ENTRETIEN. L’écrivain algérien Boualem Sansal revient pour Front Populaire sur l’attaque organisée à Crépol, la faillite des élites et plus largement la décrépitude de la civilisation occidentale. « Où va la France ? », interroge-t-il. « Vers la collaboration et la défaite ». Défaitisme ? Non : un appel à la reprise avant que l’abîme ne se referme sur nous.
« On est dans cet entre-deux gramscien, entre une civilisation qui se meurt dans son bonheur impotent et des civilisations émergentes avides de puissance et de vrai bonheur (…). »
Front Populaire : Le week-end dernier, lors d’une fête de village à Crépol (Drôme), une bande de jeunes de cité, armés de couteaux, a agressé des gens à l’aveugle, tuant le jeune Thomas, un adolescent de 16 ans. Comment analysez-vous cet événement ?
Boualem Sansal : Il n’y a rien à analyser. C’est un pogrom dans la série des pogroms qui ensanglantent la France judéo-chrétienne, laïque et laxiste depuis un demi-siècle. Derrière, vous le savez, il y a le long travail d’endoctrinement des uns, la complicité active ou passive des autres, la peur et la trahison des lâches, l’aveuglement réel ou feint des Autorités, et cerise sur la merde, la mutation génétique folle qui fait que les intellectuels lèchent au lieu de mordre.
Attaquer un village ou un kibboutz est quand même une sacrée avancée. Jusque-là les tueurs opéraient à la sauvette, visant des personnes isolées, des vieux, des vieilles, des enfants, là c’est tout un village. 4 en 1, une opération commando, une occupation militaire, un pogrom et un avertissement pour dire que les mieux entrainés sont prêts à attaquer des villes. L’exploit du Hamas du 7 octobre dernier en Israël est devenu un doux rêve et une référence pour beaucoup.
Où va la France ?, demandait l’autre. Nous le savons, vers la défaite, et la collaboration chez les Camarades des Frères. Il est urgent que le président Macron mette sa casquette de général en chef et lance un appel à la résistance, comme l’avait fait de Gaulle le 18 juin 1940, alors qu’il n’était que général de brigade. Si Macron va à Londres, je le rejoins. Il entrera dans l’histoire et nous avec, au lieu d’en sortir et nous avec si les choses vont comme elles vont. À la guerre il n’y a qu’une chose à opposer : la guerre. Et sans cessez-le-feu avant victoire totale, ni négociation, la vie ne se négocie pas. C’est pile ou face.
FP : Ce genre d’actions étaient-elles menées lors de la guerre civile en Algérie dans les années 1990 ?
BS : Nous avons vécu cela une décennie entière : attaque de villages, massacre des habitants, saccage des maisons, viol des femmes, lapidation des bébés, enlèvement des fillettes destinées aux chefs dans les maquis, c’était la vie obscure au jour le jour. Que de morts, que de morts !
Dès leur première sortie, les apprentis djihadistes sombrent dans la drogue et la frénésie, ils veulent leur overdose journalière d’adrénaline, de sang et de viol. Que faire d’eux à la fin de la guerre est une question que nous nous sommes tous posée, y compris leurs parents. Sont-ils récupérables ? Faut-il les abattre ? Sans doute, oui certainement. Personne ne cherche aujourd’hui à savoir. La paix a un prix, il faut le payer, voilà ce qui se dit.
FP : Le mot « décivilisation » s’est progressivement imposé dans le débat public, notamment au moment des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Est-ce bien de cela qu’il s’agit ?
BS : Pour moi, ce mot ne correspond à aucune évidence. La civilisation n’est pas un habit qu’on met en hiver et qu’on retire en été, elle est ce qu’elle est, point, forte ou pas, belle ou pas. Je reste sur la loi de Gramsci. La grande civilisation européenne, qui s’est construite sur les conquêtes dites civilisatrices aux quatre coins du globe, sur l’esprit d’aventure et la soif d’enrichissement tant en or qu’en savoir qu’elles ont inspiré ou qui les ont inspirées, poussées aussi par les famines et les épidémies cycliques, a atteint un tel niveau de confort qu’elle s’est laissé aller à vivre comme les riches rentiers qui promènent leur ennui et leurs canailleries de villégiature en villégiature. En Europe, il n’y a plus de guerre qu’entre les modes, l’une chasse l’autre qui riposte par plus de chichis et de strass. Passée de la féodalité bardée d’armures à la Renaissance chatoyante, puis des Lumières studieuses au postmoderne wokiste, la civilisation européenne arrive au bout. L’absurde est une création humaine et non inhérente au Principe, comme le croyait Camus.
