur Brighelli commente la copie du président Macron…
Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article est paru dans Causeur le 31 octobre. Quand Jean-Paul Brighelli traite d’enseignement il est (presque) infaillible. Bien qu’il concède un peu beaucoup, nous semble-t-il, à « la période glorieuse » de la France des Ferry et autres, alors que, sans doute, malgré ce qu’il y subsistait des qualités du Pays Réel français, les germes de sa destruction y étaient déjà contenus et à l’œuvre pour nous conduire, nonobstant ou à cause de la bureaucratie très « républicaine » au pouvoir, à la dislocation que nous vivons aujourd’hui. Nous nous exemptons de davantage de commentaire. Les lecteurs de JSF, en revanche, en particulier les professeurs, interviendront s’ils le jugent utile.
Notre chroniqueur, expert en langue et cultures françaises, a écouté en son entier le long discours d’Emmanuel Macron célébrant l’ouverture de la Cité Internationale de la Langue française à Villers-Cotterêts, où en 1539 François Ier imposa le français comme langue du droit français. Le moins que l’on puisse dire est que cet exercice un peu scolaire l’a laissé dubitatif — mais pas totalement hostile.
« Bien sûr, il faut revenir à Dumas, La Fontaine, Racine, Rabelais et les autres, tous les autres qui ont forgé l’unité de la culture française ».
Personne ne saurait m’accuser de servir la soupe au chef de l’État, moi qui dès 2017 ait appelé à voter contre lui. Mais je dois reconnaître que cet ex-apprenti-comédien se débrouille très bien dans ces exercices de parole en public, surtout dans le genre commémoratif. Peu après son entrée en fonction, au mois de juin, il avait réussi à Oradour un beau discours (écrit par Sylvain Fort, qui lui servait alors de nègre de luxe) que j’avais salué en son temps — réserves comprises.
La longue performance de lundi était de la même veine. Le chef de l’État n’a pas manqué d’utiliser la géographie très centrale de la ville de naissance d’Alexandre Dumas, au cœur du Valois, pour saluer par cercles successifs Racine, La Fontaine, Rabelais et Marot (auquel on doit l’infernale règle d’accord du participe conjugué avec avoir avec le COD antéposé), tous liés à la ville ou à François Ier, tous exemples remarquables de l’excellence de la langue française. Il y a rajouté Molière, qui a effectivement joué Tartuffe pour le roi en cette ville en 1664, puis l’abbé Grégoire, qui pendant la Révolution se battit avec persévérance pour imposer une langue nationale : c’est de lui que procède à distance l’article 2 de la Constitution, rajouté en 1992 : « La langue de la République est le français ».
Et pas le dialecte informe des banlieues.
Bonne copie
D’où les réflexions d’Emmanuel Macron sur cette langue française qui « bâtit l’unité de la nation » dont « elle est un ciment ». La France, a-t-il ajouté — et cela sentait un peu la bonne copie de première — est un « pays unifié par la langue » : c’est tout le sens de l’ordonnance de 1539. L’édit de François Ier tenait à la fois de la formalisation et de l’uniformisation, dans un royaume alors divisé en de multiples langues régionales, et en féodalités tout aussi diverses. Proclamer l’unité linguistique, c’était forger l’unité du royaume. Richelieu, en fondant un siècle plus tard l’Académie française, n’a pas d’autre projet : le français est la langue du roi, et la parler, c’est reconnaître la primauté royale.
Je ne sais quel enseignant de seconde zone a conseillé au jeune Emmanuel de s’appuyer sur un discours historique avant d’arriver à l’essentiel, mais nous avons eu droit au rappel de la fondation de la IIIème République et de l’école de Jules Ferry : « La première mission demandée à nos enseignants, après 1870, c’est la langue française ». On sentait venir le grand écart et le lien entre cette période glorieuse et revancharde de la France et la situation actuelle.
