Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois de novembre, l’annonce de la réédition de son roman Le Génie du Rhin, troisième tome de la trilogie « Les bastions de l’est », publié en 1921, qui suit Au service de l’Allemagne (1907) et Colette Baudoche (1909).
Dans l’entre-deux-guerres la question du Rhin était d’une importance décisive. En atteste, outre la publication du Génie du Rhin en 1921, l’article « La politique » de Charles Maurras publié dans L’Action française un an plus tard, le 4 septembre 1922 :
I. La pente savonnée
Comme cela résulte de la parole de M. Poincaré que souligne plus loin Jacques Bainville, il n’y aura de « diminution des « charges extérieures du Reich que dans « un règlement général où seraient liquidées toutes les dettes interalliées ». Donc si ce règlement général se produit, cette diminution se produira aussi. Notre ami l’annonçait depuis de longs jours, cela est officiel aujourd’hui, c’est, dit-il, « l’enterrement des réparations ».
Mais on va sans doute essayer d’oblitérer le sentiment de cette énorme perte, on s’aveuglera soi-même sur cette perte, en disant que l’on gagnera ou que l’on gardera quelque chose à la place. Quoi ? Chacun songe au Rhin. Les compensations n’abondent pas, et l’on se figure que celle-ci sera magnifique. Nous répondrons toujours sur cet article : — C’est à savoir ! Il y a le Rhin d’une Allemagne unie et le Rhin d’une Allemagne désunie. Il y a le Rhin occupé de manière à former une permanente excitation à l’irrédentisme allemand, et il y a le Rhin bardé d’États divisés et de populations rivales. Ces Rhin là sont bien deux. Mais passons sur l’objection. Supposons le projet parfait, quelles sont ses chances ?
La question nous ramène à la leçon du passé que nous avons été forcés de citer hier. Nous avons été destitués de notre droit et dépouillés de notre bien sur l’article Réparations de 1919 à 1922 parce que, en 1917 et en 1918, nous avions renoncé ostensiblement à nous faire rembourser les frais de guerre. La facilité avec laquelle ce dû sacré était lâché par les ministres de la République française a fait conclure à l’ennemi et au mauvais ami que nous lâcherions de la même manière notre dû des réparations. Or, cela est bien arrivé. Dès lors, qui pourra croire à la solidité de notre prise et à la résistance de notre étreinte quand il s’agira de montrer que n’étant point payés, nous ne quitterons pas la berge du Rhin ? Notre réputation est faite.
Nous lâchons. Ainsi encourageons nous les tentatives d’avulsion et d’arrachement. On nous a vus glisser lentement mais sûrement sur la pente. On en a conclu que la pente était savonnée ou qu’il y avait du savon à la semelle de nos chaussures. Ce point posé, cette espérance et cette confiance ainsi nées au cœur du contradicteur et de l’ennemi, cette idée bien ancrée en lui que ’nous sommes le peuple de la concession, la victoire morale lui appartient déjà : notre défaite matérielle ne peut pas traîner.
II. La coalition contre nous
D’autant plus que la partie sera inégale. Rester sur le Rhin, garder la Sarre ? Mais sur ces deux points l’hostilité de M. Lloyd George et de ses amis, qui sont nos ennemis, sera secondée par les couches profondes de l’opinion anglaise, même celles où nous avons des amis. Cette opinion ne veut pas que nous ayons à notre porte du charbon : elle en vend. Cette opinion, la plus ancienne, la mieux organisée, celle de la vieille administration des Affaires étrangères, et de tout le monde politique traditionnel ne veut pas non plus que notre pavillon flotte sur le Rhin. Finances, juiverie, esprit conservateur, tout sera d’accord contre nous, au nom de principes constants de la politique britannique.
Comme toujours, ce bloc fera naturellement alliance avec l’esprit démocratique contre lequel notre revendication rhénane, fût-elle purement militaire, sera en état de rébellion formelle. Il y a un droit, même démocratique, pour réclamer la réparation de nos régions dévastées. Le droit démocratique n’ accorderait jamais que le soin de notre sécurité nous autorise à retirer au peuple rhénan la garde, la police, la possession militaire de leur territoire.
Ayant ainsi les autres, et tous les autres contre nous, nous n’aimons même pas pour nous la plénitude de nos forces et de nos pensées : non seulement les partis, les journaux, les tribunes retentiront en France de paroles hostiles à la cause française, mais pour l’esprit même de M. Poincaré, (comme les idées de Victor Hugo militaient chez M. Clemenceau en faveur des idées du président Wilson) les objections que l’on fera, à ce projet éveilleront en lui des échos prolongés et graves. Troublé ainsi jusqu’au cœur de sa pensée, il manquera de foi et par là d’énergie. Ce sera forcément une chute nouvelle, un nouveau et inévitable recul. Comment un gouvernement qui a souscrit sans hésitation à l’absurde « ni annexions, ni indemnités » et qui s’est contenté de réparations sur le papier pourrait-il faire admettre qu’il a changé d’avis et veut des annexions maintenant. Allons donc ! Qui a glissé glissera encore, et plus vite et plus bas.
« Relisons Sorel », disait M. Poincaré hier dans son discours d’Honfleur, « relisons Sorel et restons prêts à défendre nos droits ». Cela signifie-t-il un retour à la position défensive ? Notre force est-elle épuisée ? ou notre volonté ? ou les ressources de notre esprit politique ? Si peu qu’il en subsiste, ce reliquat devrait être utilisé tout de suite. L’acte seul, prompt, direct, pourrait dissiper la lourde atmosphère de fatalité hostile qui se respire de toute part. On nous sent, on nous croit, on nous dit vaincus et perdus. Nous prenons la peine d’en convenir au moment même où les seules défaites effectives sont encaissées par l’Angleterre sur le dos des Grecs ! Ou ce moral abandonné se relèvera par le seul moyen que nous ayons, ou c’en est fait : la faillite de la seconde expérience Poincaré vérifiera toutes les tares du régime, mais déchirera aussi tous les derniers lambeaux de notre lente, lourde et coûteuse victoire.
Charles Maurras
Nombre de pages : 152.
Prix (frais de port inclus) : 21 €.
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