Ami ? Ennemi ? Il peut arriver que la pensée hésite, que l’analyse ne soit pas univoque. Comment ne pas être intéressé par les propos d’Edgar Morin, comment, bien souvent, pourrait-on ne pas les aimer ?
Ce crypto-communiste de jadis donne là une analyse assez géniale de ce qu’est devenue la société après modification par la « modernité ». Maurras était lui aussi génial quand il expliquait à Massis qu’entre idéalisme et matérialisme c’est l’idéalisme qui ment le plus. Edgar Morin a été à l’école du marxisme et a peut-être suivi la formation des écoles de cadres du PC qui étaient (sont encore ?) excellentes. (Nous voulons dire : efficaces !). En plus, il s’en est dégagé mais sans en perdre le positif. Edgar Morin n’est pas sans défaut bien sûr. Mais c’est un admirable vieillard qui, en plus, au contraire de certains sectaires, sait reconnaître à Maurras la place qui lui revient à l’égal selon lui de Tocqueville et de Marx. Chapeau le centenaire !
▬ Edgar Morin :
« La vie urbaine dans les mégapoles est sous le joug d’une chronométrisation, d’une mécanisation, d’une hyperspécialisation terriblement stressantes. Le calcul, qui ignore la vie concrète, règne en souverain. Somnifères, tranquillisants, neuroleptiques, psychanalyse, gourou… les remèdes moraux ou psychiques, parfois inquiétants, prolifèrent, et sont employés pour espérer, là encore, faire face à la solitude ou à l’absence de dialogue qui affectent jusqu’à l’intérieur des couples et des familles. L’individualisme a fait de chacun qu’il est certain d’avoir raison et que l’autre a toujours tort. Le travail est asservi de façon nouvelle. Autrefois, dans le système fordien, l’ouvrier spécialisé subissait le contremaître devenu garde chiourme ; aujourd’hui, l’oppression est issue du management anonyme qui poursuit la recherche obsessionnelle de la productivité, de la rentabilité. On comprend mieux pourquoi la société civile se rue sur la télévision, les vacances, les loisirs, la « bonne bouffe » pour espérer fuir cet étouffement. Au début du XXe siècle, on chantait la « ville lumière », dorénavant on déplore la « ville tentaculaire »
Aujourd’hui, la part d’ombre est non seulement misère matérielle elle est aussi misère psychique et morale dans la consommation, le bien-être, l’égocentrisme, la destruction des solidarités traditionnelles. Destruction qui a pour autre germe la compartimentation de chacun dans un secteur clos. De plus, dans notre système d’éducation, on n’apprend qu’à séparer les connaissances, de manière fragmentée, sans pouvoir les relier, ce qui rend aveugle lorsque surgit une problématique fondamentale et globale.
D’autre part, on constate que le bien-être et le confort matériel n’apportent pas la promesse de félicité, de bonheur que la mythologie même de cette civilisation avait laissé espérer. Le consumérisme si typique des classes moyennes a fait la démonstration que sous la pression de la publicité et sous l’incitation des chagrins de l’existence, s’est développée une véritable intoxication consommationniste. Car la consommation est devenue aussi une sorte de consolation, de pansement aux maux psychiques….» ■