Avec Pierre Berthelot, Roland Lombardi et Tamar Sebok – Atlantico, entretien.
Alors que les troupes israéliennes ont commencé l’opération terrestre,Tsahal répète qu’elle veut expulser le Hamas de Gaza.
Ce long et intéressant dialogue est paru le 3 novembre sur Atlantico. Il vaut à la fois pour la somme d’informations qu’il nous apporte et aussi pour la diversité, parfois les divergences des points de vue des intervenants. (Voir liens ci-dessous). Nous les livrons tels quels aux lecteurs de JSF pour servir à la compréhension de la situation actuelle dans cet Orient toujours compliqué à quoi se superposent les implications et tensions internationales et, si l’on peut encore le dire ainsi, la rivalité des puissances.
« Israël était depuis de long mois extrêmement vulnérable politiquement. Certains experts évoquaient même une nouvelle menace existentielle pour l’État hébreu : une guerre civile ! » Roland Lombardi.
Atlantico : Alors que les troupes israéliennes ont commencé l’opération terrestre, Tsahal répète qu’elle veut expulser le Hamas de Gaza. Comment expulser une idéologie ?
Pierre Berthelot : Ça va être très difficile parce que cette idéologie se nourrit d’une forme de désespoir palestinien. Nous savons que l’irruption de l’islamisme politique palestinien est assez tardif dans l’histoire de la lutte palestinienne qui a commencé en 47 et même avant, à l’époque du foyer national juif de la Palestine mandataire. L’islam politique, naît avec le Hamas dans les années 80. C’est quelque chose de tardif de même que la radicalisation du Hamas. Tant que le désespoir politique mais aussi humanitaire et économique existera au sein des Palestiniens, cette idéologie n’a pas de raison de disparaître. Toute l’attention est focalisée sur le Hamas depuis son attaque sur Israël il y a un mois. On en oublie qu’il y a un autre mouvement islamiste qui s’appelle le Djihad Islamique Palestinien, totalement lié à l’Iran. Le Hamas est quant à lui proche de la mouvance des Frères Musulmans. Il coopère avec l’Iran de façon tactique, mais sa référence première n’est pas en Iran contrairement au Djihad Islamique.
Il se peut que le plan israélien soit de faire disparaître le Hamas. Mais quid du djihad islamique ? Ont-ils aussi prévu de le faire disparaître ? A supposer que ces deux mouvements disparaissent, rien n’exclut qu’un autre mouvement, porteur d’une idéologie similaire, puisse apparaître sur leurs décombres. Il est convenu que l’islamisme ou l’islam politique ne sont pas monolithiques au Moyen-Orient. Tant qu’il n’y aura pas une offre politique crédible, le Hamas et son idéologie n’ont pas de raison de disparaître.
Tamar Sebok : Je crois que le gouvernement israélien n’a jamais dit qu’il allait expulser le Hamas, mais plutôt sa partie militaire. Eradiquer l’idéologie, ce n’est pas sûr que cela est un but réaliste. Le gouvernement israélien et l’armée pensent qu’à la fin de cette opération, le bras armé du Hamas ne sera plus opérationnel. Il s’agit de neutraliser les chefs militaires et, évidemment, les chefs politiques actuels
Roland Lombardi : Dans ce nouvel affrontement avec le Hamas, l’État hébreu est confronté à une guerre asymétrique (guerre du faible – dont le terrorisme est souvent la principale arme – au fort) contre un mouvement islamiste issu de l’idéologie extrémiste des Frères musulmans, et sa branche armée, les Brigades Ezzedine al-Qassam, groupe terroriste sanguinaire responsable des massacres contre les civils israéliens notamment le 7 octobre dernier. Au-delà de sa dimension religieuse, le Hamas est aujourd’hui, à tort ou à raison, le représentant majeur du nationalisme palestinien et aux yeux de beaucoup, le principal et le véritable défenseur de la cause palestinienne.
Même si les Israéliens sont des experts de la guerre asymétrique, on le voit depuis près d’un mois, toutes leurs stratégies se sont avérées au final des échecs.
Et bien que certains « experts » nous répètent à l’envi que le « faible » gagne toujours contre le « fort » dans une guerre asymétrique, c’est faux ! Les exemples les plus cités sont les défaites américaines au Vietnam et en Afghanistan. Or, on oublie trop souvent par exemple que la Russie est l’un des rares pays à avoir « remporté » une guerre de ce type (Tchétchénie dans les années 2000 et récemment en Syrie), comme la France en Algérie dans les années 1960 (victoire militaire mais défaite politique) et l’État algérien dans les années 1990.
