Le titre de cet entretien rappellera aux lecteurs de Jacques Bainville, « Jaco et Lori », un conte merveilleux de style et sagesse, dont les perruches savantes en conclusion des aventures qu’elles ont vécues au fil des révolutions des XVIIIe et XIXe siècles, répètent trois fois leur cri prémonitoire « Ça finira mal ».
Entretien par Yannick Campo.
Article paru dans Le Petit Bastiais cette semaine… Et aussitôt repris sur les réseaux sociaux. « Quand Jean-Paul Brighelli traite d’enseignement il est (presque) infaillible. » Nous l’avons écrit maintes fois et cela se vérifie ici où il s’exprime dans une publication corse. Chez lui. On le salue. Et nous nous exemptons de commentaire. Les lecteurs de JSF, en revanche, en particulier les professeurs, interviendront s’ils le jugent utile.
Normalien et agrégé de lettres, originaire de La Porta par son père Jacques, qui fut le premier président de l’Université de Corse en 1982, Jean-Paul Brighelli pointe les défaillance de la machine éducative française. Face aux offensives de la déconstruction incarnées notamment par le wokisme ou l’écriture inclusive, il livre son sentiment et dénonce un certain impérialisme culturel…
Aristote a écrit une centaine de Constitutions. Il ne reste aujourd’hui que celle d’Athènes, un ouvrage découvert sur un palimpseste du début du XXème Siècle. Il avait imaginé toutes les constitutions possibles : la démocratie, l’ochlocratie, la timocratie, la ploutocratie, la gérontocratie, l’oligarchie, la monarchie, l’aristocratie mais il n’avait pas prévu la crétinocratie…
« Je ne le crois pas (rires). Il a eu tort car toutes les choses dont on ne parle pas finissent toujours par se répandre. Sur le crétin, nous n’avons pas dit grand-chose et pourtant il est là. Il est triomphant, cela fait partie de sa nature d’ailleurs de l’être. Le crétin est plastique. A la fois, il a des idées arrêtées, c’est même ce qui le caractérise, mais en même temps, il est susceptible de s’adapter aux époques, aux gens, aux mœurs, il est assez insidieux dans le genre. Le crétin est naturel. Un être de culture est un être artificiel. L’éducation consiste à dénaturer l’enfant, car si on le laisse à l’état naturel, n’en déplaise à Rousseau, nous avons un enfant à l’état sauvage. Véritablement sauvage, La Fontaine disait « Cet âge est sans pitié. » Quand vous étiez à l’école primaire, l’instituteur passait derrière vous en vous disant « Tiens-toi droit ! » Dans le mot, il y a d’ailleurs « tuteur », qui va vous forcer à vous tenir droit. C’est exactement comme une plante, si on ne la contraint pas, si on la laisse à l’état de nature, nous avons quelque chose de tout tordu ! C’est caractéristique des deux options pédagogiques. Certains disent l’enfant est bon, on va le solliciter pour qu’il construise lui-même ses propres savoirs et d’autres qui disent : « Non, c’est un monstre ! » On l’a vu dernièrement avec des affaires immondes de harcèlement. Le crétin a été laissé à l’état de nature et il se hausse sur son état de nature pour proférer de véritables imbécilités.
Vous remontez à Passeron et Bourdieu, à Mai 68 pour expliquer les origines de la faillite de la machine éducative française ?
