Par Aristide Ankou.
Après lecture de cet article, Pierre Builly précise qu’il a aucune envie d’aller voir ce « film inutile » comme l’écrit notre ami.
Très franchement, je ne regrette pas le prix de nos places. J’ai passé un agréable moment, c’est du grand et beau spectacle. Néanmoins, c’est un film qui me semble essentiellement raté.
Je ne me joindrais pas aux très nombreuses critiques qui dénoncent les inexactitudes historiques du film. A mon sens, de telles inexactitudes ne sont des fautes que dans la mesure où elles nuisent au propos du film. Une œuvre de fiction n’a pas à être un documentaire et, lorsqu’on fait un film « d’époque », la seule chose vraiment importante me semble-t-il – ou du moins la plus importante – est de doter ses personnages d’une personnalité qui soit « d’époque », c’est-à-dire qui ne soit pas une transposition de nos propres préjugés et de nos propres opinions. Rien de plus ridicule qu’un chevalier ou une gente dame du 14ème siècle qui pensent et parlent comme des Américains du 21ème siècle, ou plutôt comme des Américains du 21ème siècle ayant été à l’université, quand bien même leurs costumes seraient rigoureusement « authentiques ».
Pour avoir un assez bon exemple de ce genre de travers, on peut par exemple se référer au précédent film de Ridley Scott, « Le dernier duel » : fascinante reconstitution de la France au début du 14ème siècle mais qui échoue piteusement à faire de ses personnages des Français du début du 14ème siècle. Film raté, donc, bien qu’intéressant, et cependant bien moins raté qu’un autre film « moyenâgeux » de Scott, le nanardesque « Kingdom of heaven ».
Bref, peu m’importe après tout que Napoléon n’ait pas assisté à l’exécution de Marie-Antoinette ou que cette dernière n’ait (évidemment) pas été guillotinée avec sa perruque (la pauvre…).
Je ne me joindrais pas non plus à ceux qui dénoncent en ce film un coup bas des perfides Anglais, visant à ridiculiser notre Napoléon qu’ils ont fait mourir à Saint Hélène. Pour tout dire cette accusation me parait elle-même passablement ridicule. La filmographie de Scott prouve suffisamment qu’il n’est pas un cinéaste particulièrement subtil dès lors qu’il s’agit du scénario et on ne voit dans « Napoléon » rien de plus ni rien de moins que ce qu’il a pu montrer, de ce point de vue-là, dans ses films précédents.
Scott, bien plus qu’un film « anglais », a fait un film hollywoodien, une grosse production destinée à être exportée internationalement, avec tout ce que cela comporte.
Non, à mon sens, le vrai problème de ce film est qu’il échoue totalement à rendre intéressant son personnage principal. Ou plus exactement, il échoue totalement à transcrire à l’écran les raisons, ou au moins quelques-unes des raisons qui ont pu, par exemple, faire dire à Chateaubriand, que Napoléon Bonaparte avait été dépositaire du « plus puissant souffle de vie qui jamais anima l’argile humaine » ; ou qui a pu faire écrire à Goethe : « Sa vie fut celle d’un demi-dieu qui marchait de bataille en bataille… Voilà pourquoi sa destinée a eu cette splendeur que le monde n’avait pas vue avant lui, et qu’il ne reverra peut-être pas après lui. »
Le problème n’est pas ici de savoir si Napoléon a été « bon » ou « mauvais », s’il a été l’orgueil ou le fléau de la France (et peut-être les deux à la fois) et autres choses du même genre. Il s’agit simplement de reconnaitre un fait tout ce qu’il y a de plus objectif : Napoléon Bonaparte a été un homme absolument prodigieux, comme il s’en rencontre un seulement tous les deux ou trois siècles.
Or rien, strictement rien de cette grandeur monumentale (pour le meilleur et pour le pire, encore une fois) ne transparait dans le film de Scott. Il ne faut pas compter sur les scènes de batailles du film (au demeurant plutôt saisissantes) pour comprendre quoi que ce soit du génie tactique de l’Empereur. Il ne faut pas compter sur les scènes politiques pour saisir le génie administratif et politique qu’il était également. Il ne faut pas non plus compter sur les dialogues pour comprendre la fascination qu’il a exercé sur ses contemporains. Absolument aucune parole mémorable ne sort de la bouche du Napoléon de Ridley Scott. Rien de son intelligence acérée, de sa connaissance des hommes, de sa culture – toutes choses attestées même par ses ennemis – ne transpire de ces dialogues insipides.
Environ la moitié du film, me semble-t-il, est d’ailleurs consacrée aux amours de Napoléon et Joséphine. Leur relation n’est pas en elle-même inintéressante (je parle ici de la relation qu’ont eu les vrais Napoléon et Joséphine), mais elle est infiniment sans importance comparée à la tornade politique et militaire qu’a été la vie météoritique du petit Corse devenu Empereur des Français.