Pour comprendre cela, il faut relire le grand et célèbre théoricien français de la contre-insurrection, David Galula !
Ainsi, il faut bien comprendre que dans ce genre de conflit, au-delà de la force brute nécessaire, il faut aussi pour le « fort », faire preuve de ruse mais surtout d’intelligence.
D’abord, une « idée » ne se combat pas seulement avec un revolver ou un F16 ! Une idée se combat avec une autre « idée », soit une alternative politique sérieuse et crédible à la « cause » défendue par le « faible ». C’est d’ailleurs le problème essentiel des Occidentaux face à l’islamisme : ils n’ont plus de modèle et rien de beau et d’attrayant à proposer comme alternative. Ici en l’occurrence dans le conflit israélo-palestinien, les Israéliens devront à terme se résoudre à la paix avec le concept des « deux États ». Il n’y a pas d’autre issue. Ensuite, comme la réussite du « faible » dépend fortement de sa capacité à se mouvoir comme « des poissons dans l’eau » (Mao) parmi la population, il suffit au « fort » de « vider le bocal » et « gagner les cœurs et les esprits » (objectif initialement dévolu du « faible »). Pour les Israéliens, c’est loin d’être gagné ! Surtout qu’à notre époque, il faut impérativement gagner la « guerre des images ». Là encore on le voit, Israël est en train aussi de perdre cette bataille…
Enfin, rappelons que Napoléon disait que pour gagner une guerre il fallait trois choses : de l’or, de l’or et de l’or ! C’est souvent le cas dans un affrontement conventionnel mais également vrai dans une guerre révolutionnaire ou de libération, même si c’est un peu plus compliqué… Car même pour une guerre idéologique, le nerf de la guerre reste l’argent ! Dans les années 1990, tous les mouvements terroristes de gauche très actifs de l’époque étaient financés par l’URSS. Et bien le groupe Carlos ou la bande à Baader ont finalement disparu avec l’Etat phare du communisme. Pour l’islam politique et le terrorisme islamiste, qui en découle directement, c’est la même chose. Par exemple, en Syrie, lorsque les Russes ont pilonné massivement les voies d’approvisionnement et de trafics (argent, drogues et pétrole) de Daesh à la frontière turque (ce que les Américains se refusaient à faire puisque les chauffeurs de camions citernes étaient des civils turcs !), le sort de l’État islamique était alors scellé en 48h ! De même, suite aux « printemps arabes » et ayant senti le vent du boulet, le président égyptien Sissi et surtout le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, au-delà d’une répression féroce à l’encontre des Frères musulmans et des terroristes de la région, de leurs profondes réformes économiques, scolaires, sociétales voire religieuses (afin de changer les mentalités), ont décidé de s’attaquer au portefeuille de tous ces groupes dangereux. Mieux, le jeune homme fort d’Arabie saoudite a mis fin au financement mondial du salafisme et surtout, grâce à ses purges impitoyables dans son royaume, a éliminé certains princes ou hommes d’affaires saoudiens qui jouaient leur propre partition dans ce domaine au Moyen-Orient…
Pour revenir sur le conflit israélo-palestinien, rappelons que la stratégie de Netanyahou et d’autres responsables israéliens, ainsi qu’une partie des chefs militaires, fut depuis des années, de délibérément choisir de renforcer le Hamas au détriment de l’Autorité palestinienne afin d’accroître la division entre les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Ne perdons pas de vue qu’au début des années 2000, ce sont l’État hébreu et Washington qui ont favorisé la montée en puissance du Hamas, ce qui lui a permis d’ailleurs de remporter les élections de 2006 à Gaza…
De plus, Netanyahou et son gouvernement avaient depuis la conviction que le Hamas était désormais dissuadé de lancer une opération d’ampleur en raison de la riposte de Tsahal en 2021, et qu’il était en train d’évoluer, de se « normaliser » et devenir un interlocuteur politique comme un autre, comme en son temps l’OLP de Yasser Arafat. N’oublions pas également que le Hamas avait transmis aux Israéliens (et aux Égyptiens) des renseignements sur Daesh dans le Sinaï et surtout, le Jihad islamique – autre mouvement terroriste basé à Gaza – pour les aider à l’éliminer, car considéré comme un gêneur et un concurrent par le Hamas. Ainsi, les chefs de ce dernier sont parvenus à « endormir » les Israéliens leur faisant croire à un changement de stratégie.