En disant « Plus jamais ça » au sortir de la Seconde Guerre mondiale, au lieu de crier « Armes au poings, citoyens ! », la civilisation européenne a lancé un appel au monde. Les uns ont compris qu’elle leur disait « Venez me conquérir et me divertir, je ne fais plus la guerre, je n’ai ni armée, ni frontières, ni obstacles sur le chemin ! », d’autres ont compris qu’elle abandonnait ses vieilles idées sur la souveraineté et comptait sur eux pour lui assurer la paix et la tranquillité et qu’en paiement elle leur offrirait son allégeance, son marché, son patrimoine et ses filles. Les Américains sont accourus avec leur parapluie atomique et leur dollar nucléaire, les BRICS avec leur appétit d’ours, de dragon, d’éléphant, de tigre, de crocodile et d’anaconda, les Africains avec leur inépuisable natalité et les musulmans avec leurs tapis de prière volants à propulsion propano-coranique. On est dans cet entre-deux gramscien, entre une civilisation qui se meurt dans son bonheur impotent et des civilisations émergentes avides de puissance et de vrai bonheur, elles convergent toutes vers elle, venant de l’est, de l’ouest et du sud, pas du nord où il n’y a que des rennes et des rois de la solitude.
FP : Il y a un mois, le professeur Dominique Bernard tombait sous les coups de l’islamisme dans le lycée Gambetta d’Arras. Dans Le Figaro, vous déclariez alors : « Du Hamas à Arras, l’islam radical a déclenché une guerre sainte contre l’Occident. ». Voyez-vous un lien entre islamisme, cette « guerre sainte » et la barbarie qui a tué à Crépol ?
BS : Mea culpa, j’aurais dû être précis et dire que l’islamisme poursuivait son djihad contre la mécréance où qu’elle se trouve et quelque forme qu’elle prenne. Il ne l’a pas déclenché ici et maintenant, mais il y a quatorze siècles, du vivant du Prophète et des Compagnons. Il a opéré au Proche-Orient, en Afrique, en Asie et dans cette Europe riche en mécréance qui lui a beaucoup résisté, à Byzance, lors des croisades, à Jérusalem, à Vienne, à Poitiers et qui aujourd’hui veut le policer et l’enfermer dans la paix des pleutres, avec ses lamentations et ses peluches, sa laïcité trompeuse, sa discrimination positive attrape-nigauds, sa littérature à la gomme, ses assauts amoureux, ses marches blanches et ses ruptures du jeûne entre voisins tolérants.
Il est temps que la France sache ce qu’est l’islamisme, c’est grandiose, c’est messianique : il est l’instrument parfait de l’islamisation du monde. Il a mille leviers pour ce faire. A tout seigneur tout honneur, il a l’islam, une religion puissante toute de magie et de poésie, il a une oumma de deux milliards de fidèles qui aiment passionnément leur religion et entendent bien ce qu’elle leur dit et leur promet, et il a les mosquées par nuées, véritables panzers divisions de la foi, qui font tourner le monde autour d’elles comme la Kaaba fait tourner autour d’elle des millions de hadjis en état d’hypnose. Et il a tout le reste, les techniques les plus éprouvées pour transformer le réel en magie et la magie en rêve de l’au-delà, et ce qu’il faut d’art secret pour transformer les foules en fidèles et le plomb en or. Et il a le temps et il n’en perd jamais une miette. « Devoir devoir, frères après », comme on disait chez les métallos : Service service, camarades après.
