Cet article d’Alexandre Devecchio, désormais régulièrement présent non plus seulement dans la presse écrite mais aussi sur les plateaux de télévision, est paru dans l’édition du Figaro de ce matin. On y observera combien sont toujours actifs les vieux concepts maurrassiens Pays Réel – Pays légal ou encore France d’en-haut et France d’en-bas. On utilisait déjà ces termes et on constatait déjà le fossé existant entre les deux catégories sociales ainsi visées au temps de L’Enquête sur la monarchie, en 1900, première année du siècle passé. . C’est à une Enquête sur la République mourante que semble se résumer la chronique politique d’aujourd’hui. Car ce fossé est devenu un gouffre, fait de mépris et parfois de haine. Sur la photo en-tête de cet article, les visages et les hommes – que des hommes d’ailleurs – les visages sont fermés, le regard du ministre semble celui d’un homme traqué, les autres personnages ne sont guère brillants, l’ensemble a des allures de fin de régime. Et cette rupture entre Français s’exprimant sans crainte ni fard et ces hommes trop officiels, trop usés, à galons, casquette et écharpe tricolore, ce gouffre séparant deux France(s) opposées est bien décrite dans cet article du pourtant régimiste Figaro.
ANALYSE – Lors de la visite d’Olivier Véran à Crépol, un habitant a fustigé «tous ces gouvernements qui défendent la France des cités contre la France de Thomas, la France rurale». Des propos qui tranchent avec le récit qu’une partie du monde médiatico-politique aura en vain tenté d’imposer après l’attaque de Crépol.
Les propos d’André illustrent une (…) fracture (…) préoccupante entre la France d’en haut et celle d’en bas, entre la France populaire, qui s’exprime sans tabou et une France protégée et déconnectée.
Il s’appelle André, vit à Romans-sur-Isère et porte un manteau jaune. Son coup de colère a été relayé des milliers de fois sur les réseaux sociaux et diffusé en boucle sur les chaînes d’info. Réagissant à la visite d’Olivier Véran à Crépol, il dénonce « tous ces gouvernements qui défendent la France des cités contre la France de Thomas, la France rurale, la France des gens qui élèvent leurs gosses comme il faut, pas dans la haine de la France et des Français. » Et d’ajouter : « Je fais partie de ce territoire, on n’en peut plus et on comprend tout depuis longtemps : la prochaine fois, ce n’est pas avec des couteaux qu’ils viendront, mais avec des armes automatiques. »
André n’est ni journaliste, ni sociologue et nombre d’« experts » ne manqueront sans doute pas de mettre en garde contre des propos qu’ils jugeront sommaires et dangereux. Sur les plateaux de télévision, ils tenteront de démolir son témoignage, chiffres à l’appui. Et pourtant, il se pourrait qu’André ait mieux compris la réalité de la société française que certains chercheurs du CNRS. Avec des mots simples, le constat qu’il fait n’est pas si éloigné de celui de nombre d’observateurs. André apparaît ainsi comme l’incarnation vivante de la France périphérique décrite par le géographe Christophe Guilluy, celle des classes populaires et des pavillons lointains, qui n’a pas bénéficié des plans banlieues et se sent reléguée.
« Face à face »
L’opposition entre « la France rurale » et « la France des cités », qu’il décrit, rappelle également l’archipellisation française observée par Jérôme Fourquet. On pourrait citer Finkielkraut ou Houellebecq, mais aussi des personnalités politiques que l’on peut difficilement présenter comme extrémistes. François Hollande, qui dans Un président ne devrait pas dire ça…, se demandait : « Comment éviter la partition ? »
Ou l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, disparu ce samedi, qui évoquait sa crainte que, « demain, nous vivions face à face ». Reste que, dans l’espace public, ce constat n’est fait que par des intellectuels qui prennent alors le risque de la marginalisation. Et, lorsque des hommes politiques s’y aventurent, ils doivent généralement endurer des procès en sorcellerie. François Hollande ne savait pas que ses aveux faits à des journalistes finiraient dans un livre. Gérard Collomb, lui, ne s’est exprimé publiquement que lorsqu’il a quitté son ministère.
Ainsi, non seulement les propos d’André témoignent d’une fracture culturelle et territoriale entre la France des villes moyennes et des villages et celle des grands ensembles, mais ils illustrent une autre fracture non moins préoccupante entre la France d’en haut et celle d’en bas, entre la France populaire, qui s’exprime sans tabou et une France protégée et déconnectée. André et après lui Marie-Hélène Thoraval, la maire de Romans-sur-Isère, sont ainsi devenus sans le vouloir les porte-parole de ces Français ordinaires hantés par l’insécurité physique et culturelle, écœurés par l’aveuglement, parfois teinté de condescendance, de la plupart des « élites » face à leur réalité.
Cette colère aura sans doute été décuplée cette semaine par le récit qu’une partie du monde médiatico-politique aura en vain tenté d’imposer après l’attaque de Crépol. Dans l’émission de Laurent Ruquier sur BFMTV, le rédacteur en chef du magazine « Regards » a fait un parallèle entre le drame de Crépol et « la guerre des boutons », sur France 5 dans l’émission « C à vous », Patrick Cohen a évoqué un « bal tragique » où les assaillants sont « venus pour s’amuser et draguer des filles », tandis qu’Isabelle Veyrat-Masson sur Arte évoquait « un fait divers banal » rappelant Roméo et Juliette. Non seulement cette pratique du déni ne fait plus illusion, mais elle exacerbe l’exaspération qu’elle tente d’étouffer, le « populisme qu’elle prétend combattre ■
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Paix
1900 est la dernière année du XIXe siècle