Les Israéliens croyaient donc contrôler le Hamas et ont même autorisé le Qatar à lui verser des centaines de millions de dollars sensés servir au développement de Gaza et non à la lutte armée…
Rappelons également, comme je l’expliquais dernièrement dans vos colonnes, que l’une des principales raisons de cette nouvelle attaque du Hamas sur Israël, c’est principalement l’argent et le financement de l’organisation terroriste, qui permet toujours d’alimenter ses guerres. Ce dernier reçoit d’abord, on l’a dit, ses aides du Qatar, de la Turquie d’Erdogan mais aussi de l’Iran, puis des nombreuses aides humanitaires et budgétaires de l’Occident (surtout européennes et américaines) qui sont, tout le monde le sait, massivement détournées au profit de l’organisation islamiste pour ses armes mais aussi pour ses chefs qui coulent des jours heureux dans des palaces à Doha !
C’est donc également la lourde responsabilité et l’une des inconséquences, une nouvelle fois, de l’administration Biden dans ce nouveau conflit (mais également dans d’autres dans le monde !) : avoir fait de l’idéologie et de l’anti-trumpisme primaire, en rouvrant les vannes de ces aides sans contrôle ni garantie. À l’inverse justement de Trump qui lui les avait totalement coupées, ayant compris la vraie source de ces guerres, car sans argent pas de guerre !
Enfin, il faut aussi rappeler les efforts de Joe Biden pour réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien et la levée discrète de certaines sanctions visant certains responsables iraniens. Ils n’ont été, au vu des piètres résultats obtenus, qu’une série de concessions unilatérales, stériles et humiliantes au profit l’Iran, le plus grand soutien du Hamas. De toute évidence, celles-ci n’ont redonné, au final et indirectement, qu’un second souffle au Hamas et ses dirigeants….
Bref, ce sont malheureusement les civils gazaouis et israéliens qui paient tragiquement aujourd’hui le prix de cette accumulation de stratégies d’apprenti-sorcier…
Qui va prendre le contrôle de Gaza une fois l’opération militaire terminée ? Les israéliens veulent-ils s’en emparer ? Ont-ils un plan pour l’avenir ?
Pierre Berthelot : Je ne pense pas qu’il y ait un plan sérieux. Israël réagit dans l’urgence, en « vengeant » les victimes qui sont mortes, et en assurant, à court terme, sa sécurité qui continue à être menacée. Un plan se construit sur des années. Il faut qu’il soit crédible avec un large consensus au sein de la société israélienne. Pour l’instant, c’est loin d’être le cas.
Cette difficulté à faire consensus, c’est justement la problématique en Israël car c’est un pays où il est obligatoire de conclure des alliances. Un parti, même puissant, n’arrive pas à gouverner seul. C’est d’ailleurs, le problème de Netanyahu qui a dû faire une alliance avec des mouvements extrémistes et aujourd’hui, il en paye les conséquences. Je pense que c’est aux élites israéliennes d’agir en « homme d’État“ et de convaincre leur peuple qu’il faut chercher une solution. C’est ce qu’avait proposé Yitzhak Rabin il y a une trentaine d’années : aller progressivement vers une autonomie renforcée ou un État palestinien. Il s’agissait de proposer quelque chose de crédible. Pas de continuer la colonisation, ce qui a fait échouer le processus d’Oslo.
Tamar Sebok :Le gouvernement israélien y réfléchitdepuis longtemps parce que ce n’est pas la première fois qu’il y a un conflit militairedecet ampleur. Mais c’est la première fois qu’il se présente sous cette forme absolument barbare. Les avis divergent sur le plan à suivre. Les extrémistes aimeraient y rester. L’armée et la frange modérée de la politique israélienne, qui dominent la situation,souhaiteraient plutôt finir l’opération,qui va durer plusieurs mois, et garder un sas avec Gaza et faire des incursions ponctuelles. Cela implique donc un certain contrôle. Par ailleurs, l’avis des Américains sur le parti au pouvoir n’est pas moins déterminant que celui des Israéliens. Qui veulent-ils au pouvoir ? Dans l’idéal, il faudrait le Fatah. Cependant, Mahmoud Abbas n’est pas assez puissant pour le moment.
