PAR RÉMI HUGUES.
Cette série d’articles, qui correspond à la base écrite de l’exposé de Rémi Hugues fait au cercle d’Action Française d’Aix-en-Provence Roi René le 17 novembre 2023, est l’ultime pièce d’un triptyque sur l’usure ; la première s’intitulant « L’usure c’est le vol ! » (4 août 2020) et la deuxième « L’usure c’est la guerre ! » (6 mars 2023).
L’usure c’est le mal !
Le titre qui a été choisi pour la conférence est une référence à l’historien Pierre Gaxotte et à son volume fondamental La Révolution française, où il est écrit, à la page 202 de l’édition de 1928 : « l’inflation a commencé ses ravages ».
Les ravages qu’il mentionne sont ceux qui touchèrent la France révolutionnaire de l’année 1791 :
« Dès l’automne, on signale à nouveau un peu partout des épiceries assiégées, des convois attaqués, des marchés mis à sac.
En février 1792, au dire du ministre de l’intérieur, il ne se passe pas de jour qui n’apporte la nouvelle de quelque insurrection alarmante. Perquisitions armées dans les fermes, taxations arbitraires des blés, violations de domiciles, arrêt des transports, pillage des moulins et des greniers, d’un bout à l’autre du royaume, c’est une seconde épidémie de violences, si semblable à la première, celle de 1789, qu’en la décrivant, on semble retourné deux en arrière.
En février, à Dunkerque, dix maisons de commerce, parmi les plus importantes, sont dévastées ; il y a quatorze tués et soixante blessés. À Noyon, trente mille paysans arrêtent sur l’Oise les bateaux chargés de blé et s’approprient les cargaisons. Les marchés de la Beauce sont pris d’assaut par les bûcherons et les cloutiers des forêts de Conches et de Breteuil et les municipalités sont contraintes de taxer la farine, le beurre, les œufs, le fer et le charbon.
À Montpellier, un marchand de grains est assassiné. À Étampes, le maire est massacré. Mêmes scènes dans l’Yonne et la Nièvre où les assaillants sont cette fois les Morvandiaux, transporteurs de bois. En mars et en avril, le Cantal est la proie d’une jacquerie qui jette l’épouvante dans une vingtaine de commerces : châteaux incendiés, propriétaires soumis à des réquisitions, autorités inertes ou complices. »
Toute proportion gardée, ces épisodes de violence aigüe relatés par Gaxotte rappellent les émeutes de cet été, qui, certes, sont d’abord à considérer comme des émeutes ethniques, des émeutes de l’immigration, mais, dans une moindre mesure, elles sont aussi à voir comme des émeutes de l’inflation.
Beaucoup, parmi les émeutiers, se sont servis de la colère provoquée par la mort de Nahel comme prétexte pour aller piller magasins de vêtements ou de matériel high-tech, supermarchés et bureaux de tabac.
C’est sans doute la manifestation la plus marquante de ce sur quoi porte cette étude : les ravages de ce phénomène appelé inflation, qui désigne, au premier abord, la hausse durable et substantielle des prix, et en fait, plus précisément, la perte de valeur d’une monnaie, la diminution de sa capacité de pouvoir d’acheter un panier donné de biens et services.
Or 2023 a été « marquée par une inflation record, la crise de l’énergie, des tensions sur la chaîne d’approvisionnement », soutient Mallory Lalanne dans l’article « Inflation, taux, transitions : les défis des directions financières pour 2024 » paru dans Les Échos le 15 novembre dernier.
Après avoir expliqué que l’inflation est une maladie des monnaies et des sociétés, je vais montrer qu’elle est une conséquence intrinsèque de notre système monétaire, fondé sur le couple monnaie-papier et crédit public.
Pour commencer, il est important de revenir sur un extrait de la revue de presse du 22 avril 1922 de Robert Havard de la Montagne, pour L’Action Française ; non seulement son analyse est d’une brûlante actualité, bien qu’elle soit vieille de plus de cent ans, mais elle s’avère aussi d’une remarquable lucidité. Le passage qui suit est une authentique leçon d’économie politique :
« La question monétaire dans la France royale
Maurice Denis donne à la Production française une série d’articles du plus vif intérêt sur la question monétaire dans la France royale. Étude particulièrement opportune à l’heure actuelle […].
