Par Pierre Builly.
La Chinoise de Jean-Luc Godard (1967).
Encore plus détestable que tout le reste
Beaucoup de ceux qui ont apprécié La Chinoise argumentent de façon quelquefois séduisante sur les aspects qui leur paraissent innovants et intéressants dans le cinéma de Godard.
Ils font mine de ne pas attacher plus d’importance que ça au fond du sujet, estimant même que le Genevois a simplement capté l’air du temps qui, de fait, était à Mao.
Et, comme j’avais 20 ans très engagés (évidemment pas du tout de ce côté là) en 67, je peux témoigner de l’étrange séduction que la Chine exerçait sur les étudiants, alors infiniment plus politisés qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Tout cela aurait sa pertinence si le parcours ultérieur de Godard, en Mai 68 et surtout ensuite ne montrait que le cinéaste a partagé, tout au moins un bon moment les utopies, les folies, les aveuglements, de cette génération cinglée.
Cinglée, assurément… En exemple la conversation surréaliste dans un train entre Véronique (Anne Wiazemsky) et Francis Jeanson, censé être son ancien professeur de Philosophie.
Francis Jeanson, en termes révolutionnaires, ce n’est pas de la gnognote : c’est l’organisateur des réseaux de soutien qui faisaient passer fonds, armes et explosifs aux terroristes qui plaçaient ensuite des bombes dans les cafés les plus fréquentés pour faire le maximum de victimes (revoir La bataille d’Alger). En somme un type effrayant, avec plein de sang sur les mains, mais d’une grande cohérence avec ses idéaux anticolonialistes.
Mais, dans le film il est effaré, stupéfait, presque démuni devant l’amateurisme, l’absence de vraie conscience politique et de sens du rapport de force de la jeune fille. Pourquoi ? Elle se propose, avec deux ou trois de ses camarades, d’aller placer des bombes dans les amphis des universités afin de tuer assez de professeurs et d’étudiants pour que, la panique venant, le Gouvernement soit obligé de fermer toutes les écoles ainsi qu’on vient de le faire dans la Chine de la Révolution culturelle sous prétexte de régénération.
La stupeur de Jeanson irait plutôt dans le sens de la moquerie de Godard envers ses personnages si ses critiques ne portaient pas sur l’irréalisme du projet, mais plutôt sur son horreur, qui ne le gêne pas du tout. Ce genre de trucs a ensuite conduit à toutes les dérives, en Europe (Action directe, la Fraction Armée rouge) et, sur une échelle industrielle, au Cambodge, avec les Khmers rouges. Ça ne fait rien : ça paraît toujours un peu ridicule mais bien sympathique… Caprices d’enfants gâtés, péchés de jeunesse bien pardonnables, exaltations généreuses finalement sans importance…
Voire ! Comment se fait-il que les gens qui ont accroché au maoïsme (entre 25 et 70 millions de morts, selon les sources), qui sont nombreux et bien installés dans les allées de tous les pouvoirs puissent venir la ramener aujourd’hui alors que, s’ils avaient eu la moindre esquisse de sympathie pour le nazisme ils seraient disqualifiés à jamais (à tort ou à raison) ? C’est un des côtés les plus dégueulasses du film de Godard : faire mine que tout cela n’a pas d’importance.
Un des côtés les plus dégueulasses, mais pas le seul : le cinéaste fou furieux multiplie ses tics et ses obsessions de filmage : prises de vue frontales, omniprésence des couleurs primaires (jaune, bleu, rouge), bavardages prétentieux, insertions de maximes, irruption de la bande-son, enfantillages prétentieux et arrogants, sans finesse ni subtilité.
Mais comment ce sale type irresponsable a-t-il pu avoir du succès ? Ma génération me fait souvent honte… ■
DVD autour de 13 €
si on a l’idée saugrenue de regarder ça
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Publié le 24.03.2019 – Actualisé le 18.11.2023
Votre génération est à l’origine d’une jeunesse sans religion et dépourvue de racines. On ne dira jamais assez à quel point mai 68 a été une révolution . Lesjeunes ont tué le père l’autorité et l’ordre établi avec l’aide de beaucoup d’adultes et sans le remplacer :
Je n’ai pas vu beaucoup d’adultes dans la révolution de mai 68. Ils sont restés assis à regarder passer le char du désordre, se demandant quel serait leur avenir économique surtout.
L’inaction syndicale résulte de cette passivité mentale.
Après, chacun a raconté sa guerre en l’enjolivant mais tout fut généré par les « meneurs » étudiants.