Les dernier sondage,effectué par un institut palestinien, enmars 2023 dans l’ensemble des territoires palestiniens, montre que 69% d’entreeux aimeraient avoir une élection et 80% voudraientvoir Mahmoud Abbas démissionner.63% considèrent que l’autorité palestinienne est « un fardeau porté par le peuple palestinien » et 52% aimeraient la voir démantelée. 68% soutiennent l’existence des factions arméeextrémistes et indépendantes.
34% projetaient voter pour le Hamas et 33% pour le Fatah.
La question reste donc ouverte.
Roland Lombardi : Certains le disent. Mais en fait personne ne le sait ! Selon certaines sources, Israël aurait proposé à l’Égypte l’annulation d’une part de sa dette par l’intermédiaire de la Banque mondiale pour l’inciter à accepter sur son sol la population palestinienne de Gaza. Plus 200 milliards de dollars auraient été également proposés au Caire pour cette idée qui avait été déjà pensée secrètement dans les années 2014-2015… En tout cas, Sissi refuse toujours catégoriquement cette solution. Peut-être que pour l’instant, il ne fait que faire monter les enchères, qui sait ? Il est vrai qu’avec ce plan, l’État hébreu pourrait ainsi exploiter tranquillement les gisements gaziers récemment découverts au large de Gaza…
Pour ma part, je pense plutôt que pour le moment l’objectif principal des Israéliens est de récupérer les 220 otages retenus à Gaza et bien sûr l’éradication totale du Hamas et non une réoccupation de la zone. Et c’est un véritable dilemme. Comme le général Pinatel, je crois plutôt que devant le contexte régional et surtout, la pression intérieure en Israël pour prioriser la libération des otages et pour limiter les pertes des soldats de Tsahal, la solution retenue par Israël « ne peut être qu’une opération terrestre limitée dans des zones où les civils ont été majoritairement évacués dans un but essentiellement de communication intérieure et d’appui aux commandos infiltrés. Et l’effort, à mon avis, sera porté dans une longue guerre de l’ombre qui durera jusqu’à ce que tous les chefs du Hamas et la majorité des islamistes qui ont pénétré en Israël et accompli ces massacres barbares soient éliminés ».
L’autorité palestinienne, chassée du pouvoir par le Hamas, peut-elle revenir dans la partie ? Avec un nouveau leader ? On parle beaucoup de Muhammad Dahlan, un ancien chef de Gaza installé au Qatar…
Pierre Berthelot : Je ne crois pas tellement à l’autorité palestinienne, que ce soit sous sa forme actuelle ou arrangée. Muhammad Dalan connaît bien Gaza puisqu’il a été le chef de la sécurité de Gaza jusqu’à ce que le Hamas prenne le contrôle de la zone. Il a des qualités et des relais, mais il ne fait pas consensus à Gaza. Il est très minoritaire. Donc, il faut trouver autre chose.
En définitive, la solution sera une solution de synthèse incarnée potentiellement par quelqu’un ou par une idéologie qui serait celle de Marwan Barghouti. Actuellement, c’est le plus célèbre prisonnier politique palestinien. Les Israéliens le considèrent comme un terroriste, mais c’est ce genre de personnage qu’il faut aller chercher parce qu’il incarne la synthèse. Il est issu du FATAH et de l’OLP, donc il peut établir le lien. Il est laïque, donc il n’a pas un projet islamiste pour la société palestinienne. C’est une caractéristique qui doit réjouir les personnes qui partagent cette idée du nationalisme laïque. De surcroît, il a deux atouts qui peuvent séduire énormément la base d’électeurs votant pour l’islamisme (le Hamas et le Djihad Islamique), qui lui confèrent une double légitimité, voire une triple légitimité. Il a d’abord une légitimité de combattant, puisqu’il avait été arrêté par Israël il y a 20 ans pour avoir été un des responsables des réseaux combattants lors de la deuxième Intifada. Même s’il dit qu’il n’a pas fait d’acte de terrorisme, il a ce passé de combattant qui, forcément, le légitime. Marwan Barghouti est en prison depuis 20 ans, il n’est pas dans un exil doré. Il partage les souffrances des prisonniers palestiniens, y compris ceux du Hamas. Enfin, Marwan Barghouti n’est pas corrompu même s’il a été élu député palestinien en prison. Il n’a été associé à aucune gestion dans aucun territoire. Cette triple légitimité lui permettrait ainsi d’être à la tête d’une solution de transition dans le cadre d’un nouveau parti qui émergerait et qui serait la synthèse entre les deux.
