Par Charles de Meyer.
Longtemps les Français ont pu sécher les larmes de leur impuissance individuelle face aux horreurs du monde en se réfugiant dans la politique étrangère de leur pays.
Cela n’allait pas sans débat, sans insatisfaction, sans crispations. Mais la voix de la France, son originalité comme son audace discrète, rassurait ses enfants comme un vieux sage calme les sanglots des bambins. Ce réconfort a disparu. Il a disparu avec la culture des serviteurs de l’État, la décence de leurs mœurs, au moins publics, et la tension de leurs volontés. C’est le chromo qui l’a emporté sur le ton diplomatique, l’emphase primant sur la netteté des raisonnements et des politiques. Nous l’avons constaté sans interruption dans les grandes crises internationales récentes, avec une terrible inflexion certainement situable au moment des élucubrations de Nicolas Sarkozy pour éliminer Mouhamar Khadafi.
L’actualité n’a fait qu’accentuer cette terrible pente, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie aura dévoilé ce qui était dissimulé depuis trop longtemps. Paris a une influence internationale de premier ordre et une politique étrangère de deuxième division, et encore, de bas de tableau. À la remorque des décisions de l’Union européenne pendant le conflit ukrainien, quel que soit d’ailleurs le regard qu’on pose sur le conflit, la présidence de la République s’est commuée en commentatrice anecdotique de l’expulsion des Arméniens du Haut Karabagh après l’invasion de leurs terres par Bakou le 19 septembre dernier.
Solidarité verbale
Si l’Élysée a montré davantage de solidarité verbale face à cette catastrophe, nous n’avons accordé qu’une aide humanitaire d’ampleur anecdotique à Erevan. Quant à notre discours international, derrière les incantations, la pauvreté abonde : nous nous alignons sur les objectifs d’une commission européenne qui use de la crise pour ramener l’Arménie dans son giron. Rien sur les nécessaires équilibres dans le Caucase, rien sur la nécessité de prendre en compte toutes les parties prenantes de la crise, rien non plus sur l’impératif éthique de l’interruption des livraisons d’armes massives d’Israël à l’Azerbaïdjan pendant la crise.
Pendant ce temps, la chasse aux voix divergentes sur la question du conflit atteignait son climax médiatique. On tressait des louanges aux opérations de communication sans s’interroger sur la vacuité des initiatives d’Emmanuel Macron sur le conflit.
L’horreur de l’attaque terroriste et abjecte des Frères musulmans du Hamas, le 7 octobre dernier, contre l’État d’Israël et sa population, a versé dans les mêmes excès. Comme l’a souligné remarquablement le président centriste de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges dans son discours du lundi 23 octobre sur la situation au Proche-Orient, les divisions nationales artificielles ont prévalu sur l’unanimité de la condamnation des ignominies du Hamas.
Relais bégayant d’impossibles arrangements
Une course à la position la plus binaire, la moins informée, la plus oublieuse des réalités régionales a gagné le débat public à partir de polémiques ambiguës et peu soucieuses des souffrances indicibles des familles israéliennes et palestiniennes. C’est jusqu’à l’équilibre historique, et conforme aux réalités régionales, de la position traditionnelle de la France qui est rompu par les excités du communautarisme islamiste comme par les nouveaux convertis du choc des civilisations.
L’empoignade nationale, sous-tendue par la fin de l’homogénéité culturelle du pays, a encore une fois effacé la réalité principale : d’acteur courageux des résolutions diplomatiques du conflit, la France est passée au rang de relais bégayant d’impossibles arrangements. La proposition d’Emmanuel Macron d’une forme de coalition internationale contre le Hamas remportant la palme de l’annonce de com’ mal calculée pendant que les morgues israéliennes et gazaouies débordent encore.
À l’État qui s’affaiblit, il ne reste que la parure d’un verbe incertain et tapageur, où la disproportion entre la valeur de la position de la France et la clameur de ses haines intérieures s’impose comme la conclusion des interventions. Au pays qui s’affaiblit, il reste les larmes de l’impuissance. Et nous ne savons plus pleurer dignement. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine.