Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois de novembre, l’annonce de la réédition de son roman Le Génie Rhin, troisième tome de la trilogie « Les bastions de l’est », publié en 1921, qui suit Au service de l’Allemagne (1907) et Colette Baudoche (1909).
Écrit après la terrible boucherie de 14-18, édité par le Revue des deux mondes à partir de leçons prodiguées au sein de l’Université de Strasbourg, par ce volume Maurice Barrès compose une ode à la réconciliation entre la France et l’Allemagne.
Le Rhin, fleuve qui traverse cette ville de Strasbourg qui a tour à tour appartenu à la France, puis après 1870 à l’Allemagne, et de nouveau à la France à partir de 1918, est le symbole de ce qu’il y a en partage entre ces deux puissances européennes qui ont eu la fâcheuse tendance à s’entredéchirer.
Vous êtes invités à cette occasion à découvrir ce très bel hommage qu’Henry de Montherlant consacra à Maurice Barrès (« Barrès commence son rôle d’outre-tombe », Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 8 décembre 1923) :
Il me racontait un jour : « À l’issue de l’enterrement d’Alphonse Daudet, un directeur de revue, le sieur F…, me tapant sur le bras, me dit : “Eh bien, Monsieur Barrès, c’est bon pour vous, cela !ˮ F… signifiait par ce compliment : un de moins qui vous barre la route. » Cette phrase nous obsède tandis que, bouleversé, nous montons vers Neuilly. À la Porte-Maillot, deux journaux « adversaires », que crie le même camelot, font germer des troisièmes éditions dans un petit mort de quatorze ans. Pilleurs de cadavres, ou simplement renifleurs de cadavres, on est sur le point de renoncer à paraître sur le seuil mortuaire, de peur d’être confondu avec l’un d’eux. L’indifférence sera plus décente qu’un sanglot.
On a pensé : « Je n’irai pas », et l’on a été, et l’on est retourné. On a pensé : « Je n’écrirai pas. Je n’écrirais que pour toucher ; alors on me ferait une louange, et cette louange me retomberait sur le cœur, somme si elle était usurpée à l’autre. » Et les voici, ces pages, écrites à la hâte en deux tours d’horloge, avec déjà pourtant des ratures, quelque attention pour définir, l’ébauche de ce puéril travail dont nous avons vu ce matin à quoi il mène : à ce lit, à cette mentonnière, à ce silence.
Un fleuve de découragement a roulé sur nous, tout le long de ce jour inondé et douceâtre. Ah, non ! ce n’est pas un « chant de confiance » qu’apporte le soir, c’est le courage de celui qui voit le néant, le nomme son frère, puis ferme les yeux et feint de l’ignorer, par horreur de se croiser les bras. Mourir est un geste éternel. Mais c’est également un geste éternel que, hors de la mort, appeler la vie.
Ni décoration, ni habit d’académicien, ni drapeau, ni soldats. Le noble dénuement de la puissance qui se sait. On ne se rassasie pas de ce visage. La mort l’a rafraîchi, a lissé les mille petites rides qui lui faisaient cet admirable masque de brûlure et d’usure, quand le plein jour vous l’éclairait de face dans l’avenue. Son sourire, très distinct ce soir, eut nettement, dans la vie, indiqué la raillerie. Il n’indique rien, ici, qu’une opération physiologique : littérateurs, pas un couplet là-dessus ! Allons, délivrons-nous de la nature. Laissons faire ce grand mouvement des profondeurs, toute la bête et toute l’âme ramassées dans une minute de désespoir enfantin. C’est fini. Ce corps étendu n’est plus immobile comme une limite mais comme une borne, terminant, certes, mais pleine de ce qu’elle commence. L’œuvre apparaît derrière, distincte et close, vêtue soudain d’une autorité qu’aucun prestige terrestre ne lui eût donnée, dotée soudain d’un pouvoir extraordinaire, bruissante de secrets et d’oracles. Tout s’arrête ? Oui, et tout continue. Un second Barrès, chef-d’œuvre de la volonté et de l’industrie humaines, se détache de son créateur et s’engage dans une aventure immortelle. Et ce cadavre qui nous déséquilibre, si fin et net dans son frac rigide, n’est qu’une étroite petite structure diaphane en regard du Barrés de l’histoire qui on une seconde, d’une aile terrible, a rejoint ses pairs derrière les siècles, s’est fixé dans le même recul qu’eux est devenu un morceau du passé national, lui qui, il y a dix heures encore, était un homme qui avait mal dans le bras gauche, qui se courbait en deux, qui demandait une boule, et que le bonheur de son chien ne sauva pas.