Je pense que l’OLP, le FATAH, sont déconsidérés par Gaza. Ils voient en eux des collaborateurs. Et le Hamas, n’est pas la solution. Mais n’oublions pas de rappeler que le Hamas, d’après des enquêtes à prendre au sérieux, que vous aviez rappelées sur votre site, créditaient le Hamas de 29 % d’opinion favorable à la veille du 7 octobre. Même en ajoutant les islamistes du Djihad Islamique qui sont davantage minoritaires, environ 10 %, cela donne aux islamistes une base électorale, certes solide, mais pas hégémonique. Entre cette base islamiste et la minorité qui reste fidèle pour des raisons historiques, familiales ou claniques à l’OLP, qui est très minoritaire, un espace politique demeure. D’ailleurs, les tentatives palestiniennes de créer une troisième voie ont jusque-là échoué parce qu’elles ont été un peu battues en brèche, par les deux camps. Mais je pense que c’est une solution possible.
Tamar Sebok : De manière générale, les habitants de Gaza ne sont pas très contents de dirigeants qui sont installés, en sécurité et dans l’opulence, au Qatar et qui les envoient, disons « à l’abattoir ». Muhammad Dahlan n’est sans doute pas la bonne personne. Il a été écarté par Mahmoud Abbas, et accusé de corruption. Qui sera le successeur de Mahmoud Abbas ? Marwan Barghouti a été considéré pendant très longtemps comme assez modéré et il est le candidat préféré des palestiniens (61%) mais il se trouve dans une prison israélienne avec de nombreuses condamnations pour meurtre. C’est quelqu’un qui est intelligent, qui connaît aussi bien la structure de la politique israélienne que le palestinien. Il a passé beaucoup d’années en prison, parle hébreu et n’est pas un extrémiste religieux. Cependant, il ne sera jamais accepté par les autorités israéliennes. Il a fait l’objet de tractationspour sa libération pendant des années, mais Israël n’a jamais voulu le relâcher parce qu’il a « du sang sur les mains » selon l’expression israélien. Et c’est justement le problème : personne n’a émergé politiquement. Dans la bande de Gaza la question ne se pose pas car le régime du Hamas est une dictature. Dans les territoires il s’agite d’un régime autoritaire. Mahmoud Abbas a désigné Hussein Al-Sheikh comme son successeur, en le nommant en mai 2022 secrétaire général de la commission exécutive du Fatah (OLP). Il entretient d’excellents rapports avec l’administration israélienne et lui aussi est soupçonné de corruption, donc il n’pas pas populaire aux yeux des Palestiniens. Autres candidats pour remplacer Mahmoud Abbas sont Maged Farg, chef du service de renseignements et Mahmoud Aloul, le bras droit du président. Une lutte entre les trois pourrait être sanglant car chacun a une faction armée, prête à se ranger derrière lui.
Il n’y a pas eu d’élections ni dans les territoires ni dans la bande des Gaza depuis 2006. Nous ne pouvons donc pas vraiment savoir qui est populaire du point de vue démocratique ou accepté chez les Palestiniens.
Roland Lombardi : La question de l’avenir de la bande de Gaza reste posée comme bien évidemment les relations entre l’État hébreu et l’Autorité palestinienne, complétement discréditée chez les Palestiniens. Et c’est là que ressurgit le nom de l’homme que vous évoquez, Muhammad Dahlan. L’ancien responsable de la Sécurité de l’Autorité Palestinienne, âgé de 62 ans et exilé à Abu Dhabi depuis 2013, charismatique et considéré à juste titre comme un dur, fut longtemps, notamment lors du « Big deal » de Trump, l’homme idoine pour ce plan. En effet, ce dernier, soutenu par les Israéliens, les Émiratis, les Égyptiens et l’administration Trump, aurait été alors chargé d’éliminer le Hamas et d’évincer Abbas pour prendre la tête de l’État palestinien en gestation si ces derniers s’entêtaient à ne pas signer la paix avec Jérusalem. Reste à savoir si ce plan peut être sérieusement réactivé dans le contexte d’aujourd’hui…
Le premier ministre, Benjamin Netanyahou, s’est engagé à changer le Moyen-Orient. Qu’est-ce que cela veut dire géopolitiquement parlant ?
Pierre Berthelot : Ce n’est pas clair. Qu’entend-t-il par là ? S’il pense qu’il va éradiquer les ennemis d’Israël, à mon avis, il se fourvoie parce qu’ils sont nombreux et soudés. Il faudrait qu’il y ait de toute façon un vaste soutien international. Est-ce que les Américains sont prêts à s’engager, à combattre tous ceux qui menacent Israël, de près ou de loin, l’Iran, le Yémen, l’Hezbollah ? D’autant plus, avec la guerre en Ukraine, et leur préoccupation majeure qui est la Chine. Voilà la politique extérieure américaine, sans parler de l’opinion publique américaine. Concernant d’autres pays potentiellement alliés qui ont manifesté un soutien, il y a la France. Du reste, je ne suis pas convaincu qu’il y ait beaucoup de pays qui soient prêts à engager des forces pour soutenir Israël dans cette tâche qui serait titanesque, si l’objectif de ce nouveau Moyen-Orient, est d’éradiquer tous les ennemis d’Israël. En revanche, la situation est différente s’il s’agit d’un nouveau Moyen-Orient fondé sur de nouveaux paramètres, comme certains le souhaitent. Cela consisterait à trouver une solution avec l’Iran, qui est quelque peu le Deus ex-machina de tout ce qui se passe. Effectivement, l’Iran recherche désespérément et avant tout des garanties de sécurité qu’elle n’a pas depuis plus de 40 ans. Alors pourquoi pas, les lui apporter si cela est possible, à travers un consensus mondial ?
Si le Nouveau Moyen-Orient intégrait Israël à la région comme le prévoyaient les accords d’Abraham sur le principe, il faudrait faire un geste vers les Palestiniens. Et actuellement, Netanyahu ne semble pas du tout prêt à le faire. Mais sur le principe ce n’est pas impossible, puisque dans le passé les nationalistes israéliens, le Likoud, pas l’extrême droite, ont été capables de faire preuve de réalisme. Il y’a eu Menahem Begin avec l’Égypte, lors des accords de Camp David, même si c’était sous pression américaine. Yitzhak Shamir, du même camp, a accepté à contre-cœur la conférence de Madrid et d’ouvrir le dialogue avec les pays arabes. Et enfin, Ariel Sharon s’est retirée de Gaza. Donc à chaque fois, le Likoud a prouvé sa capacité à faire preuve de réalisme politique. Contrairement à Benjamin Netanyahu qui actuellement, va paradoxalement à l’encontre de la tradition de sa famille politique : tenir un discours de force musclée en étant capable de frapper s’il le faut, tout en restant dans une forme de réalisme politique. Finalement, je ne vois pas de quoi parle clairement Netanyahu. Il devrait préciser sa pensée.
Tamar Sebok : Cela implique sa vision comme Premier ministre d’Israël : son plan pour survivre à ses procès ainsi que son avenir comme chef du gouvernement dans la continuation de ce qu’il considère avoir construit auparavant, les accords d’Abraham.
Netanyahou veut évacuer le problème du Hamas de l’échiquier. Ainsi, tout le monde – Arabie Saoudite, Qatar etc – pourrait se réunir à nouveau. Ce qui n’est pas complètement fou parce que ce ne sont pas les Palestiniens qui empêchent les leaders du monde arabe de se réunir en Israël sur un plan économique, politique et anti-iranien. C’est plutôt la rue arabe. L’idée de Netanyahu d’enlever le Hamas de l’équation, affaiblissant à fortiori le Hezbollah et donc l’Iran, ouvrirait de nouveau la porte à cette union du Proche-Orient. Après cette attaque du 7/10 et la guerre actuelle, je ne crois pas que les choses redeviendront exactement pareilles, même si les Saoudiens disent « La porte n’est pas fermée ». L’idée d’éliminer les organisations terroristes peut sembler réaliste du point de vue israélienne mais elle est difficilement acceptable par les Palestiniens.Les déclarations du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui agit selon les intérêts de l’Iran ce vendredi, peuvent aussi changer la don, s’il entraîne le Liban dans cette guerre, malgré lui.
La population israélienne n’est pas satisfaite de la gestion de la sécurité par son gouvernement. C’est un facteur politique qui aura du poids après la fin des opérations militaires. Qui des modérés ou de l’extrême droite l’emportera ?