Ils ne se sont pas véritablement intéressés à la pédagogie. « Les Héritiers » par exemple, partait d’un constat, peut-être à l’époque un peu exagéré, faisant que l’on accordait peu de place aux enfants qui n’étaient pas des héritiers. En fait, Bourdieu a raison à présent, maintenant qu’il est mort. 11 serait catastrophé de voir les réalisations de ses disciples aujourd’hui. A l’époque où Bourdieu écrit son livre, je suis au lycée, je ne suis le fils de personne puisqu’à cette période, mon père n’est pas encore le Président d’Université qu’il a été. Il a d’abord été employé de bureau, puis fonctionnaire de police. Il n’avait pas le Bac et il a dû faire des petits boulots pour vivre. C’est la méritocratie républicaine qui lui a permis de s’élever. Je vous donne des chiffres précis. Quand j’ai passé Normale Sup’ en 1972, il y avait 12% d’élèves dans les grandes écoles comme l’ENA, Polytechnique, etc. qui n’appartenaient pas aux classes supérieures. Bien entendu, et là Bourdieu n’avait pas tout à fait tort, ces 12% étaient très peu par rapport à ce que représentait à l’époque le prolétariat au sens très large du terme, environ 50% de la population française. 12% de ces 50% accédaient aux grandes écoles. Actuellement, c’est moins de 2% ! Alors même qu’une grande partie de la bourgeoisie moyenne s’est retrouvée prolétarisée. Un enseignant actuel est très loin du statut social d’il y a 40 ans. Il peut toujours rêver de s’acheter un appartement ! Les enfants des classes moyennes ne bénéficient plus du tout de l’élitisme républicain, car tous ces imbéciles ont décrété un égalitarisme de surface.
En fait, et c’est un principe confirmé, avec beaucoup d’égalitarisme, vous fabriquez plus d’inégalités qu’avec un élitisme de départ. Pourquoi ? Car le principe élitiste se fiche pas mal que vous soyez l’enfant d’untel ou d’untel… Il se préoccupe uniquement de vos capacités, de votre niveau, de vos performances, de vos possibilités. Nous avons tellement abaissé la barre au point de juger les gens sur des sous-performances et on garantit les bonnes filières pour ceux qui sont bien nés ! Je dis ordinairement que nous sommes en 1788 avec une pseudo-aristocratie crispée sur ses privilèges et cela va très mal finir !
A la grande différence, l’aristocratie de 1788 est d’un point de vue intellectuel nettement plus qualifiée…
Je consacre un chapitre dans mon dernier livre au mythe du bon élève. Cela fait sept ans au moins que le jury de l’ENA à l’oral déplore le tout petit niveau culturel des candidats, leur manque d’imagination, leur conformisme, etc. Les promotions de l’ENA comme la promotion Voltaire de François Hollande, Ségolène Royal qui a fait les performances que nous savons, où la promotion Léopold-Sédar-Senghor, celle d’Emmanuel Macron ou de l’ex-Rectrice de Versailles qui a fait des exploits au niveau des courriers, il n’y a pas très longtemps et qui pantoufle aujourd’hui dans le privé, il faut bien comprendre qu’il y a eu une perversion du mot « élites ». La caste a perverti cette notion de façon à garder ses enfants au chaud, alors même que le niveau ne cesse de décroître. Non seulement dans les collèges lambda des quartiers les plus défavorisés ou des campagnes les plus reculées, on ne fait pas travailler les enfants au niveau de ce qu’ils pourraient faire, mais dans les « bons lycées » on ne leur demande pas grand-chose non plus !
Le Sénat a présenté un texte pour protéger la langue française des dérives de l’écriture inclusive. Dans le même temps, Emmanuel Macron inaugurait la Cité Internationale de la langue française dans le château de Villers-Cotterêts. Pour le coup, ce double message politique est une bonne nouvelle ?
Un universitaire s’est déjà insurgé pour espérer que le texte ne passe pas à l’Assemblée nationale. Je rappelle que le problème est déjà d’apprendre aux gosses l’accord au masculin, au féminin et au pluriel. Cela sera déjà une bonne chose ! Si en plus, il faut leur apprendre l’usage avec « IEL »… Regardez le point dans l’écriture inclusive : « toutes les personnes concerné.e.s » C’est l’illustration de l’idéologie. Hannah Arendt avait en prononcé la plus belle définition : « L’idéologie, c’est ce qui n’a aucun rapport avec la réalité. » C’est ce qu’Emmanuel Macron dit contre l’écriture inclusive mais « en même temps », on parle anglais à l’Elysée, on laisse la Commission européenne établir ses rapports en anglais. Au niveau international, les Québécois font bien plus que nos gouvernants pour la défense du français. L’ennemi, ce n’est pas les langues régionales, l’ennemi c’est les Etats-Unis ! Nous sommes dans une obéissance dramatique à un impérialisme culturel global. ■
Yannick Campo.
Le Petit bastiais
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