Pauvre Thomas, ce n’est pas un jeune cinglé qui t’a tué. C’est tout ça.
FP : Qui porte la responsabilité de cet ensauvagement, de cette décadence, de cette décrépitude morale ? La classe politique ? Les médias ? Tout le monde, à sa manière et à des degrés divers ?
BS : On peut faire simple et dire que c’est l’entropie, la désorganisation naturelle des choses, elle affecte tout, le vivant comme le non-vivant. Tous responsables, tous coupables, tous victimes. L’ensauvagement, la décrépitude et la démission sont partout, à commencer par le gouvernement et la digne Assemblée. On peut faire la revue des pays, pour voir ce qu’il en est. Penser cela, c’est quelque part s’interdire d’agir. « A quoi bon ? », disait Camus devant l’absurde et l’inéluctable. L’absurde empêche-t-il vraiment ? Les Sans-culottes sont passés outre, ils ont guillotiné le roi et la reine et tracé une ligne rouge pour marquer symboliquement la fin des privilèges et l’avènement de la République exemplaire qui l’est moins que jamais. À entendre l’actuel chef des insurgés, le citoyen Mélenchon, il faudrait se remettre à l’ouvrage, sortir la louisette, étêter Macron dans la cour de l’Élysée et lancer la VIe République. Comme si le sort d’un pays était une question de tête et de numéro.
En France, on ne fait plus que penser et parler ; se taire et agir, c’est trop plouc. Faire les deux, est-ce possible ? C’est la solution mais il faut savoir penser juste et agir vite avec tout le courage nécessaire. Essayons, qu’avons-nous à perdre, nous avons perdu la guerre, l’honneur, la vie, et pis, l’estime des générations futures.
FP : Quel regard porte l’écrivain que vous êtes sur les maux de la civilisation occidentale ? Est-il possible de remonter la pente de l’effondrement ?
BS : Ce qui désole vraiment c’est que ce qui se perd ne se retrouve jamais. Perdre un sou est déjà dommageable, que dire d’une civilisation qui fut riche parmi les plus riches. Où trouver deux ou trois millénaires et les architectes nécessaires pour la refonder à l’identique ? L’entropie et le temps qui jamais ne recule ni ne suspend son vol ne le permettent pas. Les civilisations meurent aussi, et l’occidentale est sur le chemin des pleurs. En maints de ses territoires, elle est retournée à la poussière des premiers âges.
Par quoi sera-t-elle remplacée ? L’avenir le dira sans faute. Il semble quand même évident à ce stade qu’on se dirige droit vers quelque chose d’assez monstrueux pour les petits occidentaux et assimilés que nous sommes. Nous basculons comme dans le sommeil dans un monde anormal, inversé comme s’il était fait d’antimatière, d’antihumains, d’anti-vivants, où l’espace et le temps sont tout le contraire de qu’ils sont pour nous, des référentiels.
Dans mon roman 2084 : la fin du monde, j’ai dit comment je le voyais. Il emprunterait tout à l‘islamisme le plus radical qui soit combiné à la pire des idéologies qu’on ait inventées. C’est normal, qui se ressemblent s’assemblent et qui s’assemblent finissent par se ressembler. 2084 c’est demain, les ingrédients sont là, tout bien disposés et l’artificier arrive avec ses assistants qui égorgeront le veau gras pour saluer le retour de la vraie foi.
« Demain, tout sera religieux » disait Malraux, « Comme hier », ai-je noté dans 2084, pour signaler le continuum. ■
Source
L’Europe, sa Civilisation, doivent réagir en Urgence
Très clair, André le paysan du Danube qui à Crepol a interpellé le Pdt Macron, a dit la même chose en 25 mots. Remarquable synthèse de Boualem Sensal, nous les anciens, copions la et envoyons la aux politiciens, il leur manque les mots pour sortir du déni, quant aux jeunes préparez vous militairement à la survie, comme les Israéliens, sinon ils auraienr disparu , dès les années 60 ! Enfin, l’Islam n’étant pas une civilisation au sens antique du mot, mais un grand camp de concentration, il y aura des failles, à nous de les repérer.