L’autre facteur est l’ensemble des conditions posées par les États-Unis, l’Europe, l’Arabie saoudite et le Qatar pour reconstruire Gaza. Car rien n’est donné sans rien. L’Égypte freine de quatre fers l’entrée des gazaouites dans leur territoire car ils ne contrôlent presque plus le désert de Sinaï. Daesh yest présent (sauf
Roland Lombardi : Tout d’abord, il convient de rappeler qu’Israël était depuis de long mois extrêmement vulnérable politiquement. Certains experts évoquaient même une nouvelle menace existentielle pour l’État hébreu : une guerre civile ! Et effectivement, la situation politique interne, la crise institutionnelle voire identitaire en Israël étaient sans précédent dans l’histoire du pays avec des tensions toujours plus grandes, des manifestations monstres contre le pouvoir de Netanyahou et des affrontements entre les partisans du Premier ministre et ses opposants qui vont de l’extrême gauche au centre droit. Les heurts violents par exemple sur la place Dizengoff à Tel Aviv entre religieux et laïcs en ont été l’exemple le plus frappant.
Ainsi, le Hamas a profité de cette fragilité et de cette situation politique instable dues en autres à la réforme de la justice et pire la grève des réservistes (près de 10 000 réservistes refusaient de servir l’État juste avant le début de la nouvelle guerre d’avant hier). Les renseignements israéliens et les officiers de Tsahal s’en étaient d’ailleurs inquiétés… Pour l’organisation terroriste palestinienne (qui a sûrement eu le feu vert d’une puissance comme l’Iran) l’objectif principal était avant tout de nuire voire de réduire à néant la normalisation et la paix entre Israël et certains pays sunnites (Accords d’Abraham) et principalement le rapprochement en cours entre l’État hébreu et l’Arabie saoudite de MBS (et c’est justement le même objectif de Téhéran, malgré sa récente « réconciliation » avec Riyad, sous l’égide de la Chine).
Cette nouvelle guerre avec Israël a bien évidemment resoudé la nation et sauvé, pour l’instant, l’avenir politique de Netanyahou. Le projet de la Justice qui a divisé le pays a été suspendu et Bibi et l’ancien général Benny Gantz, l’un des principaux chefs de l’opposition, ont trouvé un accord pour former un « gouvernement d’union nationale d’urgence » et ont mis en place un « cabinet de gestion de la guerre » pour la durée du conflit.
Comme en 1973, lors de la négligence du gouvernement de l’époque sourd aux alertes, une enquête ultérieure sera diligentée. C’est là que le sort du Premier ministre se jouera. Mais il ne faut pas enterrer trop vite cet animal politique insubmersible…
Quoi qu’il en soit, Israël se doit de sortir « victorieux » de ce nouveau conflit, notamment pour effacer le véritable fiasco de leurs services de sécurité et les images humiliantes des soldats et civils massacrés ou faits prisonniers et enlevés comme otages à Gaza et surtout redorer son image d’invincibilité durement éprouvée depuis le 7 octobre. Pour l’heure, atteindre les objectifs que j’ai évoqués plus haut est une tâche difficile voire inextricable avec le problème des otages et des pertes militaires trop lourdes. Beaucoup annonce alors un embrasement de la région.
Or, l’État hébreu est le premier à n’y avoir aucun intérêt, bien au contraire, pour des raisons humaines, économiques mais également géostratégiques. Israël ne peut se permettre longtemps de perdre la « guerre des images » et de se couper définitivement, dans le basculement du point de gravité géopolitique mondial en cours, du Sud Global emmené par la Russie et surtout la Chine et dont plusieurs de ses partenaires régionaux des Accords d’Abraham mais aussi l’Égypte et l’Arabie saoudite sont en train de rejoindre par exemple les BRICS. Les Européens et la France, prenant impuissants et de plein fouet les répercussions du conflit sur leur sol, sont dépassés et littéralement hors-jeu car, nains géopolitiques, ils n’ont aucun levier. L’administration Biden, en campagne électorale pour la présidentielle de l’année prochaine et en très grande difficulté, n’y a aussi aucun intérêt, surtout après déjà trois ans de multiples erreurs et d’échecs à l’international.
