Par Geoff Beattie, professeur de psychologie à l’Université Edge Hill, Lancashire.
publié par « the Conversation » le 6 novembre 2023.
Traduit par Marc Vergier pour JSF.
Avertissement du traducteur
Il n’y a aucune révélation dans cet article. C’est l’aura académique que lui confèrent son auteur et le site qui le publie qui m’a incité à en traduire assez librement l’essentiel. Peut-être aussi y ai-je senti comme un parfum familier.
Tout commence par l’enquête interne menée sur des allégations de sexisme, harcèlements et comportements tyranniques au sein des « red Arrows », l’équivalent britannique de notre Patrouille de France.
Le numéro deux de la Royal Air Force, Sir Rich Knighton, a confirmé que « des comportements susceptibles d’être qualifiés d’inacceptables » y étaient très répandus et même considérés comme normaux.
Ces euphémismes très britanniques appliqués à un véritable corps d’élite ne pouvaient qu’attiser la curiosité du chercheur Geoff Beattie. Il confie sa désillusion d’admirateur des flèches rouges mais, comme psychologue, dit-il, il ne devrait pas être à ce point surpris. Nombreux, en effet, sont ceux qui, a priori prêtent à ceux qui l’exercent les qualités attendues du détenteur d’une fonction. C’est à tort ; tous ces as ne peuvent se conduire comme les éclatantes prestations de leur patrouille le laisseraient imaginer.
Voici donc les travers que le psychologue discerne chez eux et plus généralement dans les élites.
Marc Vergier.
L’absence de doute de soi
Les groupes d’élite, militaires ou autres, manifestent des traits bien particuliers. Souvent ils ne se plient pas aux règles sociales ordinaires. Les « macho » des « Red Arrows », imbus de leurs privilèges voient les femmes parmi eux comme leur « propriété ».
Produits d’une sélection très exigeante, ces militaires, sont « mentalement durs » ce qui peut se traduire par une « froideur émotionnelle » [traductions littérales et académiquement imparfaites mais on comprend quand même]. Très utiles pour les missions périlleuses, dans la lutte pour la survie, ces traits peuvent rendre indifférent aux autres.
Sur ces sommets, les places sont rares, la précarité, l’anxiété, les menaces, omniprésentes. Comme je l’ai exposé dans un livre récent, parmi les élites les émotions, les doutes, sont très mal vues. Mais réprimer ainsi ses émotions peut nous blesser psychologiquement et réduire nos capacités à l’empathie. Plusieurs études ont montré que reconnaître ses émotions, les maîtriser, les critiquer conduit souvent à de meilleures décisions. Ceux qui refoulent leurs sentiments, contrairement à ce qu’on penserait, finissent par être, plus que les précédents, dominés par ces mêmes sentiments.
Forcés par notre entourage d’ignorer nos sentiments de peur ou de doute, nous pouvons céder à la colère quand ces sentiments nous envahissent.
Narcissisme
Les membres d’une élite sont conscients d’être différents, spéciaux ; on le leur répète à tout moment, nourrissant leurs tendances narcissiques
Le narcissisme peut être inné mais chez certains individus il peut apparaître et se développer avec le temps et sous l’influence d’un milieu. Les narcisses ont besoin de se sentir le centre de l’attention à tous les moments de leur vie . Il ne suffit pas à nos as, par exemple, d’être admirés lorsqu’ils volent en formation.
Comme les autres narcisses, ils demandent de l’attention, des embrassades et de la reconnaissance en toutes occasions, notamment dans leurs rapports humains. Ainsi sont-ils enclins à changer de compagnon [partenaire, si vous préférez] car les nouveaux compagnons sont toujours plus disposés à louer et à admirer que ceux qui nous connaissent bien.
Chez les « Red Arrows », il semble y avoir eu une « forte propension » à l’adultère. Les occasions devaient certes pulluler autour de ces fascinants pilotes mais on ne peut exclure leur propre recherche narcissique.
Le colonel canadien Bernd Horn, second des Forces Spéciales Canadiennes souligne dans le « canadian Military Journal » que les élites tendent à s’enfermer dans une mentalité de meute, d’entre-soi au point de dédaigner dangereusement tout ce qui est extérieur (“dangerously inwardly focused”. Leurs membres ne se fient qu’à ceux qui connaissent la « musique » et qui ont réussi les mêmes examens qu’eux
Ils se ferment donc aux influences extérieures, perdant cette objectivité si importante dans la vie.
Confusion morale
Les membres d’un groupe d’élite ont accès à des ressources et des contacts inaccessibles au plus grand nombre. Il en résulte, chez eux, l’idée d’un droit acquis, d’un privilège qui attise leurs egos narcissiques et pervertit leurs décisions dans le champs moral.
La certitude qu’ils méritent un traitement spécial et qu’ils sont exemptés de certaines obligations morales leur fait perdre la vision claire de ce qui est bien ou mal. Ces deux notions tendent chez eux, avec le temps, à ne plus se distinguer.
Ils sont aussi enclins à donner la priorité à leurs intérêts personnels, entraînés, consciemment ou non, par le désir de tenir leur rang et défendre leurs privilèges. Leur « insularité » fait qu’ils s’entourent souvent de leurs tout semblables tant sur le plan des idées que des valeurs, renforçant par là-même leur isolement.
De tels entourages peuvent dérégler leur boussole morale en renforçant croyances et comportements à l’abri de toute saine critique.
Ceux [et celles, ne les oublions pas] d’entre nous qui n’appartienne pas à l’une de ces élites ne sont pas exempts de toute responsabilité. Certains s’inclinent devant les statuts, pouvoirs et privilèges des membres de l’élite et renoncent à les sanctionner en leur prêtant de l’importance. Les « Red Arows » , par exemple, seraient des icônes de la nation. Le chief Marshal Knighton parle, à leur propos, d’une « mentalité de badaud », expression à quoi je préfèrerais peut-être apathie de badaud.
Ces problèmes, ne l’oublions pas , affectent les élites de toutes sortes : politiciens, élèves des grandes écoles, vedettes et influenceurs médiatiques… Ces personnalités gavées d’accolades et d’attention jusqu’à ne plus pouvoir s’en passer peuvent se retrouver dans un chambre d’écho où ne résonnent que leurs propres valeurs. Il en résulte souvent une surdité aux critiques venant de l’extérieur, critiques faite, selon eux, par des ignorants des pressions régnant dans ladite « chambre d’échos ».
Les élites ont donc des caractéristiques très spéciales mais pas toujours pour le meilleur. Nous nous devons de dénoncer leurs égarements. ■