Allons-nous dire toutes les leçons, les innombrables leçons de ce second Barrés ? Non, deux seulement, celles qui nous pressent le plus, celles qui nous semblent le plus aptes à servir. Et à grands traits. Et vite. Vite parce qu’il faut remettre ces pages à telle heure. Vite parce que nous devons tous faire vite, parce qu’elles sont couvertes elles aussi de menaces, ces générations « d’impatients », et qui seraient fous s’ils ne l’étaient pas. Vite parce qu’une amertume décidément toute-puissante, qu’un instant j’avais cru maîtrisée, recommence de monter, de m’étourdir, de me dérober à moi-même, à mesure que je l’écris, le bénéfice de ce que j’écris, et qu’un gonflement me soulève pour quitter cette table ruinée d’ombres, pour aller prendre une proie qui est peu de chose mais qui ne trompe pas : peut-être la violence rapide du corps condamné dans l’air éternel, peut-être la chair profonde où l’on se guérit de la tombe en la trouvant. Ces deux leçons sortent du génie propre de Barrés, qui fut un génie do conciliation. Il chercha à sauvegarder la libre-pensée à l’intérieur du déisme, tous les mouvements romantiques à l’intérieur d’une discipline ; il fut lyrique et cependant d’une lucidité adorable ; la corde résonnante sur laquelle joue l’invisible, et cependant jamais ne fut dupe et jamais ne put sentir ceux qui l’étaient (je ne saurais dire combien ceci lui fait une place à part et le rend admirable à mes yeux.) Ayant voulu la conciliation en lui-même, il la voulut ensuite entre une grande personne morale et lui. C’est sa première leçon, celle de ce « fameux individualiste » qui sent la nécessité de s’accrocher à quelque chose qui le dépasse et qui demeure. Pour cette alliance, il faut sacrifier certaines parties de soi, gagner en profondeur ce que l’on perd en étendue, céder, céder sans cesse sur le secondaire, pour se garder fort sur le principal, voir les individus en fonction des groupes qu’ils composent : ces êtres qu’un à un l’on dédaigne, ou même l’on méprise, ensemble c’est la France et vous êtes tout à elle. Ainsi se trouvent contentés les deux besoins, en apparence antinomiques, qu’a forcement tout grand esprit : dédaigner (c’est naturel, puisqu’il, est grand) et se dévouer (c’est se déborder, et quelle grandeur n’a du trop-plein ?)
Dédaigner, se dévouer ; déplacez un peu l’un des deux termes et vous trouvez la petite, formule qui, dans son œuvre immense, me semble renfermer en soi seule sa philosophie, et. qui est sa seconde leçon: « tout mépriser, tout désirer ». Ce que mes ennemis ont appelé son « attitude », c’est cette feinte supérieure par laquelle un homme qui a été au fond de l’inanité totale, et se sait sa prise, décide d’agir c’est-à-dire. en fin de compte, de s’agiter comme si tout avait une importance. il choisit de prendre les choses au sérieux, et c’est par générosité, désir de communier, mais c’est aussi parce que sans cela les journées seraient bien longues. De la sorte, une seconde fois, et quand cette fois son pourquoi même est en jeu, Barrés concilie ce que d’abord on pense incompatible : les « certitudes » de l’insensé, qui lui fournissent des prétextes de vivre, et le détachement du sage, qui regarde ses propres efforts avec l’œil de l’Ecclésiaste. Il n’est pas dans le dessein de ces pages de rechercher comment, à force de revêtir des « certitudes », elles finissent bien un jour par vous imposer les passions, ni ce qu’il faut parfois de courage pour élever un château de sable, quand on ne cesse pas un instant de savoir ce que la marée en fera. Greffer Albert de Mun sur Anatole France, et les fondre dans son unité lyrique, c’est un exemple dont s’inspireront toujours les jeunes gens que tiraillent dans le même temps ces deux forces : un sang qui demande l’action, un esprit qui demande à rester libre.
Dernière leçon (dix minutes pour la dire). La grandeur. En septembre. 1917, soldat, écrivant à Barrès, que je ne connaissais pas, je lui parlais de quelqu’un qui « avait eu les larmes aux yeux en se représentant seulement sa mort ») à lui, Barrès. La voici, cette mort, et, fidèles au rendez-vous, les voici, ces irrésistibles larmes, refoulées, séchées, revenues, revenant, encore, tout ridicule, toute pudeur bus. Et sur quoi ? Sur la grandeur.. Comme sur la mort de Don Quichotte, quand j’avais dix ans. Comme sur Longwood, quand j’en avais quinze. Comme sur le’ cercueil de César, transporté au-dessus de la foule, dans un film de cinéma, quand j’en avais vingt, casqué, tueur d’hommes. Ah ! c’est tout de même une récompense, ces larmes d’un inconnu, sœurs, oui vraiment, sœurs de celles de l’homme pour l’homme dans la guerre, tellement pures, tellement gratuites, si insultantes pour les pleurnicheries des amants, larmes mystérieuses, venues on ne sait d’où, mais de ce qu’il y a de plus haut dans l’être, pour sur, de toute l’âme et toute l’intelligence ensemble. Car je n’ai pas été l’ami de Barrès, je ne crois pas lui avoir parlé sérieusement dix fois dans ma vie, et c’est cela qui fait tout le poids. Femmes, le comprenez-vous, que l’âme les peut, ces larmes que le cœur ne peut pas ? Celles-ci font un lien comme le sang. Voici née la paternité spirituelle, fondée par ces larmes pleurées sur un étranger comme sur mon père, parce que cet étranger était grand. Tout ce qui est grand est mon père. Inutilement.
Henry de MONTHERLANT
Nombre de pages : 152.
Prix (frais de port inclus) : 21 €.
Commander ou se renseigner à l’adresse ci-après : B2M – Belle-de-Mai Éditions : commande.b2m_edition@laposte.net ■
Je voulais acheter vos éditions de Barrès… Impossible!
Trouvez une solution pour accéder à votre site de vente.
C’est frustrant.
Benoît Gousseau (co-fondateur et ancien rédacteur en chef de Politique magazine)
@Benoît Gousseau
Merci de votre message.
B2M – Belle de mai éditions – à notre connaissance, est justement en train d’achever son site de présentation et de vente de ses éditions.
Il devrait être mis en ligne prochainement. Nous vous en tiendrons informé.
Très cordialement.