Ça n’a pas manqué. Mais Macron est ce qu’il est — et c’est sans doute pour ça qu’il a raté l’ENS et s’est contenté de l’ENA : après avoir exalté l’uniformisation de la langue, il s’est lancé dans une série de « en même temps » bâtie sur des oppositions un peu faciles. Le français, a-t-il expliqué, est une langue « ductile et rigoureuse, souple et ordonnée — les oxymores manquent pour décrire les contrastes de cette langue qui résiste à toutes les étiquettes ».
C’est qu’il fallait introduire les « génies pluriels » de cette langue française qui « nous rassemble dans notre unité et notre diversité ». Une langue « unie mais non pas excluante », « qui cohabite avec nos 72 langues régionales ». Tiens, il les a comptées…
C’était assez donner à la diversité. Le discours a basculé à nouveau, et le président a exhorté les Français à « garder les fondements, et à ne pas céder aux airs du temps ». Et de préciser — avoir l’air un peu grammairien, cela fait bon genre : « Dans cette langue le masculin fait le neutre, on n’a pas besoin d’y rajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre illisible ».
Bien sûr, c’est tout ce que les imbéciles bien-pensants ont retenu. « Emmanuel Macron s’est permis une critique sévère de la langue inclusive », s’indigne TF1. Et le sénateur socialiste Yan Chantrel de conclure : « C’est un texte inconstitutionnel, rétrograde et réactionnaire, qui s’inscrit dans un courant conservateur de longue date de lutte contre la visibilisation des femmes ». Il y a des gens qui ont voté pour un édile qui utilise des mots comme « visibilisation », et émet des stupidités de ce tonneau ? Cet homme a des collègues qui acceptent de lui serrer la main ? On n’éclate pas de rire à son passage ?
Lubies atterrantes
Soyons sérieux. L’écriture inclusive, qui ne peut pas s’articuler à l’oral (rappelez-vous Boileau : « Ce qui se conçoit, bien s’énonce clairement ») est une lubie de pseudo-grammairiens en quête de notoriété, et les universitaires ou les journalistes qui se plient à ces contraintes artificielles sont des imbéciles. Une femme est auteur, j’admets aussi autrice, mais en aucun cas elle est auteure : où avez-vous pris que le -e- muet était un signe de féminité ? Comme dans bite ou verge ? Où avez-vous pêché l’idée que la féminisation systématique faisait avancer la cause des femmes ? Vous appelez votre avocate « maîtresse », peut-être ? Mais nombre d’universitaires recrutées récemment exigent d’être appelées « maîtresses de conférence ». Et sous-maîtresse de bordel, ça vous chante ?
Quant aux nouveaux pronoms du genre « iel », ils n’existent que pour perdre un peu plus des enfants auxquels on renonce en même temps à apprendre l’orthographe et globalement la grammaire. Plutôt que de faire de jolis discours, Macron pourrait se soucier de révoquer les enseignants qui apprennent l’écriture inclusive à leurs élèves.
Il pourrait aussi se forcer à parler français, en privé. Il aurait pu protester, lorsqu’il lui fut donné de présider l’Union européenne, et refuser le coup d’État linguistique perpétré par Mme Ursula von der Leyen qui a fait de l’anglais la langue de travail unique de la Commission, de la Cour des Comptes et de la Cour de justice européennes. Évidemment, Bruxelles, c’est plus loin que Villers-Cotterêts.
Bien sûr, il faut revenir à Dumas, La Fontaine, Racine, Rabelais et les autres, tous les autres qui ont forgé l’unité de la culture française. Mais cela contrarie tant d’enseignants, persuadés qu’il faut « respecter » toutes les cultures, y compris celle du « Allah akbar ! » La proposition ces jours-ci de créer des cours de culture générale rencontre l’opposition des pédagos les plus convaincus, qui y voient « un concept, très clivant socialement mais très flou ».
Eh non, camarades, il n’y a qu’une culture en France, c’est celle de la bourgeoisie au pouvoir ! Et en refusant de l’apprendre à vos élèves, vous les condamnez au ghetto dans lequel ils sont nés, et où grâce à vous ils mourront. Mais évidemment, vos enfants, eux, sont préservés — et c’est bien l’essentiel, n’est-ce pas… ■
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).