L’actualité renvoie les observateurs, commentateurs, journalistes aussi bien que les politiques, vers cette conférence de presse du général De Gaulle restée fameuse. Il ne s’agit pas d’une analyse d’inspiration moralisante, à l’instar des réactions dominantes dans l’opinion d’aujourd’hui, mais bien plutôt géopolitique, qui s’appuie sur l’Histoire, de la plus lointaine, celle des temps bibliques, jusqu’à la période contemporaine, c’est à dire celle du XXe siècle et se fonde sur les réalités régionales, interrégionales et internationales du conflit. Depuis 1967 et la Guerre des Six Jours, les choses, dans leur fond, ont-elles changé ? Pour justifier ses prises de position sans renier son gaullisme, Eric Zemmour l’affirme, sans dire lesquelles. En tout cas, nous reprenons ici la transcription des questions -réponses sur Israël et les Arabes, échangées lors de cette conférence de presse. Qui est largement évoquée en la circonstance, qu’il s’agisse de marquer son accord ou son désaccord.
Conférence de presse à l’Elysée du 27 novembre 1967
Q – Mon Général, la guerre a éclaté au Moyen-Orient, il y a six mois. Elle s’est aussitôt terminée comme on sait. Que pensez-vous de l’évolution de la situation dans ce secteur depuis le mois de juin dernier ?
R – L’établissement entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque-là, l’établissement d’un foyer sioniste en Palestine et puis, après la Seconde Guerre mondiale, l’établissement d’un État d’Israël, soulevait à l’époque un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de Juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables frictions et conflits. Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles. « À l’an prochain à Jérusalem ! ».
Cependant, en dépit du flot tantôt montant, tantôt descendant, des malveillances qu’ils provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement, dans certains pays et à certaines époques, un capital considérable d’intérêt et même de sympathie s’était accumulé en leur faveur surtout, il faut bien le dire, dans la chrétienté ; un capital qui était issu de l’immense souvenir du Testament, nourri par toutes les sources d’une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur antique malheur et que poétisait, chez nous, la légende du Juif errant, accru par les abominables persécutions qu’ils avaient subies pendant la Seconde Guerre mondiale et grossi, depuis qu’ils avaient retrouvé une patrie, par leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est pourquoi, indépendamment des vastes concours en argent, en influence, en propagande, que les Israéliens recevaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satisfaction l’établissement de leur État sur le territoire que leur avaient reconnu les puissances tout en désirant qu’il parvienne, en usant d’un peu de modestie, à trouver avec ses voisins « un modus vivendi » pacifique.
Il faut dire que ces données psychologiques avaient quelque peu changé depuis 1956 ; à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez, on avait vu apparaître en effet un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté, pour l’agrandir, à utiliser toute occasion qui se présenterait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Vème République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet État et s’était appliqué, au contraire, à favoriser la détente dans le Moyen-Orient.
Bien sûr, nous conservions avec le gouvernement israélien des rapports cordiaux et même, nous lui fournissions pour sa défense éventuelle les armements qu’il demandait d’acheter, mais, en même temps, nous lui prodiguions des avis de modération, notamment à propos des litiges qui concernaient les eaux du Jourdain ou bien des escarmouches qui opposaient périodiquement les forces des deux camps. Enfin, nous nous refusions à donner officiellement notre aval à son installation dans un quartier de Jérusalem dont il s’était emparé, et nous maintenions notre ambassade à Tel-Aviv. D’autre part, une fois mis un terme à l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération, qui avait été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être, aujourd’hui, une des bases fondamentales de notre action extérieure.
Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’État d’Israël était un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût détruit. De sorte que, on pouvait imaginer qu’un jour viendrait où notre pays pourrait aider directement à ce qu’une paix réelle fût conclue et garantie en Orient, pourvu qu’aucun drame nouveau ne vînt le déchirer. Le conflit israélo-arabe Hélas ! le drame est venu. Il avait été préparé par une tension très grande et constante qui résultait du sort scandaleux des réfugiés en Jordanie, et aussi d’une menace de destruction prodiguée contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Akaba, fâcheusement créée par l’Egypte, allait offrir un prétexte à ceux qui rêvaient d’en découdre. Pour éviter les hostilités, la France avait, dès le 24 mai, proposé aux trois autres grandes puissances, d’interdire, conjointement avec elle, à chacune des deux parties d’entamer le combat. Le 2 juin, le gouvernement français avait officiellement déclaré, qu’éventuellement, il donnerait tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes, et c’est ce que j’avais répété, en toute clarté, à tous les États en cause ; c’est ce que j’avais moi-même, le 24 mai, déclaré à M. Eban, ministre des Affaires étrangères d’Israël, que je voyais à Paris.
« Si Israël est attaqué, lui dis-je alors en substance, nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative. Certes, malgré l’infériorité numérique de votre population, étant donné que vous êtes beaucoup mieux organisé, beaucoup plus rassemblé, beaucoup mieux armé que les Arabes, je ne doute pas que, le cas échéant, vous remportiez des succès militaires, mais, ensuite, vous vous trouveriez engagés sur le terrain, et, au point de vue international, dans des difficultés grandissantes, d’autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une tension déplorable et d’avoir des conséquences très malencontreuses pour beaucoup de pays, si bien que c’est à vous, devenus des conquérants, qu’on en imputerait peu à peu les inconvénients. »
On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppressions, répressions, expulsions et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme. Il est vrai que les deux belligérants observent, pour le moment, d’une manière plus ou moins précaire et irrégulière, le cessez-le-feu prescrit par les Nations Unies, mais il est évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut pas avoir de solution, sauf par la voie internationale. Mais un règlement dans cette voie, à moins que les Nations Unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte, un règlement doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des États en cause par tous les autres. Après quoi, par des décisions des Nations Unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Akaba et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international. Pour qu’un règlement puisse être mis en oeuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes puissances qui entraînerait ipso facto celui des Nations Unies, et si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance disposée à prêter sur place son concours politique, économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué. Mais on ne voit pas comment un accord quelconque pourrait naître, non point fictivement sur quelque formule creuse, mais effectivement pour une action commune tant que l’un des plus grands des Quatre ne se sera pas dégagé de la guerre odieuse qu’il mène ailleurs. Car tout se tient dans le monde d’aujourd’hui. Sans le drame du Viêt-Nam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait pas devenu ce qu’il est et si demain, l’Asie du Sud-Est voyait renaître la paix, le Moyen-Orient l’aurait bientôt recouvrée, à la faveur de la détente générale qui suivrait un pareil événement. ■
Vous pouvez retrouver cet exposé à la minute 26 de la vidéo.
C’est superbe d’intelligence, de pénétration et de clarté d’expression.
Le drame est que les partis minables de la 4ème République (la « Troisième force ») aient empêché le Général de revenir au pouvoir grâce aux élections législatives de 1951 (40% des voix pour le RPF aux municipales de 1947). En 1958, il avait sept ans de plus et la situation s’était envenimée à un point tel en Algérie qu’il n’y avait que de tristes solutions à mettre en oeuvre…
Je souscris aux propos de Pierre Builly : les propos de De Gaulle sont un modèle de clarté, d’élégance, d’intelligence. Ca nous change des politicards d’aujourd’hui.
Si seulement De Gaulle avait été Monck…
Oui, c’est un vrai discours de chef d’État, qui ne craint pas de dicter des limites à l’Etat d’Israël, trop « dominateur » à son goût, mais qui n’a plus aucun pouvoir sur le terrain, pour avoir du poids, il a bradé l’Algerie et le Sahara à des terroristes type Hamas, ou plutôt FLN, renforçant leur guerre sainte contre Israël. Mon mari a fait 4 années dans les prisons gaulliennes, pour avoir dénoncé la perte de notre puissance sur le théâtre d’opérations au Moyen-Orient. C’est nous qui avions et avons encore raison lorsqu’on voit le gâchis actuel, Israël s’enfonce sans convaincre de la justesse de sa vengeance, les Palestiniens sont en train de cuire et recuire leur haine meurtrière, pour 10 fois 7o ans.