Dans l’intimité, Napoléon était nécessairement à peu près comme tout le monde : comme chacun le sait, il n’y a pas de grand homme pour son valet. Nous montrer un Napoléon intime, c’est donc nécessairement nous montrer ce qu’il y avait de moins exceptionnel en lui.
Bref, si on ne connaissait pas déjà l’histoire de Napoléon, on ne comprendrait pas pourquoi Ridley Scott a choisi de faire un film sur Napoléon, car le personnage qu’il nous montre n’a à peu près aucun intérêt.
Le problème, à mon avis, n’est pas que Scott a voulu rabaisser l’Empereur, il est bien plutôt qu’il ne s’est simplement pas posé la question de comment montrer l’Empereur à l’écran. Sa faute est paresse intellectuelle et non perfidie anglaise.
Ridley Scott a considéré comme évident que Napoléon était hors-normes, puisque tout le monde sait que Napoléon Bonaparte a été un grand personnage. Il ne s’est donc absolument posé la question du point de vue : que dois-je montrer, et comment, pour faire passer à l’écran ce caractère hors-normes ?
Le fait qu’il consacre une si large part aux histoires domestiques de Bonaparte est simplement le point de vue contemporain par défaut, le point de vue a-réflexif démocratique et féministe : ce qui est commun est ce qui est le plus intéressant, derrière chaque « grand » homme il y a une grande femme sans laquelle il n’aurait pas pu réussir, etc.
Bref, Napoléon me semble être un film parasite : qui se nourrit d’une substance empruntée et ne produit rien en retour. Ce n’est pas un mauvais film, c’est un film inutile. ■
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (26 novembre 2023).
Aristide Ankou
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Abel Gance !!! fabuleux cinéaste français (en dépit de ses ratages) ; il a réalisé un prodigieux «Napoléon», film dans lequel, jusqu’à moi-même – qui abomine l’Usurpateur –, la figure napoléonesque apparaît réellement épique (Dieudonné est prodigieux, notamment lorsqu’il prononce la harangue : «Soldats de l’armée des Alpes !»
Historiquement, Napoléon a prononcé cette phrase odieuse : «Un homme comme moi se soucie peu de la vie d’un million de …» Dans ses «Mémoires», Metternich n’ose répéter l’expression tout entière.
Si l’on tient à observer Napoléon sous l’angle épique, on peut encore lire le très beau roman de Dmitri Merejkowski…
Mais il ne faut pas pour autant oublier qu’il s’est agi d’un individu qui méprisait Louis XVI, non «politiquement» mais parce que le roi de France avait refusé de faire tirer sur le peuple.
Napoléon est de la race des MODERNES ; sans doute, n’est-il pas aussi ridicule que nombre de ceux qui lui ont succédé dans cette carrière, mais, en tant que «précurseur», il est plus emblématique que les Staline, Mao ou Hitler… Chacune de ces figure se peut parer d’atours «historiques» notables, mais par le seul fait de l’«Histoire»dans laquelle ils s’inscrivent ; autrement, chacun d’eux étant essentiellement un être humain, c’est en tant que tel que, au bout de leur compte, ils ont à régler la dette à l’humanité qui a été confiée à leur carne. Or, la question qui doit nous hanter porte sur la possibilité de savoir si ce type d’êtres humains est effectivement détenteur d’une «âme immortelle» ou bien s’il ne s’agirait pas d’une excroissance désincarnée…
C’est précisément Abel Gance qui, dans «Prisme», attribue à Maximilien Robespierre une très inquiétante réflexion : «Celui qui ne croit pas à l’immortalité de son âme se rend justice.»
La typologie napoléonesque (que l’on généralise aujourd’hui sous l’adjectif «totalitaire») tient à ce que, tenant l’honneur humain pour une vertu seulement temporelle, ce type imagine pouvoir s’en affranchir au profit d’une «immortalité» momentanée, celle de l’illusion d’une grandeur expressément individuelle dont la limitation des siècles suffira à légitimer l’importance du «quart d’heure», lugubrement warholien, de leur splendeur.
Cependant, Abel Gance et Merejkowski ne m’en disent pas moins qu’il devait y avoir quelque chose d’exorbitant, une énormité mémorable dans la personnalité du responsable d’un pareil événement historique…
Jacques Bainville déclare avoir eu pour ambition de renforcer l’admiration pour Napoléon, chez les admirateurs, et la détestation de celui-ci chez ses détracteurs… Une pareille perspective apparaissant à un esprit aussi prodigieusement élevé me semble prononcer le plus terrible des verdicts.
Par contre Napoléon n’a pas réussi à faire ce qu’a fait Louis XVI: Battre l’Angleterre SUR MER
En tous cas film inutile où le souffle épique de l’histoire est totalement absent au profit d’une imagerie rutilante mais fade;; Ridley Scott est -il capable de la moindre empathie pour ses héros royalistes ou républicains? Il fait de l’histoire avec des soldats et canons , qui semblent en carton pâte, et finalement toute notre histoire perd sa saveur. Ce n’était que cela! Les seules héroïnes attachantes sont ces très jeunes anglaises apparues furtivement à Sainte Hélène. Belle critique de David. .