Il est d’usage, chez beaucoup de gens, d’invectiver contre Philippe le Bel et de l’appeler « le faux monnayeur Philippe le Bel a été, répond M. Maurice Denis, incomparablement plus honnête que nos contemporains fabricants de papier-monnaie. Ayant eu besoin de grandes ressources, il altéra les deniers d’argent, sans toucher aux pièces d’or, et affaiblit ainsi, la monnaie de deux tiers. Mais il reconnut bientôt que cet affaiblissement lui était préjudiciable. Le désordre grandissait dans le royaume. Ayant pris l’avis des États assembles à Paris, il ordonna le 8 septembre 1306 une série de mesures relatives au rétablissement de la monnaie saine :
« Premièrement, qu’on ferait, de bonne monnaye qui aurait cours du Jour de la saint Rémy prochain, en sorte que le bon denier tournois qui courait pour trois deniers, n’aurait cours que pour un.
Secondement, que la faible monnaye ne serait point décriée, mais qu’on lui donnerait cours selon sa valeur intrinsèque, et qu’ainsi trois deniers n’en vaudraient qu’un de la bonne et forte Monnaye. »
Philippe le Bel reconnaissait tous les maux que la faible monnaie avait causés au royaume. Aussi, lorsqu’il vit s’approcher l’heure de la mort, il recommanda à son fils, Louis Le Hutin, de ne jamais faire que de la bonne monnaie.
Au début du règne d’Henri III, le mal s’étant de nouveau produit, la « Cour des Monnayes » proposa au souverain et à son conseil privé un moyen sage :
Il serait besoin sous le bon plaisir du Roy, écrivait-elle, de faire assemblée générale de gens de bien, versez-en ce fait, zelez au public, sans affection de leur profit particulier, des qualitez requises par les anciennes ordonnances faites sur le fait des monnayes, et non autres, et à cette fin qu’il plaise à Sa Majesté faire écrire, à ses villes de Tholoze, Rouen, Lyon, Bordeaux, Nantes, Dijon, Troye, Poitiers, Limoges, La Rochelle, Amiens, Orléans, et assembler les plus nourris et expérimentez au faiet des dites monnayes, pour conférer des moyens qu’ils jugeront propres pour remédier à ce mal, et sur ce envoyer leurs advis par un ou deux qu’ils débuteront en ladite assemblée, qui sera ordonnée où et quand il plaira à Sa Majesté.
En laquelle se est son bon plaisir toutes personnes seront reçeues à proposer tous moyens qu’ils penseront bons et utiles pour remédier audit désordre, lesquels entenduz seront décidez et résolus par tel nombre de gens qu’il plaira à sa dite Majesté ordonner non suspects en la dite matière, et n’ayant aucun maniement des finances, ou faisant trafic ou négociation d’argent, pour les inconveniens avenus toutes quantes fois qu’ils y ont este appellez.
Le rapport de cette Cour, analysé par notre confrère, constitue un travail des plus remarquables sur la grande maladie des monnaies : l’inflation :
Le gouvernement royal tenait alors sa comptabilité « à livres », c’est-à-dire en monnaie de valeur variable — comme le gouvernement d’aujourd’hui tient sa comptabilité ; en francs-papier —, le gouvernement royal était contraint de payer « en écus », c’est-à- dire en bonne monnaie, ses créanciers étrangers. D’autre part, étant donné l’accroissement du prix de la vie, il devait augmenter les traitements de tous les fonctionnaires « à cause qu’ils ne peuvent s’entretenir en service de leurs gages ordinaires ».
En outre, la fausse monnaie ayant procuré aux Français des ressources faciles, ils achetaient beaucoup plus qu’il n’était nécessaire, ne songeant qu’à « luxe et superfluité ». Ce n’est pas tout : L’abondance et la mauvaise qualité de la monnaie nous rendait doublement préjudiciable le commerce extérieur : les importations, augmentées en poids, l’étaient encore plus en valeur, car les marchands étrangers, dont la monnaie nationale était saine, ne manquaient point d’augmenter leurs prix, pour tenir compte — de la dépréciation de nos espèces. Quant à nos exportations, il va de soi qu’elles nous rapportaient moins.
Comme aujourd’hui, l’inflation monétaire avait pour conséquence, au XVIe siècle, de faire passer, notre or à l’étranger.
La monnaie, si dépréciée qu’elle fût, était cependant réelle. Elle était faite de métal précieux. Elle avait une valeur intrinsèque. Notre monnaie de papier, au contraire, n’en a aucune si l’on n’a pas soin d’y joindre l’idée métaphysique de crédit. Le mérite de la « Cour des Monnayes », sous Henri III, fut d’étudier les conséquences de l’instabilité des monnaies et de s’appliquer à y porter remède. » ■ (À suivre)
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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