A l’opposé de l’échiquier, l’Iran aussi ne peut se permettre une guerre générale dans la région. Certes, les Iraniens ont réactivé leurs proxies, comme le Hezbollah, les milices irakiennes chiites et les Houties contre Israël et les Américains. Cependant, Téhéran tient son monde et ses supplétifs ne lancent que des attaques limitées et sporadiques, dans le simple but de faire monter les enchères pour l’Iran dans toutes les négociations en cours. Surtout que son parrain chinois est très mécontent de cette situation. Car la Chine avait été à l’initiative du rapprochement entre Iraniens et Saoudiens, afin qu’aucun trouble régional ne vienne contrarier l’approvisionnement des hydrocarbures dont Pékin a tant besoin. Dès lors, lorsque les Iraniens auront obtenu ce qu’ils veulent, ils n’auront aucun scrupule à sacrifier les sunnites du Hamas sur l’autel de leurs propres intérêts !
Il en est de même pour la Turquie d’Erdogan et les chefs d’États arabes ! Si le Qatar redore son blason auprès des Occidentaux en étant le principal interlocuteur, rôle qu’il affectionne, entre Israéliens et Palestiniens, Sissi (qui a été entre 2014 et 2021, l’architecte de tous les cessez-le-feu entre Tsahal et le Hamas) et MBS sont également en première ligne (avec toujours la Russie ne l’oublions pas) dans les pourparlers secrets en cours (otages, trêves, niveau d’intervention israélienne, issue de la guerre…) pour apaiser diplomatiquement et le plus rapidement possible la situation et la région. Les dirigeants arabes se sont toujours fichus comme de leur première chemise de la cause palestinienne mais ce qui se passe aujourd’hui à Gaza est en train d’enflammer leurs rues. Certes, comme par le passé, cela permet de faire un peu oublier les problèmes socio-économiques domestiques actuels mais ils aimeraient bien toutefois passer à autre chose et surtout revenir aux affaires et aux divers projets prévus avec leur partenaire israélien…
Espérons juste que, comme après la guerre de 1973 et la paix qui suivit entre Israël et l’Égypte de Sadate, un bien sortira de cet ultime et dramatique épisode du conflit israélo-palestinien.
Le problème c’est que malheureusement dans cette guerre de plus de 70 ans, il y a encore et toujours trop de monde, et ce dans tous les camps, qui n’ont aucun intérêt à la paix…
Quel est votre sentiment sur justement ce qui vient de se dérouler, sur les changements géopolitiques qui vont avoir lieu dans la région ?
Pierre Berthelot : C’est très incertain. Cela dépendra surtout de la réponse israélienne, d’abord sur le plan militaire, puis sur le plan politique. Si sur le plan militaire c’est l’escalade, avec la mort de dizaines de milliers de civils à Gaza et peut-être en Cisjordanie; je n’imagine pas l’Iran laisser faire. Le conflit peut aller très loin. L’Iran n’agirait peut-être pas directement, mais peut faire jouer ses relais au Yémen, en Irak, au Liban. Cela destabiliserait la région. Il pourrait y avoir le blocage du détroit de Bab-el-Mandeb qui priverait de trafic le canal de Suez. Cela entraînerait une explosion des prix de l’énergie, des prises d’otages, notamment d’occidentaux. La situation deviendrait extrêmement tendue, dans l’hypothèse où Israël continuerait son opération militaire. Mais est-ce qu’Israël elle-même, à un moment donné, ne sera pas tentée de calmer le jeu, sous la pression de ses alliés ou sous la pression de son opinion publique, si notamment le nombre de morts s’accroît parmi ses soldats ? Et cela sans véritablement permettre d’éradiquer le Hamas.
Pour l’instant nous n’avons aucune certitude puisque Israël réagit à contre-coup, sans stratégie de long terme. Quand vous réagissez à contre-coup, sans avoir un coup d’avance, vous êtes vulnérable aux événements. Je pense même qu’Israël ne sait pas réellement où il va, mais il doit agir, certainement. A l’inverse nous pouvons supposer qu’Israël va finir par subir un certain nombre de contraintes à travers des pressions internes et externes et qu’à ce moment- là, une désescalade progressive se mettra en place. Si le problème de fond ne sera probablement pas résolu, le pire ne sera peut-être pas atteint. En revanche, si l’escalade se poursuit avec cette élimination de population à grande échelle, et notamment de civils; une montée des tensions à impact mondial ne pourra être exclue, ne serait-ce que par les conséquences économiques dramatiques engendrées. ■
Nlus ne sommes pas sorti de l’auberge.Prkons!