Tout à fait d’accord avec le commentaire de Kardaillac ,
Les « soixante huitards » , c’était une minorité en 1968 et certainement pas l’élite : des groupuscules et des meneurs mais peu suivis.
Certes, le pays s’est trouvé « à l’arrêt »quelques semaines, mais par la force des choses : grève générale qui n’a pas duré longtemps, lycées et universités fermés, là encore assez peu de temps ( temps suffisant toutefois pour aboutir à un « Bac 68 » , mais maintenant c’est tous les ans ce genre de Bac dévalué et donné.
Tout est vite rentré dans l’ordre après que la majorité silencieuse ait défilé et voté pour une assemblée de droite .
Parler de génération 68 paraît dès lors un peu abusif.
Les suites de mai 68 ne se sont installées que par le laxisme des autorités, et encore , avec latence : il a fallu le septennat Giscard, les années Mitterrand pour le moins .
Situation comparable dans d’autres pays d’ Europe de l’Ouest.
À ceux qui ne voient pas qu’en 68 le ver était dans le fruit et que cette révolution-là, menée par une minorité hyper-active et hyper-intelligente, a parfaitement réussi, je conseille de lire Buisson, Villiers, Zemmour…
Beati pauperes spiritu.
@ Pierre Builly
En effet, il faut apporter correction : il est fort probable que les instigateurs aient été fort intelligents ; par contre , en descendant au niveau des meneurs de collèges, ce n’était pas le cas : de simples perroquets qui répétaient les mêmes mots d’ordre : ainsi , suppression des « encouragements » et » félicitations » en fin de trimestre, suppression des remises de prix en fin d’année, fin de l’obligation du port de la blouse – pourtant laissée au libre choix de la forme pourvu qu’elle fut en nylon gris – et , cours d’ « education sexuelle » ( demande de précision d’une enseignante lors de la réunion d’exposé des « revendications » pour savoir s’il s’agissait de cours de biologie.)
Et tout à l’avenant.
Où était l’intelligence dans tout cela ?
Le cinéma de Godard m’est parfaitement insupportable, et ce, depuis toujours… Mais voilà que, par ailleurs, l’individu Godard m’apparaît doué d’une surprenante intelligence – dans l’acception assez vulgairement musculaire du terme, certes, mais tout de même : intelligence surprenante. Le fond suisse de son éducation a dû jouer pour beaucoup dans un tel résultat – j’ai, d’ailleurs, très bien connu la Suisse, autrefois, et ai pu y remarquer toujours, jusque chez les plus «progressistes» autochtones, la persistance d’un très vieux «continuum», qu’aucun dérangement cérébral ne savait interrompre. Et c’est ainsi que le Godard a pu souvent distiller des formules dont les journaleux béats restaient tout hébétés, tandis que, quant à moi, je me grattais la tête en me demandant d’où cela pouvait bien lui venir…
Reste que, «artistiquement» parlant, le travail du Godard est un genre d’insanité, sût-il se tenir un peu «à part» relativement à la bien-pensance obligée d’après 45.
Précision supplémentaire, assez peu connue : Francis Jeanson échoua – un temps durant – dans le pseudo «ashram» d’Auroville, tenu de main dégénérée par «La Mère» (Française plus ou moins escroqueuse, du nom de Mirra Alfassa). Or, aujourd’hui, un des personnages d’importance à Auroville, n’est autre qu’un «beau-fils» de Francis Jeanson (bi-ainé [il a une jumelle] de sa seconde femme, Christiane), nommé Jean-Yves Lung.
Je crois savoir qu’il n’a guère été fait de publicité dans le «milieu culturel», où Jeanson a entrepris d’évoluer à dater des années soixante, dix ans plus tard, à peine, autour de cet intérêt pour des questions «spirituelles» – fussent-elles posés de manière extrêmement douteuse, au fond : une espèce de teilhardisme adapté aux commentaires des textes sacrés de l’hindouisme, via les atomistes grecs, trafiqués mentalement par Sri Aurobindo…
Ayant très bien connu Francis Jeanson, dès 1964 – il était un grand ami de mes parents –, je me rappelle les conversations entre eux sur la pertinence ou non de sa collaboration au film, et cela discutait fort, au point qu’il a tergiversé longtemps avant de consentir à sa participation au film…
Peu de monde sera intéressé par ce que je dis là, sans doute, mais cela illustre assez le «climat» d’alors, dans lequel les uns et les autres du «progrès» ne savaient finalement pas trop comment et pourquoi il leur fallait mettre les pieds ici ou là… Et, si Jeanson était encore de ce monde, je gage que sa belle intelligence le conduirait sur des chemins de traverse dont il ne devait alors pas pas soupçonner qu’ils pussent être frayés.